L’Allemagne se prépare à la guerre
Les évènements du Moyen Orient ont fait passer la guerre qui se déroule à moins de trois heures de Paris au second plan.
Pourtant la terre continue de tourner. La France et l’Allemagne sont sur une ligne de collision en matières économique et militaire, malgré toutes les démonstrations destinées à faire croire le contraire. Ce conflit que peu en Europe anticipaient, a été un révélateur pour l’Allemagne. On ne peut pas en dire autant en France.
Les nouveaux paradigmes géostratégiques ont déterminé les nouvelles orientations de la politique de défense Allemande, axée vers une guerre contre la Russie. La Bundeswehr doit désormais être prête à assumer un conflit de haute intensité, tel qu’il se déroule entre la Russie et l’Ukraine. Berlin a pour objectif explicite d’atteindre une puissance militaire qui la place au premier rang au sein de l’Otan et de l’UE.
Changement de la doctrine de défense allemande
Le conflit russo-ukrainien avait eu pour première conséquence la décision historique allemande, de convertir son armée, de défensive à offensive. Elle avait immédiatement consacré un budget de réarmement à hauteur de 100 milliards d’euros pour des fournitures, essentiellement d’origine américaine, au grand dam de la France qui pensait que les projets franco-allemands se traduiraient par de juteux contrats. Ce n’est pas le cas, car l’Allemagne veut être prête sans délai. Ce qui était mission impossible avec des projets non encore aboutis ou retardés, par la plupart, en raison des dissensions existantes.
Le ministre de la Défense, Boris Pistorius précise que la dissuasion contre Moscou est devenue la mission principale de la Bundeswehr.
L’accent est mis sur le fait majeur que c’est la Russie qui a ramené la guerre en Europe en 2022. Mais on passe sous silence la guerre menée par l’Otan en Yougoslavie en 1999. S’appuyant sur sa nouvelle force militaire et sa position en première ligne face à la Russie, Berlin revendique la place de leader militaire en Europe et un rôle de Co-commandement au sein de l’Otan. La diplomatie, force traditionnelle avant le changement de paradigmes, cède la place à la nouvelle doctrine de défense qui devient « l’instrument central » de la politique de sécurité allemande.
La Bundeswehr doit être opérationnelle en permanence. Ce qui implique une préparation intensive en temps de paix. Il faut une armée entièrement équipée dans tous les compartiments air-terre-mer. Ce que le ministre résume par une double formule « Son aptitude à la guerre est sa raison d’être primordiale » et « la volonté de se battre dans le but de réussir des combats de haute intensité »
Fissures dans la défense européenne
On entrevoit la ligne de collision avec la France, pour qui la possession de l’arme nucléaire représente encore l’alpha et l’Omega en matière de dissuasion, arguant qu’elle est la seule au sein de l’UE à la détenir.
Le conflit en Ukraine démontre que cela ne suffit pas. De plus la carte de l’Otan tend à se confondre avec celle de l’UE, à quelques exceptions près et l’Otan dispose d’ogives nucléaires opérationnelles en Allemagne
Deux chiffres montrent où se situe la ligne de fracture. Le PIB allemand se situe en 2023 autour de 4.430 milliards, celui de la France sera de l’ordre de 2.642 milliards.
Dans la liste des pays les plus riches, l’Allemagne occupe la quatrième place avant la France cinquième. Les États Unis demandent depuis plusieurs années que chaque pays-membre consacre 2 % de son PIB au budget militaire.
Le budget total de l’OTAN s’élève en 2022 à 2,6 Md €. Ce montant comprend un budget civil de 289 M€, le budget militaire de 1 562 M€ et le budget d’investissement de 790 M €.
La France (10,49 % du budget OTAN en 2021) se situe au quatrième rang des contributeurs derrière les États-Unis et l’Allemagne (16,34 % chacun) et le Royaume-Uni (11,28 %). Représentant 203 millions d’euros en 2022, la contribution française à l’Otan « pourrait atteindre » environ 833 M € en 2030 en euros constants. Actuellement 176 M € sont à la charge du ministère des Armées, tandis que la contribution au budget civil, à la charge du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, se monte à 27 M€. En 2030, le montant du budget militaire sera de 770 M € et celui du budget civil à 63 M € en 2030.
L’écart entre les deux pays est sans appel. Berlin qui s’engage à atteindre « au moins » ce niveau de contribution (voire même le dépasser) revendique légitimement de partager les leviers de commande.
L’Allemagne renverse sa doctrine initiale orientée vers ce qu’on appelle la projection dans des théâtres d’opération extérieurs (notamment Africains) tels que l’armée française le pratique depuis des décennies, avec les résultats que l’on sait.
Berlin veut simultanément accélérer la modernisation et étendre les infrastructures de son armée, augmenter, voire même créer de nouvelles capacités de production et de stockage, des équipements achetés ou auto produits ; y compris les munitions et mettre en oeuvre une industrie d’armement nationale et européenne. C’est sans doute sur ce dernier point qu’on doit s’attendre à des confrontations entre la position allemande et l’idée que la France se fait de son rôle, comme seule détentrice de l’arme nucléaire en Europe avec le Royaume Uni. Quel que soit la sémantique employée, la France aura du mal à accepter le leadership allemand. L’objectif de Berlin est de constituer une armée chargée d’une défense dite nationale et alliée. Il restera à définir le sens à donner à cette double notion, au sein de l’UE et de l’Otan.
L’Allemagne « état de première ligne » pendant la guerre froide en Europe qui a vu depuis des décennies des troupes alliées sur place, considère qu’elle doit avoir la capacité d’affronter l’adversaire désigné, la Russie, avec une force au moins égale à celle de l’adversaire, qui représente une menace immédiate pour sa souveraineté. Elle se voit comme la force centrale aux frontières de l’UE et à ce titre, il est déjà prévu le stationnement permanent de 5 000 soldats en Lituanie début 2024. La nouvelle doctrine remplace les précédentes de 2016 et 2018, sur le rôle de la Bundeswehr.
En 1992, la république fédérale affirmait pouvoir imposer militairement, si nécessaire « un accès sans entrave aux marchés et aux matières premières du monde entier » ce qui était plus une déclaration de nature politique que les prémisses d’interventions armées. L’Allemagne de 2023 reprend à son compte le slogan de 2013 « Nouveau pouvoir, nouvelle responsabilité » Ce qui se traduit par une volonté explicite d’assumer ce leadership militaire et très probablement politique grâce à sa prééminence économique, avec l’objectif de devenir rapidement le pilier fondamental de la défense conventionnelle en Europe, dotée de l’une des forces armées « parmi les plus puissantes d’Europe » On ne veut vexer personne. Mais on a bien vu les spécialistes militaires français affirmer que dans un conflit de haute intensité de même nature que celui d’Ukraine, la France aurait pu le poursuivre pendant trois semaines. Tout est dit. L’Allemagne aspire à devenir l’épine dorsale de la dissuasion européenne.
Les conséquences
Le ministre souligne de façon très lucide que ce changement de paradigmes impose un changement de mentalité non seulement au sein de la Bundeswehr nouvelle version, mais aussi dans la politique et dans la société. L’agression du Hamas contre Israël au même titre que l’invasion russe représentent une vive préoccupation pour l’Allemagne qui est le plus ferme soutien d’Israël en Europe et qui rejette l’idée d’un cessez le feu, contrairement à d’autres, dont le Haut Représentant de l’UE, qui le réclament. Ce qui correspondrait en fait à un retour au statu quo ante et donc un échec inacceptable pour Israël et le maintien du groupe terroriste.
On retire de cette évolution majeure que la France engluée dans ses problèmes intérieurs et ses ambiguïtés en politique étrangère aura beaucoup de mal à accepter cette nouvelle donne en Europe, sauf à revoir de fond en comble ses fondamentaux et faire des choix clairs et mettre un terme à une communication faite de messages brouillés et contradictoires, tant en politique intérieure qu’extérieure face à un islamisme qui n’en est plus au stade des menaces théoriques mais bien d’un danger omniprésent en Europe et plus encore en France.