L’anti-économique

Le ministre des Finances Bezalel Smotrich dirigeant une réunion de sa faction, à la Knesset, à Jérusalem, le 22 juillet 2024. (Crédit : Oren Ben Hakoon/Flash90)
Le ministre des Finances Bezalel Smotrich dirigeant une réunion de sa faction, à la Knesset, à Jérusalem, le 22 juillet 2024. (Crédit : Oren Ben Hakoon/Flash90)

Le plan économique présenté par le ministre des Finances Bezalel Smotrich porte mal son nom ; il n’est pas adapté à la situation actuelle de l’économie israélienne et ne répond pas aux besoins d’une société en guerre.

Les grandes lignes du budget 2025 dévoilées il y a quelques jours par Bezalel Smotrich ne constituent pas un plan économique ; il s’agit plutôt un plan « anti-économique », c’est-à-dire contraire aux exigences de l’économie israélienne, voire aux principes d’une bonne économie.

Le plan Smotrich part d’une bonne intention : ramener le déficit budgétaire à 4% du PIB en 2025, contre plus de 8% cette année. Pour y parvenir, le ministre israélien des Finances s’engage à économiser 35 milliards de shekels en agissant de deux façons : en réduisant certaines dépenses publiques et en augmentant les recettes fiscales.

Jusque-là, rien de surprenant. Là où le bât blesse, c’est que les mesures proposées pour atteindre les objectifs budgétaires sont à l’opposé des principes d’une gestion efficace des ressources publiques. En voici quelques exemples :

  • il est anti-économique de relever la tranche la plus basse de l’impôt sur le revenu (qui passera de 10 à 14%) sans toucher aux taux d’imposition touchant les tranches supérieures de revenu ;
  • il est anti-économique de geler les allocations sociales (familiales, vieillesse, handicap, etc…) alors que l’indexation sur le coût de la vie est indispensable lorsque l’inflation annuelle dépasse les 3% ;
  • il est anti-économique de bloquer le salaire minimum, mesure qui conduira à l’érosion de la valeur réelle des salaires les plus bas ;
  • il est anti-économique de faire des coupes transversales dans tous les budgets civils alors que l’argent manque cruellement à la santé, à l’éducation, etc… ;
  • il est anti-économique de relever la TVA (de 17 à 18%), ce qui aggravera d’autant la cherté de la vie et accélèrera le rythme de l’inflation ;
  • il est anti-économique de geler le salaire des fonctionnaires (et d’annuler les augmentations prévues pour 2025) sans parvenir à un accord salarial avec les centrales syndicales qui réclament une revalorisation des bas salaires.

En revanche, des mesures économiques qui auraient permis d’atteindre efficacement les objectifs du budget 2025 ont été écartées, comme :

  • le relèvement de l’impôt sur les sociétés (23% aujourd’hui),
  • l’imposition des niches fiscales (comme l’épargne professionnelle),
  • la suppression des allocations familiales progressives qui favorisent les familles nombreuses,
  • la vente d’une petite partie des énormes réserves en devises du pays (217 milliards de dollars fin août) pour financer aisément la dette extérieure,
  • la réduction du budget de fonctionnement de l’État, un pays en guerre n’a pas besoin d’un gouvernement pléthorique (32 ministres et 5 vice-ministres),
  • des coupes sèches dans les fonds de la coalition (destinés notamment aux partis ultra-orthodoxes).

Par ailleurs, le plan Smotrich repose sur une hypothèse problématique qui reste à vérifier : la guerre sur tous les fronts se terminera d’ici à la fin 2024. Or rien n’est prévu dans le cas d’un conflit qui se prolongerait en 2025, situation qui plongerait le pays dans un chaos économique et financier.

Dans tous les cas de figures, le plan Smotrich est contraire à toute logique économique : il ne prévoit aucun investissement pour relancer l’activité après la guerre, soutenir les entreprises en difficultés et accélérer la reconstruction des régions dévastées.

Mais aussi, et surtout, le plan Smotrich n’est pas seulement anti-économique : il est aussi anti-social. Les plus pauvres paieront le prix élevé de la guerre : ils percevront moins d’allocations et de salaires, mais ils paieront davantage d’impôts, directs et indirects.

à propos de l'auteur
Jacques Bendelac est économiste et chercheur en sciences sociales à Jérusalem où il est installé depuis 1983. Il possède un doctorat en sciences économiques de l’Université de Paris. Il a enseigné l’économie à l’Institut supérieur de Technologie de Jérusalem de 1994 à 1998, à l’Université Hébraïque de Jérusalem de 2002 à 2005 et au Collège universitaire de Netanya de 2012 à 2020. Il est l’auteur de nombreux ouvrages et articles consacrés à Israël et aux relations israélo-palestiniennes. Il est notamment l’auteur de "Les Arabes d’Israël" (Autrement, 2008), "Israël-Palestine : demain, deux Etats partenaires ?" (Armand Colin, 2012), "Les Israéliens, hypercréatifs !" (avec Mati Ben-Avraham, Ateliers Henry Dougier, 2015) et "Israël, mode d’emploi" (Editions Plein Jour, 2018). Dernier ouvrage paru : "Les Années Netanyahou, le grand virage d’Israël" (L’Harmattan, 2022). Régulièrement, il commente l’actualité économique au Proche-Orient dans les médias français et israéliens.
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