Le camp de Vittel (1941-1944) et Auschwitz
« Dans mille ans, je pense que la seule chose dont on se souviendra de la Shoah, c’est le texte d’Yitzhak Katzenelson, Le Chant du peuple juif assassiné. » Serge Klarsfeld à Didier Durmarque, colloque sur le camp de Vittel et sa relation à Auschwitz (1941-1944)
Autour de la commémoration de la libération du camp d’Auschwitz, le 27 janvier 1945, les Éditions Klarsfeld-FFDJF viennent de publier un opus magnum sur l’état des connaissances sur le camp méconnu de Vittel (1941-1944) et de sa relation à Auschwitz. Ce livre, imposant, de près de 200 pages, fut rendu possible grâce au colloque des 23 et 24 juin 2017 dont j’étais le responsable scientifique. Les interventions précises et érudites de Maryvonne Braunschweig et de Jean-Olivier Viout y sont entièrement reproduites.
Nous retrouvons l’ensemble des productions de ce colloque ainsi que des articles plus anciens qui ont été souvent cités et médités et qui faisaient référence à l’histoire de ce camp si spécial.
Pourquoi si spécial ? D’abord, parce que ce camp fut protéiforme. Il accueillit, d’abord, des prisonniers anglo-saxons et américains, puis il fut le lieu d’une tragédie, celle de la Shoah, dans l’affaire des passeports sud-américains qui prend sa source, son origine dans le ghetto de Varsovie et sa prison de Pawiak et qui permit à Yitzhak Katzenelson et son grand fils, ainsi que deux cents cinquante Juifs polonais, de sortir du ghetto dans l’espoir d’un sauvetage, par le truchement de passeports sud-américains, promesse d’un exil qui ne sera pas honoré et qui conduira la quasi-totalité des Juifs dans les chambres à gaz d’Auschwitz.
Derrière la grande et la petite histoire, celle des gens méconnus, oubliés, qui feront l’objet du gigantesque travail d’identification de Serge Klarsfeld, il y a toujours des hommes, des femmes, des enfants. Nous découvrons, dans l’ouvrage, que le camp de Vittel a été au cœur de la création littéraire, au cœur de grands livres, parfois injustement méconnus, oubliés, parce que leurs publications ont été abandonnées. D’ailleurs, on ne peut que s’étonner que Le Chant du peuple juif assassiné ne soit plus édité, en France, après le bel ouvrage des Éditions Zulma.
Dans sa préface, Serge Klarsfeld rend hommage à juste titre à un chef-d’œuvre littéraire méconnu qui traverse le camp de Vittel et évoque le sort d’une Juive américaine, à savoir Le Ghetto de Varsovie, avec pour sous-titre Journal de Mary Berg. Il y a, dans le Journal de Mary Berg, à la fois douceur et lucidité, douleur et culpabilité, dans une écriture qui n’est jamais surjouée, qui saisit les choses et qui montre comment l’histoire s’empare d’un destin qui est à la fois malédiction d’une identité irrémissible, ce qu’est être juif dans la Pologne de la Seconde Guerre mondiale, abandonnée de tous, du monde, de Dieu, et chance inouïe de pouvoir s’arracher à la dévastation de la fureur.
De même, on découvre l’histoire incroyable d’Hillel Seidman qui se cache, le 18 avril 1944, lors d’une rafle, avec trois autres Juifs polonais dans le four brûlant de l’Hôtel Beau-Site qui venait de cuire du pain azyme pour la fête de la Pâque juive. Imaginez cette sensation de panique, d’angoisse et d’enfermement, quand il ne reste qu’un four qui fonctionne à plus d’une centaine de degrés comme seul recours contre la mort programmée. Seidman raconte son histoire dans son livre imposant, Du fond de l’abîme, que le colloque traverse en détail.
À Vittel, on tenta de sauver les Juifs de Pologne, mais aussi de Belgique. Les prisonnières anglaises, Sofka Skipwith et Madeleine White, détenues au camp de Vittel pour servir de monnaie d’échange contre des prisonniers allemands, ont passé des nuits à recopier, sur du papier à cigarettes, en caractères minuscules, la liste des 250 Juifs polonais par nationalité nouvelle. Ces listes ont été envoyées en Suisse, à Londres, aux États-Unis et à toutes les organisations juives.
Les papiers qui confirmeront l’acceptation des Juifs de Vittel par les pays latino-américains arriveront. Trop tard. Les convois 72, du 29 avril 1944, et 75, du 30 mai 1944, déporteront 210 Juifs polonais et belges, dont 48 enfants de moins de 14 ans, de Vittel à Drancy, puis à Auschwitz pour les gazer immédiatement. Yitzhak et Zvi Katzenelson feront partie du convoi 72 du 29 avril 1944. Pendant les rafles de Vittel, quelques Juifs polonais ont réussi à se cacher ou à s’évader, à l’instar de Hillel Seidman. D’autres se suicideront par empoisonnement ou défenestration.
Les écrits d’Yitzhak Katzenelson ont été enterrés dans le parc de Vittel dans des petites bouteilles par Katzenelson et son amie Myriam Novitch, de la Résistance française, qui les déterra à la Libération. Une copie avait également été transmise en Palestine par Ruth Adler, Juive palestinienne d’échange, qui réussit à atteindre la Palestine par le train Vittel-Haïfa du 29 juin 1944. Ce train est évoqué par l’article de Serge Klarsfeld, qui avait déjà été publié dans Le Monde Juif, en 1993, et que le présent ouvrage reproduit.
Toutes ces figures valent vraiment la peine d’être découvertes, comme un dialogue profond, possible, entre leur passé et notre présent, entre leur visage et notre futur.
Le livre est disponible à l’envoi, en contactant l’auteur de cet article, au prix de 25 euros. Les envois hors Europe sont possibles. La totalité de la somme sera reversée à l’association Klarsfeld-FFDJF.