L’antisémitisme chrétien existe-t-il ?

Nouveau Testament - Domaine public
Nouveau Testament - Domaine public

Une accusation récurrente subsiste depuis des siècles, en particulier dans les milieux juifs : « le Nouveau Testament est antisémite ». Une telle accusation se trouve souvent justifiée par 2000 ans d’histoire juive ponctuée de myriades d’actes antisémites, dont beaucoup sont apparemment enracinés dans le christianisme et ses enseignements. La question est donc de savoir si l’antisémitisme chrétien est vraiment “chrétien”… et de savoir si le Nouveau Testament est antisémite ou pas.

Il est vraiment regrettable que notre Bible (Ancien et Nouveau Testament) soit divisée en deux parties. Les choses seraient beaucoup plus simples si nous examinions l’ensemble de la Parole de Dieu, de la Genèse à l’Apocalypse, sans forcément distinguer les Ecritures par rapport au fait qu’elles s’inscrivent avant ou après « les 400 années silencieuses ».

Nous avons les Écritures juives (écrites en hébreu) et les Écritures grecques (écrites en grec et araméen), et ainsi aurait commencé le gouffre entre les deux. Les mots et les concepts ne sont pas complètement transférables de l’hébreu au grec, et les deux cultures différentes ont ajouté des défis supplémentaires au message de Dieu à travers les âges.

Personne ne peut nier que l’arrivée de Yéchoua a tout changé. Les leaders juifs de son temps se sentirent menacés, intimidés et parfois humiliés. Les gardiens de la loi mosaïque étaient mis au défi par quelqu’un qui était venu accomplir cette loi, sans pour autant enfreindre un seul de ses 613 commandements.

De plus, même s’il est d’abord venu pour le peuple juif, Yéchoua a inclus les non-juifs. Il n’a pas fallu longtemps pour que les mêmes non-juifs originellement exclus, mais maintenant greffés, prennent les rennes du mouvement et forcent lentement l’érosion des traditions juives au sein du christianisme. En l’an 325 au concile de Nicée, une grande partie de la judéité du christianisme avait disparu ou était en train de se diluer dans une foi qui avait perdu presque toutes ses racines juives.

Les premiers pères de l’église avaient commencé à s’écarter d’une approche littérale, historique / grammaticale de la Bible. Leurs interprétations allégoriques les ont lentement amenés à considérer Israël comme un peuple diabolisé qui avait été remplacé par l’Église. Les masses non-éduquées ont volontiers emboîté le pas à ces idées et les juifs ont commencé à devenir un fardeau et un poids mort partout où ils se trouvaient, même dans l’Église.

Il faudra attendre la Shoah pour que les Nazis tentent d’éradiquer radicalement et systématiquement le judaïsme européen. Les juifs étaient considérés comme de la vermine ou une race sous-humaine et, en tant que telle, leur destruction totale était la seule solution. C’était « la solution finale à la question juive », comme l’avait exprimé euphémiquement l’Allemagne nazie. Tout ou presque, quand vous demandez aux juifs, a été fait par des chrétiens. Mais était-ce vraiment le cas ? Une approche honnête de la question nous amènera à prouver le contraire :

  • Le Nouveau Testament est un livre très juif :
    Dès les premiers mots du premier livre du Nouveau Testament, tout est juif puisqu’il enregistre la généalogie du Messie juif: « Le récit de la généalogie de Yéchoua’, le fils de David, fils d’Abraham : Abraham le père d’Isaac, Isaac le père de Jacob et Jacob le père de Juda et ses frères » (Matthieu 1:1-2). Le public est juif, les écrivains sont juifs (sauf Luc, de l’avis de certains commentateurs). Le contexte est juif et la majeure partie de la géographie est juive. En fait, il est presque impossible de comprendre pleinement la richesse du Nouveau Testament sans le lire dans son contexte juif. La plupart des chrétiens passent toute leur vie à lire la Bible en « noir et blanc » jusqu’à ce qu’ils s’intéressent à la perspective juive et tout à coup, la même histoire apparaît en « couleur et en HD ».
  • Le Nouveau Testament utilise un langage « fort » :
    Comment interpréter des mots tels que « la synagogue de Satan » (Apocalypse 2:9, 3:9) ou « votre père le diable » (Jean 8:44) sans y associer une critique outrancière ? Ce sont en effet des expressions très fortes dirigées contre le peuple juif. Ce langage accusateur a certainement été utilisé dans le Nouveau Testament pour décrire l’hypocrisie et le péché de certains des dirigeants juifs contemporains à Yéchoua. Il s’agissait de mots très ciblés, mais ce qui a été occulté et qui a causé tant de malentendus est le fait qu’ils aient été employés pour dénoncer des personnes qui se trouvaient être avant tout des pécheurs désobéissants. Leur qualité de juif était totalement secondaire et non la cause de la critique. Les années ont passé, et on a vu apparaitre ce qu’on pourrait appeler le « grand départ chrétien » : l’Église a commencé à attacher la judéité non apparentée aux péchés des premiers croyants [juifs] et, à cause de cette attitude, être juif est quasiment devenu un crime.

Les années ont passé et progressivement est apparue ce que l’on appellera « la grande migration chrétienne ». Celle-ci a consisté à voir dans l’Église relier au fil du temps, dans le langage comme dans les attitudes, les péchés des premiers croyants juifs à la judéité de ces derniers. C’est ainsi qu’est né petit à petit le postulat que le Juif est désigné coupable par essence, par son appartenance ethnique et non par ses actes.

  • L’Ancien Testament utilise également un langage « fort » :
    Comment se fait-il que, lorsqu’un langage similaire est utilisé pour décrire la désobéissance d’Israël dans les textes de la loi juive et les prophètes, personne – en particulier dans la communauté juive – n’ait un problème avec cela ? En Deutéronome 9:7, Moïse appelle le peuple juif « rebelle ». Est-il pour cela qualifié d’antisémite ? En Deutéronome 9:13, Dieu les appelle « têtus » et veut tous les tuer. Dieu est-il pour autant antisémite ? Bien sûr que non ! Ézéchiel appelle aussi Israël « têtu et obstiné » (Ezéchiel 3:7). Les enfants d’Israël sont souvent décrits dans des termes peu flatteurs tout au long du Tanach, comme dans le Nouveau Testament. Mais il semble que ces descriptions peu élogieuses, quand elles proviennent des Écritures juives, notamment avant la première venue de Yéchoua’, sont alors considérées comme « acceptables ». Y-aurait-il là un double-standard ?
  • Les juifs n’ont pas tué le Messie:
    L’accusation la plus courante contre le peuple juif qui perdure à ce jour est celle de déicide (le meurtre de Dieu). Dans le monde entier, les juifs continuent à être qualifiés de « tueurs du Christ » par une partie des chrétiens comme des non-chrétiens. Cette accusation pose deux problèmes. Premièrement, même si certains juifs étaient coupables de la crucifixion de Yéchoua’ (et ils ne le sont pas), cela n’aurait aucun sens de rendre tous les Juifs de tous les temps coupables du même crime. Suivant la même logique, tous les Allemands seraient des nazis et tous les musulmans seraient des terroristes. C’est ridicule ! Mais plus important encore, Yéchoua’ donna sa propre vie en obéissance au Père, comme nous le lisons dans Jean 10:17-18: « le Père m’aime, parce que je donne ma vie, afin de la reprendre. Personne ne me l’ôte, mais je la donne de moi-même; j’ai le pouvoir de la donner, et j’ai le pouvoir de la reprendre: tel est l’ordre que j’ai reçu de mon Père. ». Donc, en réalité, nous partageons tous la même responsabilité, sans exception.
  • Le contexte est crucial
    Le fait même que de nombreux chrétiens des premiers siècles aient lu les Écritures hors de leur contexte et allégorisant une grande partie de son contenu ne rend pas le Nouveau Testament « antisémite ». Il le rend simplement mal « interprété » et mal « appliqué ». En conséquence de cette réalité, les chrétiens peuvent-ils être antisémites ? Je pense que l’histoire parle d’elle-même à ce sujet. Oui, ils le peuvent ! Sont-ils pour autant antisémites parce qu’ils suivent les enseignements de Yéchoua’ de Nazareth dans le NT ? Absolument pas ! La conclusion constat est tout autre : le fait de tordre les Ecritures pendant 2000 ans pour chercher à justifier certains comportements contre les juifs a laissé une tâche sanglante sur l’humanité en général et sur l’Église en particulier. Mais toutes ces choses mauvaises, dites ou orchestrées contre les juifs, ne reposent pas sur ce qui est enseigné dans la Bible.

Il est donc juste de dire que l’antisémitisme chrétien n’est en réalité pas du tout « chrétien ». Si on prend la Bible à la lettre, « tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu » (Romains 3:23). « Tous » signifie juifs et non-juifs, sans exception. L’antisémitisme chrétien est tout simplement un antisémitisme commis par des chrétiens qui lisent leur Bible de façon abusive et l’utilisent comme excuse pour ostraciser et diaboliser le peuple juif.

Les chrétiens qui peignent – à grands traits – le peuple juif comme groupe sous-humain se trompent tout autant que les juifs qui peignent – à grands traits – les chrétiens comme étant tous des antisémites. Le Nouveau Testament n’est pas antisémite, mais il expose la nature humaine et le péché universel de tous les peuples, qu’ils soient juifs ou non. Il est temps de remettre les choses dans leur contexte et d’approcher la Parole de Dieu avec humilité et sincérité.

à propos de l'auteur
Olivier enseigne la Bible et les racines juives du christianisme. Né à Paris, il écrit et enseigne aujourd'hui, aux Etats-Unis et en France, sur l'antisémitisme classique et nouveau. Il est l'auteur de deux livres dont un sur l'antisémitisme. Il travaille actuellement à la suite de son ouvrage paru en 2007 sur l'antisémitisme ("They have conspired against you"). Olivier est aussi le directeur régional de Chosen People à Seattle.
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