L’antisémitisme est un problème français

Marche contre l'antisémitisme à Paris, le 12 novembre 2023. (Crédit : Geoffroy Van der Hasselt / AFP)
Marche contre l'antisémitisme à Paris, le 12 novembre 2023. (Crédit : Geoffroy Van der Hasselt / AFP)

Alors que Gérald Darmanin a demandé à renforcer à nouveau la sécurité des lieux de culte juifs, le grand rabbin Moché Lewin, vice-président de la Conférence des rabbins européens, considère dans ce texte que l’antisémitisme est bien « un problème français ». Il se demande comment cultiver un esprit de tolérance.

La France, berceau des Lumières et de la liberté, est aujourd’hui confrontée à un défi majeur. Les actes antisémites ne sont pas seulement des attaques contre les Juifs, mais contre les valeurs mêmes de notre République. Ils sont le symptôme d’un malaise plus profond dans notre société, où l’ignorance, les fausses nouvelles et les préjugés continuent de prospérer.

Nous assistons, avec une grande inquiétude, à l’augmentation exponentielle des actes antisémites dans notre pays. Ces événements ne sont pas de simples faits divers ; ils reflètent ce nouvel antisémitisme qui continue de sévir, prêt à frapper à tout moment.

L’antisémitisme n’est pas un problème isolé des Juifs de France ; c’est un problème français, qui concerne chaque citoyen attaché aux valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité.

Il est temps de reconnaître que les discours de haine qui se propagent sur les réseaux sociaux et l’absence de condamnation ferme de certains responsables politiques face aux actes terroristes du Hamas contribuent à un climat où l’antisémitisme peut prospérer.

Perpétuer l’esprit des Lumières et de la liberté qui caractérise notre nation passe par un ensemble d’actions sur les plans juridique, éducatif, numérique et sociétal.

Le front juridique

Il est essentiel que la justice prenne des mesures fermes et exemplaires pour lutter contre cette haine. La circulaire du ministre de la justice du 10 octobre dernier appelant à une réponse judiciaire ferme et rapide, adaptée et sévère face à ces crimes, est rassurante.

Les juges sont appelés à appliquer des condamnations exemplaires pour les actes antisémites, reflétant la gravité de ces offenses contre la communauté juive et la société dans son ensemble. Ces condamnations doivent servir de dissuasion et montrer l’engagement inébranlable de la France à protéger tous ses citoyens et à préserver les valeurs de la République. Il est crucial que ces condamnations soient accompagnées d’un suivi et d’une transparence, permettant à la société civile de constater l’efficacité de la réponse judiciaire.

Les condamnations judiciaires ne sont qu’une partie de la réponse nécessaire ; l’éducation, la prévention et le dialogue interreligieux sont tout aussi essentiels pour éradiquer ce fléau de notre société.

Le front universitaire

Les universités, ces bastions de la pensée et de la liberté intellectuelle, sont aujourd’hui confrontées à une vague d’antisémitisme qui menace de saper les fondements mêmes de notre société. C’est un défi qui nous oblige à repenser notre approche de l’éducation et du savoir. Comment pouvons-nous cultiver un esprit de tolérance et de respect dans un monde où la haine trouve encore un terrain fertile ?

Le programme Emouna de Sciences Po, créé il y a huit ans après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, est un pont entre les confessions, un espace où les responsables de cultes se rencontrent.

En comprenant les nuances de chaque foi, en explorant les liens entre religion et société, les participants contribuent à briser les barrières de l’ignorance. C’est là que naissent les amitiés, les collaborations et les projets communs qui se manifestent chez les alumni dans les fonctions ou les responsabilités qu’ils exercent à l’issue de leur certification.

En promouvant l’ouverture et l’excellence de leurs représentants, Emouna contribue à renforcer les liens entre les différentes religions de France et leur intégration à la République au service de l’intérêt général. Ce n’est qu’un exemple mais qui indique tout ce qui peut être fait.

Le front de la responsabilité numérique

L’affaire des propos antisémites de Poupette Kenza sur les réseaux sociaux met en lumière la puissance et la responsabilité des plateformes numériques. Cette influenceuse, suivie par des millions d’abonnés, a récemment tenu des déclarations antisémites dans une story Instagram, affirmant qu’elle ne travaillait pas avec les Juifs et qu’elle n’avait aucun partenaire juif ni agent sioniste.

Une simple story peut devenir virale en quelques heures, touchant des millions de personnes. Dans le cas de Poupette Kenza, ses propos antisémites ont été largement diffusés en très peu de temps.

Le Digital Services Act (DSA), entré en vigueur en novembre 2022, est un règlement européen qui vise à garantir l’équité, la confiance et la sécurité dans l’environnement numérique. Le DSA impose des obligations de transparence et de responsabilité aux fournisseurs de services intermédiaires en ligne.

Cela signifie que les plateformes de médias sociaux doivent prendre des mesures pour lutter contre la diffusion de contenus illicites, y compris l’antisémitisme. Il s’agit d’un outil essentiel pour promouvoir un environnement en ligne transparent et sûr qui renforce la responsabilité des plateformes de médias sociaux et contribue à la lutte contre l’antisémitisme.

La sensibilisation de la société

En déclarant la lutte contre l’antisémitisme grande cause nationale, comme l’a demandé le grand rabbin de France Haïm Korsia, nous pourrions mettre cette lutte au premier plan dans les médias, les campagnes d’affichage et les événements publics.

Une grande cause nationale mobilise l’ensemble de la société : citoyens, entreprises, associations, écoles et institutions publiques se rassemblent autour de cet enjeu. Cela crée une dynamique positive et encourage chacun à agir. Cela permettrait également de déployer des moyens importants pour éradiquer ce fléau.

La lutte contre l’antisémitisme est un combat qui nous concerne tous. Elle exige une action collective et déterminée pour défendre les valeurs de notre République et assurer la sécurité et la dignité de chaque citoyen.

La tradition juive peut nous inspirer par les paroles de Hillel l’Ancien : « Si je ne suis pas pour moi, qui le sera ? Et si je suis seulement pour moi, que suis-je ? Et si ce n’est pas maintenant, quand ? » (Avot, 1, 14.) Ces questions nous rappellent l’importance de l’action individuelle et collective dans la lutte contre l’antisémitisme, soulignant que le moment d’agir est maintenant. C’est un appel à la responsabilité personnelle et à la solidarité, des valeurs qui doivent guider notre combat pour la justice et la paix.

Article paru sur LA CROIX le 30 mai. Avec l’aimable autorisation de l’auteur.

à propos de l'auteur
Moché Lewin est rabbin du Raincy Villemomble et Gagny. Il est vice-président de la conférence des rabbins européens. Il est également conseiller spécial du grand rabbin de France Haim Korsia. D'autre part il est aumônier national de la Gendarmerie, aumônier des aéroports de Paris, vice-président des amitiés judéo-chrétienne de France et Président de l'association "UDPP93" Union pour le dialogue le partage et la Paix dans le 93.
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