Le bellicisme est un défaitisme
Dans son article du 8 avril dernier au titre faussement interrogatif qui laisse craindre les pires certitudes (« Les Allemands soutenaient-ils les nazis ? Les Gazaouis soutiennent-ils le Hamas ? »), Hillel Fuld écrit :
Il est temps que quelqu’un [lui] clarifie les choses […] Gaza = Hamas, fin de l’Histoire.
Celui qui oserait contester son axiome, nous dit l’auteur, est au mieux « dans l’erreur », au pire, « un hypocrite et un antisémite »… L’objet de son article : rendre acceptable la mort de Palestiniens innocents.
Comme le propos est intolérable, Hillel Fuld appuie sa position à l’aide d’une analogie historique spécieuse et réconfortante : si les bombardements des Alliés en Allemagne pendant la Deuxième Guerre Mondiale étaient justifiés du fait qu’une partie des Allemands ont voté pour A. H., alors Israël est en droit de détruire Gaza, dont la population a voté pour le Hamas et donc soutient, depuis des années, le terrorisme.
Son sophisme est facile à combattre : les Alliés ont détruit des villes allemandes afin d’obtenir la capitulation d’un régime qui a dévasté un continent et a provoqué la mort de plus de 40 millions d’êtres humains, et non pas en raison d’un soutien majoritaire, réel ou supposé, de la population allemande au régime nazi.
Je n’ai pas connaissance de dirigeants démocrates qui, entre 1933 et 1945, ont multiplié les appels à l’élimination ou à l’expulsion des Allemands de leur patrie au motif qu’une partie de la population soutenait le régime nazi. En revanche, le régime nazi a utilisé la même technique perfide de l’axiome pour justifier à partir de 1942, lors de la compagne de Russie, l’éradication des Juifs sans défense, derrière les lignes de la Wehrmacht ; Juifs qualifiés de « partisans communistes » (ou « en devenir » s’ils étaient trop jeunes).
En effet, les meurtres de masse sont toujours justifiés par un discours d’auto-défense, mais avec un ajout perfide dans la démonstration. Les nazis étaient convaincus d’agir dans l’intérêt de l’Europe afin de la préserver du marxisme. Thèse fausse mais défendable. Or, beaucoup de Juifs, par nécessité, étaient communistes. Il ne restait donc plus qu’à « marxiser » les Juifs (comme certains le font en identifiant Hamas et Palestiniens) afin de les exterminer avec le sens du devoir accompli. Fin de l’Histoire pour le peuple juif d’Europe.
Ainsi, « Gaza = Hamas » n’est pas un slogan anti-Hamas, mais un blanc-seing pour tenter de légitimer la destruction, si besoin, de la population de Gaza (d’abord). La position de Hillel Fuld est ironiquement la version juive du slogan anti-israélien : « par tous les moyens la Palestine sera libre » qui ne distingue pas, parmi les Juifs, les civils des militaires : tous des « colons » à éradiquer.
Certes, pour conférer un vernis d’humanité à son propos, Hillel Fuld concède que beaucoup de Palestiniens sont innocents. Pour autant, cette innocence n’est pas un bouclier, mais une simple figure de style, et Hillel Fuld le dit clairement : tuer l’innocent Palestinien au nom du souverain Bien qu’est la sécurité d’Israël (concept d’ailleurs extensible à l’infini), n’est pas plus tragique que Hiroshima ! Toujours est-il que le fait qu’une démocratie ait commis des crimes de masse en 1944/45 ne peut en aucun cas être invoqué pour relativiser un traitement similaire à l’encontre de civils palestiniens.
Dès lors qu’il préfère éviter toute contradiction, Hillel Fuld use de son joker en qualifiant « d’antisémite » celui qui refuse d’assimiler les Palestiniens de Gaza au Hamas ! Avec cet auteur, le terme « antisémite » a élargi son acception : de celui qui déteste les Juifs à celui qui refuse l’animalisation des Palestiniens !
Ce propos n’est pas si délirant dans la mesure où l’identité juive, chez ceux se prétendant de « grands patriotes », se réduit souvent à n’être plus qu’une simple inclination anti-arabe. On comprend pourquoi l’extrême droite occidentale courtise se frères « d’âmes » israéliens, au risque pourtant d’aggraver le fossé entre Juifs et Arabes. Au détriment d’Israël.
Or, depuis le 7 octobre, l’antisionisme est devenu un humanisme planétaire. Il s’agit de la plus éclatante victoire du Hamas, laquelle aurait été impossible sans les exactions de l’extrême droite juive qui a usé d’une rhétorique virulente et a légitimé les actes de cruauté à l’encontre des Palestiniens. Israël a été diplomatiquement laminée et l’Internationale Israélophobe a été alimentée par des fanfarons bellicistes.
Hillel Fuld refuse d’admettre ceci : les Palestiniens sont et resteront chez eux, en Israël, ou dans les Territoires ou à Gaza, et leur droit à vivre libre et en sécurité n’est pas négociable, ni pour la plus grande partie de l’humanité, ni pour les Juifs fidèle à l’éthique des Sages. Le Palestinien est un défi existentiel pour Israël : soit Israël grandira en ouvrant une brèche nouvelle avec son « voisin de l’intérieur », laquelle aura une portée universelle ; soit Israël en tant qu’État disparaîtra, car sa vocation n’est pas de devenir Sparte. Mais le Palestinien, lui, subsistera avec ou sans Israël.
La paix est inimaginable (nous répètent les défaitistes), oui, il est vrai ; mais la guerre ?