L’aviation militaire : une arme révolue ?

À l’heure où le Canada compte moderniser son aviation militaire, il est utile de se pencher sur le rôle de l’aviation à la lumière du conflit actuel en Ukraine. Comment expliquer l’absence relative de l’aviation russe dans la guerre qui se tient en Ukraine ? Signifie-t-elle que l’arme aérienne – qui est des plus coûteuse – est révolue et qu’il faut repenser les stratégies ? Que le champ de bataille du futur sera essentiellement celui de la confrontation des missiles, de drones et de fusées antimissiles ?
La superpuissance russe dispose de 1500 avions de combat (MIG 31, Soukhoï Su-34 et Su-35) de 125 bombardiers stratégiques Tupolev, d’avions radars Berlev A-50 AWCS) et de 1300 hélicoptères (Ka 52, MI35, MI17). L’Ukraine dispose de modèles moins récents (Soukhoï Su-27 et Mig 29) en quantités minimes ainsi que de fusées antiaériennes SA11.
De fait,au cours des premières semaines de la guerre, l’armée de l’air russe a effectué près de 140 sorties quotidiennes et a pris le contrôle de l’espace aérien, ciblant les bases aériennes et de défense aérienne ukrainiennes ainsi que les dépôts de munitions. Cependant, les communications russes auraient été brouillées au point que les avions russes ne pouvaient plus recevoir d’instructions.
D’autre part, près de 10 000 armes personnelles antiaériennes de type Stinger (américain) et STARstreak (britannique) ont été distribuées et éparpillées sur le territoire ukrainien. S’y ajoutent les armements hérités de l’ère soviétique ainsi que des développements locaux telle la tablette de contrôle de combat Kropyva qui transmet les images de drones en temps réel à l’artillerie. En outre, l’armée et la population ukrainiennes ont accès aux communications Internet grâce au réseau de satellites Starlink d’Elon Musk.
Contrairement aux armées occidentales dans lesquelles le commandement de l’aviation constitue un corps à part, l’aviation russe est commandée par l’armée de terre qui se trouve au front. Quand on sait que l’armée de terre s’est présentée sur le terrain avec des cartes géographiques périmées, on peut comprendre le manque de précision des attaques aériennes russes, et que leurs bombes ont été larguées comme au temps de la Seconde Guerre mondiale. L’armement russe sophistiqué n’a pu être exploité à la mesure de ses possibilités.
Outre le fait de manquer de composants en raison des sanctions imposées à la Russie, l’aviation russe n’a pas pu tirer avantage de son armement de précision. À titre d’exemple, l’avion MIG 31 peut poursuivre 24 cibles dans un rayon de 120 km et en attaquer 6 simultanément. L’avion Su-35 peut s’attaquer à des cibles aériennes ou terrestres. Toutefois, il faut assurer la fiabilité de la communication et de la navigation entre le centre de commande et les aviateurs.

L’aviation russe est ensuite passée à des attaques nocturnes dans les régions urbaines habitées. Les attaques de missiles et de drones suicide contre les installations électriques et hydrauliques de l’Ukraine ont suivi. La livraison de missiles antiaériens américains de type Patriot constitue une première réponse à ce type d’attaques. Les drones iraniens utilisés par l’armée russe sont très bruyants et peuvent être abattus par des canons antiaériens ou des fusées portatives lorsque la visibilité est bonne[1].
Pourtant, les groupes d’experts militaires du monde entier s’accordent à dire que l’école de stratégie russe est la plus avancée au monde. De la théorie à la pratique, il faut franchir un grand nombre de difficultés logistiques. Qui plus est, la moyenne d’heures de vol annuelle d’un pilote de combat russe est de 120 heures, comparée à 250 heures dans les armées occidentales.
Il est fort probable que les dirigeants russes vont chercher à corriger les faiblesses de l’armée et tenter une attaque massive coordonnant barrages d’artillerie, infanterie, forces spéciales, cyberguerre et armée de l’air pour tenter de rétablir son prestige et sa force de dissuasion. Cela risque de prendre bien plus que quelques mois pour y arriver. Le fait que la Pologne ait décidé de faire des exercices militaires avec 200 000 soldats et autant de réservistes au mois de mars 2023 est peut-être le signe que le pays se prépare au pire.
La majorité des pays alliés des États-Unis ont opté pour l’avion furtif F-35 doté de capteurs avancés. Il a une portée de plus de 600 miles nautiques et, selon sa mission, peut transporter plus de 18 000 livres de munitions.
Il est utile de garder à l’esprit que l’aviation est une arme puissante qui est autrement plus flexible que les fusées sol-sol. Assurer une communication coordonnée et fiable en temps réel est un atout essentiel pour tirer parti d’une force aérienne bien entraînée.
[1] La flotte de drones russes de type Orion E et Kalachnikov s’est enrichie de drones iraniens Shahed 136. De son côté, l’Ukraine fabrique sous licence les drones turcs Byraktar TB2 et dispose de drones Swithblade, Punisher et Tu 141. Les missiles russes incluent les missiles antiaériens S 300, la famille des missiles balistiques Iskandar, des missiles maritimes Kaliber 3M-54 et de bombardiers TU-95 lanceurs de missiles de croisière.
L’auteur de l’article est professeur de sciences à l’Université du Québec