L’alcoolique croit-il aux « arrière-mondes » ?
Jonathan Daudey a publié La Pharmacie de Nietzsche, L’Harmattan, en mars 2023. Dans cet extrait de la IIIe partie : « Éprouver la grande santé », chapitre 6 : « Une philosophie pour les vivants », pp. 163-194 et nous alerte à l’occasion du Dry january contre l’alcool, « ferment toxique qui nous fait croire aux arrière-mondes », selon Nietzsche.
2. Par-delà bières et vins : prélude à une philosophie de l’ivresse (1)
Spontanément, nous serions tentés de dire que Nietzsche et son œuvre ne sont pas étrangers à la notion d’ivresse, mais sans vraiment savoir pourquoi, sans pouvoir l’affirmer au-delà d’une seule impression. On a raison d’avoir cette intuition car on peut dénombrer pas moins de 250 occurrences du terme, aussi bien dans les fragments posthumes, les textes publiés et les lettres. V(ivre), en quelque sorte. La difficulté de ce terme d’ivresse est l’usage multiple qu’en fait Nietzsche, dépendant souvent de la direction et du sens qu’il souhaite donner. En effet, la multiplicité des interprétations de cette notion pourrait donner l’impression de contradictions incommensurables, de brisures terminologiques impossibles à cicatriser. C’est pourquoi nous avons choisi une perspective qui permettra d’ouvrir de nombreuses lignes de fuite, sans avoir l’ambition de tout dire concernant la notion d’ivresse. Nous ne pourrons pas tout dire, tout analyser mais je vais essayer d’ouvrir le plus possible de lignes et de diagonales afin d’élaborer un panorama de la notion d’ivresse autour du fil conducteur de l’affirmation et de la création. Dès lors, il conviendra de faire jouer l’ivresse contre l’ivresse dans un premier temps, c’est-à-dire de faire la distinction d’une part entre l’ivresse comme état d’ébriété fortement critiquée et moquée par Nietzsche, et d’autre part, l’état d’exaltation affirmative et créative qui se trouve être un des fils rouges du réseau notionnel du corpus nietzschéen. En effet, en raison de l’ambivalence de ce terme, nous poserons une distinction présente chez Nietzsche, afin de ne pas confondre ces significations et éviter tout contresens terminologique.
Notons une décroissance de son usage au fil des années, partant d’une surabondance du terme dans La Naissance de la tragédie ainsi que dans certains écrits de la même période. La raison première que nous pouvons déceler à cet égard, tant sur le plan conceptuel qu’historique, c’est l’importance notoire de la figure de Dionysos dans l’activation du terme d’ivresse, notamment à travers une approche avant tout esthétique. Ce point occupera la seconde partie de mon propos en cherchant à montrer comment l’ivresse se trouve être l’apanage du dionysiaque. Car, c’est dans et à partir de l’art que l’ivresse se déplie en tant que processus vital. C’est pourquoi je reviendrai sur l’acception de cette ivresse à partir de la figure emblématique de Dionysos afin de repréciser son sens premier dans les différents textes. Car, cette mise au point, somme toute brève, permettra d’interroger ce « Oui » proprement nietzschéen, en tant qu’il permet justement de montrer en quoi l’ivresse travaille en souterrain cet acquiescement inconditionnel à la vie, ou pour parler comme Deleuze, en faisant de Nietzsche un philosophe de l’affirmation (2). En effet, la pensée de Nietzsche se construit aussi autour de l’actif et du réactif, distinction qui se trouvent au cœur du régime nietzschéen de l’acquiescement à la vie. C’est pourquoi nous ferons glisser la notion d’ivresse dans son caractère actif, notamment en tant qu’elle permet d’invoquer la pensée de l’éternel retour qui se trouve être, d’après Nietzsche lui-même, le plus haut degré d’affirmation et d’acquiescement à la vie.
Dans un premier temps, il faut remarquer que l’ivresse telle que l’entend Nietzsche ne peut se réduire avec le fait même d’être saoul, d’être alcoolisé. Il n’y a pas de développement quelque peu élogieux chez Nietzsche concernant l’ivresse produite par la boisson, ou de développement savant de celui qui pratique, comme nous le pourrions le retrouver dans l’Abécédaire de Deleuze à la lettre B. Ce n’est seulement que par extension ou réduction de ce terme que nous pourrions ne parler que de cet aspect classique et dont la signification est première pour ce terme. En effet, il est question des acceptions bien plutôt métaphoriques. Il faut distinguer dans le texte de Nietzsche, l’ivresse comme Trunkenheit qui renvoie immédiatement à sa dénotation alcoolisée et l’ivresse comme Rausche ou Erfolg, dont les usages souvent synonymes revoient aux sens métaphoriques qui vont nous intéresser par la suite et qui sont au cœur de notre analyse. Lorsque Nietzsche parle de l’alcool ce n’est jamais pour le louer, à l’image de cette phrase issue de L’Antéchrist : « Le christianisme, l’alcool — les deux grands moyens de corruption (3)», ou encore lorsqu’il qualifie l’alcool de « poison européen (4)» dans Le Gai Savoir. Les attaques à l’encontre de l’alcool et de l’état d’ébriété sont multiples et relativement violentes. Un fragment court et efficace dit son rejet de ce mode l’ivresse, car on y lit simplement : « Contre l’ivresse [Gegen den Rausch] (5)». D’un point de vue biographique, Nietzsche montre comment les méfaits de l’alcool sur sa personne l’accablent : « Les boissons alcoolisées me font du mal ; un verre de vin ou de bière par jour suffit parfaitement pour que la vie me semble une « vallée de larmes » et de réveils amers (6)». Ajoutons que notre auteur semble trouver que « Manger et boire en société [sont] toujours répugnants (7)». Cette « ivresse agréable des boissons alcoolisées (8)» fait partie des « choses qu’[il] considère avec dédain (9)». Nietzsche développe une véritable diét-éthique de l’alcool et de l’ivresse qui l’accompagne, où les vins sont en vain (10).
En réalité, cette question de la bière est l’occasion pour Nietzsche de railler l’esprit Allemand tout entier (11), notamment lorsqu’il s’exclame : « Que de pesanteur chagrine, d’avachissement, de moiteur, de négligé pantouflard, que de bière on trouve dans l’intelligence allemande ! (12)». Et Nietzsche de moquer à nouveau David Strauss et son « allégeance » à la bière, symptôme supplémentaire de « la lente dégénérescence (13)» que provoque la bière dans l’esprit (14). L’alcool est compris comme une « drogue » qui abêti et alourdit l’esprit allemand, en faisant dégénérer la culture allemande mais aussi sa jeunesse emprise d’un alcoolisme qui semble généralisé (15). Tellement général, que même Wagner semble à Nietzsche alourdit par cet esprit allemand, tel qu’il le déplore dans Ecce Homo :
lorsqu’un jour je me réveillai à Bayreuth. Je crus rêver… Où étais-je donc ? Je ne reconnaissais rien, c’est à peine si je reconnaissais Wagner lui-même. Je feuilletais en vain mes souvenirs […] pas l’ombre d’une ressemblance ! Que s’était-il passé ? — On avait traduit Wagner en allemand ! Le « Wagnérien » l’avait emporté sur Wagner ! — L’art allemand ! Le maitre allemand ! La bière allemande ! (16)
A chaque fois qualifiées d’« allemandes », ces « vertus » (17) comme Nietzsche les appelle ironiquement, font de l’alcool un révélateur de l’abrutissement d’un peuple, de la décadence d’une civilisation, du déclin d’une culture, ici allemande. Dans un paragraphe d’Aurore, intitulé « Ivresse et nutrition », Nietzsche s’interroge en ces termes à propos du « goût populacier qui donne plus d’importance à l’ivresse qu’à la nourriture » (18):
Les peuples ne sont tellement trompés que parce qu’ils cherchent toujours un trompeur : c’est-à-dire un vin excitant pour leurs sens. Pourvu qu’ils puissent se le procurer, ils se contentent volontiers de mauvais pain. L’ivresse leur importe plus que la nourriture — voilà l’appât auquel ils mordront toujours (19) !
En ce sens, la consommation de boissons alcoolisées ne produit pas une véritable ivresse, ou du moins, un processus d’ivresse ouvrant sur une création active et légère, joyeuse et vivante. Non, l’alcool sert à retrouver une ivresse que plus personne n’arrive à atteindre par manque de force, de puissance, de volonté. Le désir d’ébriété témoigne d’un « vide » (20) ou d’un « sentiment du désert » (21) à combler par la boisson, pour éviter l’absence d’ivresse et la sécheresse de son existence, mais qui se trompe de versant pharmacologique. Là où elle est prise comme un remède à l’impuissance d’une ivresse vivante, elle se condamne à n’être qu’un poison, qui tourmente l’esprit, chagrine le corps. Il n’y a pas de bonté du vin ou de gloire de la bière, mais véritablement, chez Nietzsche, un marqueur navré et stupéfait de cet alcoolisme qui singe l’ivresse, de cette ivresse qui n’en a que le nom et peut-être l’effet artificiel, faux, illusoire. Si nous pouvons faire ce lien avec l’ébriété comme illusion d’ivresse, c’est parce que cette ivresse factice a le même usage que certaines représentations qui « remplissent le même office que le vin » (22) car « elles exaltent, réjouissent, réconfortent, mais à hautes doses elles engendrent l’ivresse et à doses répétées un besoin dont l’insatisfaction rend la vie désolée et intolérable » (23). C’est à cet égard que christianisme et alcool détiennent selon Nietzsche le même statut pharmacologique de poison ou de drogues, car il affirme que ce besoin de spiritualité est similaire à ce besoin d’enivrement alcoolisé (24).
Nietzsche appelle cela « nos petites jouissances » (25), avec aussi le travail, le sacrifice, le fanatisme, la connaissance…etc., qui sont en réalité des tromperies, des mensonges à nous-mêmes, des « ruses de comptables » (26) et qui « provoque des saturnales » (27). Nous croyons qu’en multipliant les variétés d’enivrements nous augmenterons notre jouissance. Or, cette morale utilitariste n’est pour Nietzsche qu’un soin palliatif qui ne sert qu’à faire « contrepoids à ce vide » (28) ou « à remplir ce vide » (29). La « tentative de dépasser cet état par l’ivresse » (30), c’est-à-dire de tenter de répondre à la question « où et comment fuir ? », ne peut en passer par cet ersatz d’ivresse selon Nietzsche, car elle est l’expression même de la « faiblesse de la volonté » (31), là où l’ivresse doit se constituer en tant que processus de vie, de création, de force, de puissance, d’affirmation.
C’est bien plutôt à partir de ces acceptions métaphoriques nombreuses et riches qu’il nous faut débuter notre analyse. L’ivresse doit se comprendre ici dans le déménagement de sens que produit le travail interprétatif nietzschéen. Car, « l’homme […] atteinte la volupté d’exister dans deux états, le rêve et l’ivresse » (32) comme l’écrit Nietzsche. Laissons pour le moment de côté le rêve comme dimension apollinienne, car c’est « l’art dionysiaque au contraire [qui] repose sur le jeu avec l’ivresse, avec l’extase » (33). Mais, comme je le remarquais dans l’introduction, si c’est dans la Naissance de la tragédie et dans les fragments de la même période que les occurrences sont les plus foisonnantes, c’est parce que le point de départ du sens de l’ivresse se trouve dans la « psychologie de l’artiste », c’est-à-dire dans la logique qui est à l’œuvre dans l’acte de la création artistique. Il faut ici considérer le terme de « logique » avec prudence, puisque Nietzsche condamne la logique comme discipline contraire au fonctionnement même du vivant. Si l’ivresse se trouve être une pièce maitresse de la logique de la création artistique chez Nietzsche c’est justement parce qu’elle contrevient clairement à toute logique classique et à toute dialectique de type hégélienne. D’une certaine manière, la condition nécessaire pour qu’il y ait art, c’est-à-dire création, c’est la présence d’une ivresse en l’homme, trouvant son origine là où elle peut être produite, diffusée, exploitée. Avant de nous saisir de tout l’appareil nietzschéen ainsi que des figures « bipolaires » (34) concernant la dimension esthétique de son œuvre, il faut nous arrêter sur un texte central que nous trouvons dans le Crépuscule des idoles, un développement des plus clairs sur une possible explication du sens de l’ivresse, dont je vous donne ici l’extrait en lecture et à partir duquel nous déplierons l’ivresse à la manière d’un origami :
A propos de la psychologie de l’artiste. Pour qu’il y ait de l’art, pour qu’il y ait un acte et un regard esthétique, une condition physiologique est indispensable : l’ivresse. Il faut d’abord que l’excitabilité de toute la machine ait été rendue plus intense par l’ivresse. Toutes sortes d’ivresses, quelle qu’en soit l’origine, ont ce pouvoir, mais surtout l’ivresse de l’excitation sexuelle, cette forme la plus ancienne et la plus primitive de l’ivresse. Ensuite, l’ivresse qu’entraînent toutes les grandes convoitises, toutes les émotions fortes. L’ivresse de la fête, de la joute, de la prouesse, de la victoire, de toute extrême agitation, l’ivresse de la cruauté, l’ivresse de la destruction — l’ivresse née de certaines conditions météorologiques (par exemple le trouble printanier), ou sous l’influence des stupéfiants, enfin l’ivresse de la volonté, l’ivresse d’une volonté longtemps retenue et prête à éclater. L’essentiel, dans l’ivresse, c’est le sentiment d’intensification de la force, de la plénitude (35).
Ce paragraphe cherche à lister les modes d’ivresses et leurs sources possibles ayant toutes le même sentiment commun, ce que Nietzsche appelle « intensification de la force » (36). De plus, notons que l’usage de stupéfiants pour mener à l’ivresse n’est qu’une modalité et non pas le cœur fondamental de ce sentiment. Si l’ivresse nietzschéenne a tout de même un lien avec ce mode trivial de l’ivresse c’est à travers la sensation qui traverse le corps, qui libère l’esprit et gonfle les muscles, comme une tornade ou un tourbillon qui s’empare violemment de soi. Excitation sexuelle, grandes convoitises, émotions fortes, fête, joute, prouesse, victoire, agitation, cruauté, destruction, printemps sont autant de moments où un corps peut être transi de cette ivresse, ce moment où nous nous sentons emportés hors de nous, de manière extatique. Notons tout de même une progression dans la pensée nietzschéenne concernant la thématisation des perspectives sur l’ivresse. En effet, dans son texte de jeunesse intitulé La vision dionysiaque du monde, il réduit l’ivresse à seulement deux sources, que sont « l’instinct printanier et la boisson narcotique » (37). Nous remarquons que si la question du rapport entre la boisson et l’ivresse ne demeure en fin de compte qu’un aspect anecdotique de l’ivresse, Nietzsche exprime tout de même le projet de l’ivresse en affirmant qu’« un nouvel exposé de l’esthétique devra partir du fait que l’homme prend plaisir à toutes les stimulations de l’âme en tant que telles, qu’émotions justement, même aux plus douloureuses : il veut l’ivresse. L’art en se jouant l’émeut à la douleur, aux larmes, à la colère, au désir, mais sans fâcheuses conséquences pratiques » (38). Voilà la différence entre « l’instinct printanier et la boisson narcotique » (39). Ce qui signifie immédiatement que Nietzsche observe la sensation de l’ivresse indépendamment de sa cause, tant qu’elle n’est pas factice comme celle produite par l’alcool notamment : qu’importe la provenance pourvu qu’il y ait de l’ivresse. Néanmoins, cette intensification de la force promet une énergie à la vie, en lui prodiguant un mouvement qui dépasse le sujet tout en le conservant dans son corps. Le texte nous engage à revenir sur la question esthétique, car l’ivresse se constitue comme une condition nécessaire de l’art et de la création. Or, l’art est une perspective de l’ivresse et non pas sa condition : la figure de Dionysos que nous allons progressivement invoquer n’est pas chasse gardée de l’art, bien qu’elle se déploie dans les pages de La Naissance de la tragédie. Néanmoins, l’ivresse permet de récuser un certain type de conception de la création artistique de l’époque de Nietzsche et qui deviendra la source de l’art wagnérien, en tant que mettant en scène en jeu l’ivresse de la force, de la puissance, de la victoire, de la création, de la destruction. Lisons ce passage de « Richard Wagner à Bayreuth » :
chez Wagner, toutefois, les proportions sont plus amples, plus long est le chemin parcouru. Tout participe à cette purification et l’exprime, non seulement le mythe mais aussi la musique ; je trouve dans l’Anneau du Nibelung la musique la plus morale que je connaisse, dans la scène par exemple où Brunhilde est éveillée par Siegfried ; Wagner accède là à une hauteur et à une sainteté dans l’émotion qui évoque le flamboiement des glaciers et des sommets enneigés des Alpes —, la nature se dresse là si pure et si solitaire, si inaccessible et si impassible, illuminée par l’amour ; les nuages et les orages, et même le sublime sont au-dessous d’elle. Si de là nous jetons un regard en arrière sur Tannhäuser et le Hollandais, nous sentons comment s’est fait l’homme Wagner : ses débuts sombres et anxieux, sa quête impétueuse de satisfaction, sa recherche obstinée de la puissance et de l’ivresse du plaisir, et bien souvent, son dégoût, ses tentatives de jeter bas le fardeau, ses désirs d’oublier, de se nier, de renoncer — le torrent tout entier se précipitait tantôt dans une vallée, tantôt dans une autre et se creusait un chemin dans les gorges les plus profondes (40)
En ce sens, l’ivresse n’a rien à voir, par exemple, avec l’inspiration romantique. Cette intensification n’a pas de transcendance verticale mais est purement immanente à la vie. En d’autres termes, l’ivresse permet d’écarter l’idée même d’un génie en art qui consisterait en « un miracle tout à fait démesuré (41) ». L’ivresse répond de l’art dans la mesure où justement elle se vit dans le corps, comme un décuplement des forces et de l’énergie vitale. Il y a un vitalisme — non-bergsonien — chez Nietzsche que l’on retrouve exprimé dans cette notion d’ivresse. L’ivresse est vitale car elle engendre, parce qu’elle crée et se diffuse, c’est-à-dire qu’elle met le corps de l’artiste en mouvement, en action, en le traversant et en l’animant. En effet, c’est l’idée appuyée à la suite par Nietzsche lorsqu’il réaffirme la définition en écrivant que l’ivresse « [est] ce sentiment qui pousse à mettre de soi-même dans les choses, à les forcer à contenir ce qu’on y met, à leur faire violence (42) ». Dans un fragment posthume d’automne 1887 intitulé « Aesthetica », Nietzsche énumère « les états où nous mettons une transfiguration et une plénitude dans les choses et les élaborons imaginativement jusqu’à ce qu’elles réfléchissent notre propre plénitude et notre propre plaisir de vivre (43) », parmi les lesquels nous retrouvons « l’ivresse » (44). Elle fait partie des trois éléments essentiels avec l’« impulsion sexuelle » (45) et la « cruauté » (46) comme « prédominants chez l’« artiste » dans son état initial » (47). Nous remarquons l’importance donnée à la puissance, à la force comme moteur premier de la création artistique et son expression. Nietzsche poursuit alors son propos, ce qui peu à peu va nous amener à considérer la figure philosophique et esthétique de Dionysos :
Dans cet état, l’on enrichit tout de sa propre plénitude, tout ce que l’on voit, tout ce que l’on veut, on le voit gonflé, tendu, fort, plein à craquer de force. L’homme qui connaît cet état transfigure les choses jusqu’à ce qu’elles lui renvoient l’image de sa puissance : jusqu’à ce qu’elles ne soient plus que des reflets de sa perfection. Ce qui l’oblige à tout transfigurer, à tout rendre parfait, c’est l’art. Même tout ce qu’il n’est pas devient, malgré tout, pour l’homme une occasion de jouir de son être dans l’art ; l’homme tire jouissance de se voir parfait (48).
Nietzsche installe l’importance du lien entre puissance et transfiguration au cœur de l’ivresse et de ce qu’elle produit en l’homme. Ceci permet d’éclairer l’idée selon laquelle à travers l’ivresse dionysiaque « l’homme n’est plus artiste, il est devenu œuvre d’art (49) ». L’acte de création se combine avec un acte de transfiguration réclamant une force que l’on trouve dans l’ivresse. C’est à travers ce geste, à travers cet acte de création que la figure de Dionysos peut être invoquée en tant qu’elle absorbe les aspects fondamentaux joignant ivresse, création artistique et affirmation. Cette liaison s’exprime de cette manière : « la création de l’artiste dionysiaque est un jeu avec l’ivresse (50) ». L’opération qui permet à l’artiste de rejoindre ivresse et création dans son activité est un jeu, ajoutant au caractère à la fois léger et non systématique qui travaille le geste de création. En ce sens, l’ivresse est un vécu, c’est-à-dire que c’est dans mon corps que je suis traversé par ces diagonales, par ces vrilles que j’éprouve comme sensation d’ivresse : en effet, Nietzsche insiste sur le fait que « cet état ne peut être compris que par analogie, si on ne l’a pas soi-même éprouvé : c’est quelque chose comme lorsque l’on rêve et qu’en même temps on sent que le rêve est rêve » (51), ajoutant que « le serviteur de Dionysos doit être en état d’ivresse et en même temps rester posté derrière soi-même comme un guetteur. Ce n’est pas dans l’alternance entre lucidité et ivresse, mais dans leur simultanéité, que se fait voir l’état esthétique dionysiaque » (52). De ce fait, ce jeu se présente non pas comme une posture artificielle mais comme un processus recouvrant lucidité et ivresse, conscience et spontanéité, réflexion et activité, sans que l’un empiète sur l’autre, ou le remplace, ou disparaisse.
Dès lors, la présence de la figure de Dionysos, ainsi que son contradictoire Apollon, permet de thématiser ces processus vitaux de la création et de constituer cette superposition nécessaire et fondamentale, se situant tout au long de la création, d’une œuvre d’art ou d’une philosophie. Dès le premier paragraphe de La Naissance de la tragédie, Nietzsche annonce l’emprunt de ces deux dieux grecs de l’Antiquité. Ces deux figures, qui vont être au cœur de cette ouvrage majeure et inclassable, sont à comprendre comme deux « pulsions artistiques (53)», c’est-à-dire que c’est leur expression et dimension symboliques qui vont être actives. L’artiste se trouve aux prises d’une lutte entre ces deux impulsions esthétiques et de création. Il faut insister sur un point : l’apollinien et le dionysiaque n’ont pas le même statut conceptuel que la représentation et la volonté chez Schopenhauer, ou la chose en soi et le phénomène chez Kant (54). Ni l’apollinien ni le dionysiaque ne sont des essences qui s’excluent mutuellement de manière purement critique. Par-delà cette discrimination terminologique au cœur du geste artistique, ces deux figures sont des impulsions qui marchent de front et s’affrontent pour la domination d’une typologie sur l’autre. Dès lors, pour le dire brièvement et schématiquement, l’ivresse dionysiaque, quand elle prend le pas sur le rêve apollinien, semble faire disparaitre les belles apparences ordonnées. Néanmoins, il serait un raccourci d’en conclure que nous aurions un meilleur accès à la réalité ou à une vérité du monde. Au contraire, la conception dionysiaque nous amène vers un Abgrund, c’est-à-dire bien plutôt un souterrain indéchiffrable ou un abîme sans fond « insondable » (55). Au lieu de parler de Grund, Nietzsche utilise bien plutôt l’idée d’un souterrain [Untergrund] ou d’un arrière-fond [Hintergrund], ce qui n’engage pas nécessairement l’intervention classique d’une prétendue plus grande profondeur de l’un par rapport à l’autre. En ce sens, il faut se souvenir que Nietzsche est aussi un philosophe de la marge, mettant en scène l’image de la taupe comme au début d’Aurore. Cette marge immanente peut prendre la forme d’un souterrain, d’un lieu enraciné dans le sol, sans pour autant signifier que la profondeur serait une vertu. Comme le montre Deleuze (56), l’art est compris avant tout par Nietzsche comme « stimulant de la volonté de puissance » et « excitant du vouloir ». Les descriptions et références aux fêtes grecques — qui n’ont rien des fêtes allemandes — témoignent de cette immense excitation, de cette force qui doit accompagner la création artistique mais aussi la vie elle-même, en tant qu’elle est à proprement parler volonté de puissance. De ce fait, Nietzsche précise que « dans l’état dionysiaque, au contraire, c’est l’ensemble de la sensibilité qui est excité et exacerbé au point de décharger d’un seul coup ses moyens d’expression et d’intensifier à la fois son pouvoir de représentation, d’imitation, de transfiguration, de métamorphose, tous les modes de l’art du mime et du comédien (57)».
C’est à travers ces différentes analogies aux ivresses ainsi qu’à ses métamorphoses par le biais desquelles l’ivresse dionysiaque se communique que nous devons comprendre comment l’ivresse du dionysiaque se précise comme processus et non comme essence. Ajoutons à cela que l’art n’a rien de désintéressé, c’est-à-dire que je ne suis pas spectateur de la beauté sans un intérêt. Or, cet intérêt, Deleuze appuyant Nietzsche, ne doit pas être compris de manière réactive et négative, mais dans un accroissement de la volonté de puissance et du sentiment de force. En guise d’expérience personnelle pour appuyer cette idée, Nietzsche décrit la manière dont se vit l’ivresse, notamment à travers un fragment dans lequel il exprime sa gratitude après la lecture de Siegfried Lipiner, un auteur autrichien qui l’aura impressionné, lui et Wagner : « Le plus beau succès quand on est forcé de poser le livre — reprendre haleine ; larmes d’intense ravissement, ivresse de nager dans des flots d’harmonie qui vous font fermer les yeux, comme plongeant dans les profondeurs bleues de la mer italienne ; cette mélancolie dans le saisissement de voir plus loin que nous-mêmes, humiliés à nos propres yeux. (58)» L’ivresse dionysiaque est cet excitant du vouloir, qui combine « horreur » et « extase délicieuse », tel que Nietzsche le présente en ces termes :
Si nous ajoutons à cette horreur l’extase délicieuse que la rupture du principium individuationis fait monter du fond le plus intime de l’homme, ou même de la nature, alors nous nous donnerons une vue de l’essence du dionysiaque que l’analogie de l’ivresse nous rendra plus proche encore. Que ce soit sous l’influence du breuvage narcotique dont parlent dans leurs hymnes tous les hommes et les peuples primitifs, ou lors de l’approche puissante du printemps qui traverse la nature entière et la secoue de désir, s’éveillent ces émotions dionysiaques qui, à mesure qu’elles gagnent en intensité, abolissent la subjectivité jusqu’au plus total oubli de soi (59).
Dans l’ivresse, je m’oublie moi-même je disparais, que je sois créateur ou spectateur, je me situe dans une pure immédiateté vis-à-vis de ma vie, sans décalage, dans une extase immanente à ma propre vie dans sa pure affirmation d’elle-même. C’est le sens de cet oubli de soi doublé d’une rupture du principe d’individuation. Mais il faut être prudent sur ce point dans le rapport que Nietzsche entretient à l’art, notamment en ce qui concerne la musique : si nous suivons la célèbre maxime 33 du Crépuscule des idoles qui déclare que « sans la musique, la vie serait une erreur », cela ne génère pas chez Nietzsche le projet d’inonder le monde de musique dans le but d’accroitre l’ivresse comme affirmation et intensification de la volonté. Ce serait faire de Nietzsche un « philistin de la culture », tel qu’il les désigne ainsi : « Voici des hommes qui voudraient rendre le monde entier ivre de musique et qui pensent que ce serait l’avènement de la culture ; jusqu’à présent, pourtant, après l’ivresse venait toujours autre chose que la culture (60)». Il faut à nouveau être méfiant d’une perspective utilitariste de l’ivresse de la musique, de la fête, qui voudrait à nouveau se constituer non pas comme devenir-actif mais comme pure réaction. Ce qui hiérarchise une œuvre musicale ce n’est pas tant sa place dans la culture ou dans la morale, c’est son aptitude à générer une ivresse qui déplie en soi, avec plus ou moins de violence et d’enthousiasme, tel que Nietzsche l’exprime ici : « La meilleure musique n’est que peu de chose, si la voix et l’art d’un chanteur, d’une cantatrice ne nous plongent dans une douce ivresse — dans ce cas-là une musique médiocre se trouve indiciblement relevée ! (61) ».
Dès lors, si l’ivresse permet de donner son sens véritable à l’art en tant qu’affirmation et création, quelle serait la position authentiquement contraire à l’art ? Existe-t-il des artistes qui s’en excluent ? En effet, l’introduction de sa dimension culturelle amène à penser qu’il existerait peut-être dans la pensée de Nietzsche des adversaires de l’art, c’est-à-dire des artistes qui détourneraient l’art vers d’autres intérêts et d’autres forces réactives et négatives. A cet égard, Nietzsche insiste à nouveau dans Humain trop humain : « Le génie ne fait rien que d’apprendre d’abord à poser des pierres, ensuite à bâtir, que de chercher toujours des matériaux et de travailler toujours à y mettre la forme. Toute activité de l’homme est compliquée à miracle, non pas seulement celle du génie : mais aucune n’est un « miracle » (62)». Comme nous le montrions précédemment, s’il y a génie ce n’est pas tel que conceptualisé classiquement, comme pénétré par une grâce ou une lumière divine et transcendante, dont l’artiste ou le philosophe ne seraient que des pantins. Cette position vis-à-vis de l’art serait proprement anti-dionysiaque et « chrétienne » :
Il serait licite d’imaginer un état contraire, un caractère spécifiquement anti-artistique de l’instinct, une manière d’être qui appauvrisse les choses, les vide de leur substance, les anémie. Et, de fait, l’Histoire est riche en semblables anti-artistes, insatiables voraces, en affamés de la vie, qui ne peuvent s’empêcher de consommer les choses, de les dévorer, de les décharner. C’est, par exemple, le cas du vrai chrétien ainsi Pascal. Un chrétien qui serait également artiste, cela n’existe pas. Que l’on ne pousse pas la puérilité jusqu’à m’objecter Raphaël, ou aucun des chrétiens homéopathes du XIXe siècle. Raphaël disait « oui », Raphaël faisait « oui » de tout son être par conséquent, Raphaël n’était pas chrétien… (63)
Nous voyons combien l’ivresse, dans son versant dionysiaque et esthétique tend vers un refus de la négation du monde, du corps, de l’immanence, de la réalité. Or, même s’il y a un certain réalisme dans la pensée de Nietzsche, qui nous amène à penser la question de l’éternel retour en tant que forme d’acquiescement à la vie. Néanmoins, il faut dès à présent interroger ce que Nietzsche entend par « dire oui » et « faire oui ». Raphaël sert ici d’impulsion, de type de cette affirmation travaillant l’art à partir de cette ivresse affirmatrice. Car, comme nous l’avancions précédemment, l’ivresse n’est pas l’apanage de la question esthétique, bien qu’elle y trouve une de ses sources qui active ce processus. Le paradoxe est fort : malgré les représentations religieuses que Raphaël a pu produire, il n’est pas chrétien, c’est-à-dire réactif. Que faut-il alors comprendre à travers cette ivresse comme énergie du Oui ?
3.Dire Oui : éternelle affirmation et volonté vers la puissance
Si Nietzsche annonce une métaphysique esthétique dans La Naissance de la tragédie, nous pouvons attribuer à l’ivresse, ainsi qu’à son versant dionysiaque, l’idée d’une esthétique de l’existence et de la vie. En effet, dans sa « Dédicace à Richard Wagner » qui ouvre ce texte, Nietzsche affirme qu’il tient « l’art pour la tâche suprême et l’activité proprement métaphysique de cette vie » (64). L’ivresse, en question de manière centrale dans le propos esthétique de Nietzsche, glisse peu à peu vers ce que nous avons appelé avec Deleuze, une philosophie de l’affirmation qui se trouve être une éthique. Elle prend son sens à travers un travail interprétatif et évaluateur de la vie, visant un acquiescement à la vie. Qu’est-ce que cette herméneutique de l’affirmativité ? Nietzsche nous convie à multiplier les « oui ». Il ne faut pas seulement se contenter de jeter ce soupçon hyperbolique à la face aux choses, c’est-à-dire une critique qui serait purement réactive. L’affirmativité nietzschéenne va jusqu’à cet effort, cette endurance qui nous pousse à ne pas se résigner aux illusions, mais à leur dire oui comme illusions vitales, en comprenant une illusion vitale en tant que force qui va dans le sens de la vie. On est confronté à du simple, de l’immédiat chez Nietzsche, qui s’avère extrêmement problématique. C’est pourquoi il faut comprendre qu’un agencement est vrai s’il favorise la vie dans la mesure où toute solution est en fin de compte le problème. Dès lors, Nietzsche n’est pas seulement un pourfendeur d’idoles et la philosophie à coups de marteau ne peut se réduire qu’à un geste de pensée réactif, négateur et destructeur. L’importance de la création et de l’activité est primordiale. Le marteau conserve bien évidemment son rôle niant et négateur, car tout oui est précédé d’un non d’une certaine manière ; mais, ce marteau doit être compris à la manière de l’outil du sculpteur par exemple, qui est contraint à détruire de la matière afin de laisser apparaitre une création ; ce marteau est aussi celui du piano forte, qui vient frapper la corde tendue, générer un déséquilibre qui ouvre une résonance créant ainsi un son, un accord. Philosopher à coups de marteau ou à l’aide d’un marteau ne peut se réduire à une activité de destruction, car tout travail critique doit ouvrir sur de l’affirmatif, de l’actif, sur un Oui. A cet égard, Nietzsche lève son verre aux voeux de Nouvel An, comme pour faire un chèque en blanc à la vie elle-même, sans pour autant faire de Nietzsche un philosophe réactif ou réactionnaire (65) :
Pour la nouvelle année. — Je vis encore, je pense encore : je dois vivre encore, car je dois encore penser. Sum, ergo cogito : cogito : ergo sum. Aujourd’hui, chacun ose exprimer son vœu et sa pensée la plus chère : soit ! Je veux donc dire moi aussi ce qu’aujourd’hui je me souhaitais à moi-même et quelle pensée a cette année été la première à traverser mon cœur – quelle pensée doit être le fondement, la garantie et la douceur de toute pensée à venir ! Je veux toujours plus apprendre à voir la nécessité dans les choses comme le beau – ainsi serai-je l’un de ceux qui rendent belles les choses. Amor fati : que cela soit à présent mon amour ! Je ne veux mener aucune guerre contre le laid. Je ne veux pas accuser, je ne veux pas même accuser les accusateurs. Que détourner le regard soit mon unique négation ! Et, en tout et pour tout, et en grand : je veux, en n’importe quelle circonstance, n’être rien d’autre que quelqu’un qui dit oui (66).
C’est dans la pensée de l’éternel retour que toute la question de l’ivresse comme intensification de la force et comme volonté acquiescement à la vie. Car, si l’éternel retour se formule comme un défi qui nous est lancé afin de savoir si nous aimons la vie dans une telle affirmation que nous pouvons en désirer, en vouloir le retour à l’identique, il faut aussi comprendre l’éternel retour en tant que force de création et de transvaluation des valeurs.
Dans Ecce Homo, Nietzsche produit un travail d’explications, autant de clarification que de comptes à régler. Il écrit, lorsque vient le moment d’interroger l’écriture d’Ainsi parlait Zarathoustra que « la conception fondamentale de l’œuvre, l’idée de retour éternel, [est] la forme la plus haute d’acquiescement qui puisse être atteinte » (67). Avec clarté, Nietzsche tue dans l’œuf les possibles interprétations évaluant l’éternel retour comme doctrine et comme théorie cosmologique. Il y a une véritable éthique de l’éternel retour, une sorte de test que les hommes s’infligent et dont les annonces, dans Zarathoustra ainsi qu’au paragraphe 341 du Gai Savoir, sont de véritables tragédies pour ceux qui reçoivent cette annonce. En effet, s’il y a une philosophie morale chez Nietzsche, ce n’est certainement pas au sens des morales de la métaphysique occidentale, ni celle des grands moralistes français (Chamfort, La Bruyère, La Rochefoucauld), car réactive pour les premiers et trop simplement soupçonneuse pour les seconds : il y a une activité affirmative qui se joue et s’évalue au cœur même de l’éternel retour comme plus haut degré d’acquiescement, comme Grand Oui. C’est ce que Nietzsche raille et dénonce dans le livre premier du Gai Savoir. C’est le type du nihilisme, l’expression de « la volonté de néant » (68), qui n’est autre que le devenir-réactif des forces et dont l’éternel retour permet la destruction active, dans son geste propre de « négation active » (69) et « puissance affirmative » (70). Agir dans sa vie dans un acquiescement total, affirmant un « oui » qui rend soutenable la légèreté de l’être, voici l’impératif catégorique nietzschéen de la pensée de l’éternel retour qui ne peut trouver sa source et sa raison dans une ivresse, presque folle et tournoyante. Deleuze écrit en ce sens que « l’éternel retour donne à la volonté une règle aussi rigoureuse que la règle kantienne » (71) puisque « l’éternel retour est la nouvelle formulation de la synthèse pratique : Ce que tu veux, veuille-le de telle manière que tu en veuilles aussi l’éternel retour » (72). Nous retrouvons dès lors la puissance ou la force active de l’ivresse première qui se traduit dans la perspective d’une pensée de l’affirmation et d’une volonté d’acquiescement à la vie comme puissance du devenir, Nietzsche évoquant « la volonté d’ivresse » (73), une forme de la volonté de puissance propre aux « nouvelles Lumières [die Neue Aufklärung] (74)».
Débordante de courage, la plus vivante et la plus affirmative : c’est en ce sens que l’ivresse se trouve au cœur de l’éternel retour en tant qu’elle est son processus, ce qui permet à la vie d’ouvrir des perspectives actives, affirmatives, qui veulent. C’est à cet endroit que l’éternel retour se présente comme volonté de transvaluation c’est-à-dire création de nouvelles valeurs, sur le mode esthétique vers une éthique, où le philosophe se fait artiste dans son geste de législateur : il doit créer des valeurs. Deleuze le montre clairement en disant que « l’éternel retour fait du vouloir quelque chose d’entier » (75) dans la mesure où « la pensée de l’éternel retour élimine du vouloir tout ce qui tombe hors de l’éternel retour » (76) en faisant « du vouloir une création » (77), en effectuant l’équation « vouloir = créer ». Tel que l’annonce Zarathoustra, « ce monde devant lequel vous vous pouvez agenouiller, encore le voulez créer (78) ; c’est là votre espérance ultime et votre ultime ivresse » (79). Transformer les valeurs c’est leur offrir une nouvelle forme, déracinées du sol malade dans lequel elles étaient plantées. Or, en botanique, quand une plante est malade, rien ne sert de la planter la tête en bas, mais il faut changer son terreau — il faut la trans-vaser et lui offrir une nouvelle éthique affirmative et créatrice, qui veut la vie, qui veut l’ivresse.
4.Éradiquer le bonheur, prescrire la joie
Il nous faut alors un corps ivre et jamais ivrogne, ne cherchant pas à être créatif par le biais du récréatif. Car, même si, comme le soulève Camus à juste titre, « L’évolution du corps comme celle de l’esprit a son histoire, ses retours, ses progrès et son déficit » (80), il est nécessaire que considérer que « c’est sur ce balancement qu’il faudrait s’arrêter : singulier instant où la spiritualité répudie la morale, où le bonheur naît de l’absence d’espoir, où l’esprit trouve sa raison dans le corps. S’il est vrai que toute vérité porte en elle son amertume, il est aussi vrai « que toute négation contient une floraison (81) de « oui » ». Réjouir le corps c’est avant tout le faire jouir. Manger, danser, nager, marcher, humer, respirer, dormir, aimer sont autant de palliatifs à la douleur de vivre et l’angoisse de penser, c’est-à-dire des nourritures philosophiques en tant que la philosophie trouve dans la douleur et l’angoisse son tremplin et son impossibilité. C’est pourquoi il est de bon ton de revenir sur une notion majeure sous laquelle la philosophie a souvent flanché, par laquelle elle s’est souvent laissée aveugler par son flou caractéristique : le bonheur.
Toute l’inefficience de la notion de bonheur, dans la sphère purement philosophique comme dans la sphère quotidienne se trouve dans ces mots de Schopenhauer :
Tout vouloir procède d’un besoin, c’est-à-dire d’une privation, c’est-à-dire d’une souffrance. La satisfaction y met fin ; mais pour un désir satisfait, dix au moins sont contrariés ; de plus le désir est long, et ses exigences tendent à l’infini ; la satisfaction est courte, et elle est parcimonieusement mesurée. Mais ce contentement suprême n’est lui-même qu’apparent : le désir satisfait fait place aussitôt à un nouveau désir ; le premier est une déception reconnue, le second est une déception non encore reconnue. La satisfaction d’aucun souhait ne peut procurer de contentement durable et inaltérable. C’est comme l’aumône qu’on jette à un mendiant : elle lui sauve aujourd’hui la vie pour prolonger sa misère jusqu’à demain – Tant que notre conscience est remplie par notre volonté, tant que nous sommes asservis à l’impulsion du désir, aux espérances et aux craintes continuelles qu’il fait naître, tant que nous sommes sujets du vouloir, il n’y a pour nous ni bonheur durable, ni repos. Poursuivre ou fuir, craindre le malheur ou chercher la jouissance, c’est en réalité tout un : l’inquiétude d’une volonté toujours exigeante, sous quelque forme qu’elle se manifeste, emplit et trouble sans cesse la conscience ; or, sans repos le véritable bonheur est impossible. Ainsi le sujet du vouloir ressemble à Ixion attaché sur une roue qui ne cesse de tourner ; aux Danaïdes qui puisent toujours pour emplir leur tonneau, à Tantale. (82)
Et cet effort perpétuel du vouloir permet de traduire bonheur en ennui et désir en en souffrance :
Déjà en considérant la nature brute, nous avons reconnu pour son essence intime l’effort, un effort continu, sans but, sans repos ; mais chez la bête et chez l’homme, la même vérité éclate bien plus évidemment. Vouloir, s’efforcer, voilà tout leur être : c’est comme une soif inextinguible. Or tout vouloir a pour principe un besoin, un manque, donc une douleur : c’est par nature, nécessairement, qu’ils doivent devenir la proie de la douleur. Mais que la volonté vienne à manquer d’objet, qu’une prompte satisfaction vienne à lui enlever tout motif de désirer, et les voilà tombés dans un vide épouvantable, dans l’ennui : leur nature, leur existence leur pèse d’un poids intolérable. La vie donc oscille, comme un pendule, de droite à gauche, de la souffrance à l’ennui : ce sont là les deux éléments dont elle est faite, en somme. De là ce fait bien significatif par son étrangeté même : les hommes ayant placé toutes les douleurs, toutes les souffrances dans l’enfer, pour remplir le ciel n’ont plus trouvé que l’ennui. (83)
Une fois révélée l’absurdité de notre existence redoublée par sa dimension tragique, il devient compliqué de vivre dans l’insouciance, imbécile heureux qui vogue de désir en désir et se noie inéluctablement dans un océan d’ennui. L’ennui est le goût de la mort chez les vivants – ne dit-on pas, à propos d’un dimanche sans fin ou d’une réunion PowerPoint, que l’on s’ennuie à mourir ? Alors, il faut vivre avec ce poids, ce fardeau, en espérant prendre la tangente ? Dans un entretien de 1995, Emil Cioran faisait l’éloge du suicide comme manière de survivre ou de résister à la vie : « Sans le suicide la vie serait à mon avis insupportable. On n’a pas besoin de se tuer. On a besoin de savoir qu’on peut se tuer. Cette idée est exaltante. Elle vous permet de supporter tout ». Le suicide serait alors la guérison de la vie, ce qui permet d’espérer supporter le malheur sans le surmonter, d’être soumis au tragique de l’existence. Quel programme !
Contre les défenseurs, même cyniques, d’une vie morbide, Nietzsche comprend que la vie vaut la peine d’être vécue en dépit du mal qui la constitue, même par-delà ce mal. Le bonheur est, dans la tradition philosophique, essentiellement compris comme un état durable, persistant, semblable à la tranquillité, à la paix, au calme. Être en paix c’est être mort. Le dicton populaire qui affirme que nous dormirons quand nous serons morts déploie un sens particulier pour nous : pas de repos tant que vivant, et cette impossibilité du repos que semble parfois déplorer Schopenhauer, est le marqueur d’un bonheur impossible mais d’une joie à réaliser. C’est dans cet effort vers la joie que le corps vivant et vitalisé prend corps justement, cherchant ce qu’il le renforce ou, pour le dire autrement, ce qui met à mort sa faiblesse :
Qu’est-ce qui est bon ? – Tout ce qui intensifie le sentiment de puissance, la volonté de puissance, la puissance même dans l’homme.
Qu’est-ce qui est mauvais ? – Tout ce qui provient de la faiblesse.
Qu’est-ce que la félicité ? – Le sentiment de ce que la puissance s’accroît – qu’une résistance va être surmontée. […]
Les faibles et les malvenus doivent périr ; premier principe de la société. Et l’on doit de surcroît les aider à cet effet.
Qu’est-ce qui est le plus nuisible qu’un quelconque vice ? La compassion active pour tous les malvenus et faibles, – « le christianisme » (84)
Il ne s’agit pas ici d’anéantir les « faibles » et les « malvenus » au sens propre mais de les faire périr en les transformant, en les revigorant. Devenir fort revient à faire disparaître la faiblesse, à affaiblir la faiblesse pour renforcer la force, tant nous pouvons négliger la force de la faiblesse, son poids écrasant, le fardeau de sa présence en nous. Se venger, ne jamais pardonner, rester le ou la même, croire en une transcendance rédemptrice, faire le bien par crainte de la punition…etc., sont autant de situations où notre faiblesse exprime toute sa force, toute sa puissance nihiliste. A tort, on se risquerait d’en faire le jumeau du concept de « résilience ». Concept d’abord physique décrivant la caractéristique mécanique d’un matériau à résister à un choc, la résilience a trouvé son écho majeur dans le cadre de la psychologie, notamment à travers les travaux de Boris Cyrulnik. Dans cette perspective, la résilience est « la capacité d’une personne ou d’un groupe à se développer bien, à continuer à se projeter dans l’avenir, en présence d’événements déstabilisants, de conditions de vie difficiles, de traumatismes parfois sévères » (85). Comment ne pas percevoir des accointances conceptuelles entre la résilience et l’amor fati ? Nietzsche répond :
Je me suis souvent demandé si je ne devais pas davantage aux plus dures années de ma vie qu’à aucune autre. Mon être le plus intime me l’enseigne, tout ce qui est nécessaire, vu de haut et dans l’optique d’une vaste économie d’ensemble, est également l’utile en soi il ne faut pas seulement le supporter, il faut l’aimer. Amor fati, voilà le fond de ma nature. Quant à la longue maladie qui me mine, ne lui dois-je pas infiniment plus qu’à ma bonne santé ? Je lui dois une santé supérieure, que fortifie tout ce qui ne la tue pas ! Je lui dois aussi ma philosophie. Seule la grande douleur affranchit tout à fait l’esprit, en lui enseignant le grand soupçon, qui fait de toute lanterne une vessie, une bonne vraie vessie, c’est-à-dire qui restitue l’ordre logique… Seule la grande douleur, cette longue et lente douleur qui nous consume à petit feu, qui prend tout son temps, nous force, nous autres philosophes, à gagner notre plus grande profondeur et à nous délester de toute la confiance, de toute la bienveillance, de tout l’indulgent aveuglement, de toute la clémence et la médiocrité où nous mettions sans doute autrefois notre humanité. Je ne sais si une telle douleur « rend meilleur », mais je sais qu’elle nous rend plus profonds. Soit que nous apprenions à lui opposer notre fierté, nos sarcasmes, notre force de volonté, et à nous égaler à l’Indien, qui, soumis à la plus cruelle des tortures, se dédommage en décochant ses traits les plus mordants à son bourreau; soit que, devant la douleur, nous nous retirions dans cet affreux Néant, l’abandon muet, sourd et paralysé de soi, l’oubli de soi-même, l’effacement total de ces longs et dangereux exercices d’empire sur soi-même, on revient un autre homme, enrichi de quelques points d’interrogation — et surtout avec la ferme volonté d’interroger désormais davantage, plus à fond, plus rigoureusement, plus durement, plus méchamment, plus silencieusement qu’il ne fut jamais fait sur terre. C’en est fait de la confiance en la vie. La vie elle-même est devenue problème. N’allez pas imaginer que cela fasse nécessairement de vous un misanthrope ou un oiseau de mauvais augure, — mais on aime alors différemment… (86)
Ne jamais prendre des vessies pour des lanternes. Ne jamais prendre des messies pour des lanternes. La joie n’est pas une question de dynamisme ou de sécrétion d’une coquille pour se défendre comme le dit Primo Levi dans Si c’est un homme, mais bien d’une opposition affirmative, qui a sa force et son ridicule, sa rigueur et sa raideur. L’amor fati a pour fonction de mettre la joie au cœur de la vie humaine, par une affirmativité et vitalité inégalable dans le bonheur. La résilience ne peut échapper complètement à son venin, la résignation, tant est si bien qu’il promeut une adaptation aux situations et non pas une remise en cause critique. « Amor fati » ne signifie pas qu’il faudrait tenir, « être dur au mal » comme disent les boxeurs, mais bien plutôt de ne se résigner à rien, de désirer le désordre premier du monde au lieu de s’y soumettre, même de manière active et consciente. Or, si la lutte devenait nécessaire c’est en tant qu’elle rend capable de « changer les choses » et de ne pas acquiescer à l’état de fait du monde. La joie serait effectivement à condition d’aimer ce qui advient, fatalement : cela ne conduit pas causalement à en désirer ce qui advient. Et Nietzsche est parfaitement clair sur cette nécessité entre amour, joie et fatalité :
Ma formule pour ce qu’il y a de grand dans l’homme est amor fati : ne rien vouloir d’autre que ce qui est, ni devant soi, ni derrière soi, ni dans les siècles des siècles. Ne pas se contenter de supporter l’inéluctable, et encore moins se le dissimuler — tout idéalisme est une manière de se mentir devant l’inéluctable — mais l’aimer. (87)
La faiblesse dont parle Nietzsche serait justement de se compromettre avec la fatalité, de trouver des arrangements avec elle afin d’espérer se tirer d’affaire. Il faut aimer ce qui advient tout en gardant les yeux grands ouverts sur ce qui peut faire vriller la fatalité, allant de la variation vers la fugue. Le christianisme, d’après Nietzsche, affaiblit les corps et les consciences à coups d’« amen ». « Ainsi soit-il » est la formule de celui qui se fait prisonnier de l’idée de destin et de l’imaginaire qui l’accompagne, qui se résigne à être plutôt qu’à devenir. Être vengeur plutôt que devenir juste ; être rancunier plutôt que de pardonner ; prier un Dieu plutôt que croire en soi-même ; craindre l’Enfer plutôt que vivre un Paradis terrestre… Nietzsche veut supplanter le bonheur qui n’est autre qu’une passion passive, un désir sans volonté, un espoir sans espérance. Il fallait alors changer de mot d’ordre et déconstruire puis transvaluer le Amen des monotones monothéismes pour un leitmotiv de la vie elle-même, croissante et excroissante. Amor fati est le vaccin du philosophe-médecin jurant sur le serment de Nietzsche, inoculant la viralité de la vitalité pour y développer la puissance et sa volonté. L’amour de ce qui advient remplace l’amour d’une espérance extra-terrestre. Là où Amen est scandé comme un slogan ou une ponctuation, amor fati se présente comme la voie vers la joie hic et nunc, sans sacrifice ou martyrologie. Du Gai Savoir aux lettres à Franz Overbeck, en passant par des brouillons issus des fragments posthumes, Nietzsche n’use en fin de compte qu’à dix reprises de cet amor fati. Et pourtant, tout le corpus semble mu par cette locution nécessaire. Déjà, sans même ouvrir le Gai Savoir nous découvrons l’association de la gaieté et du savoir, faisant de « scienza », « saber » ou « Wissenschaft » un lieu de la joie, voire de la fête. En effet, Nietzsche ne choisit pas par hasard un tel titre mais fait référence immédiatement aux troubadours qui chantaient leurs poèmes en occitan, opposant la légèreté esthétique du Sud de l’Europe à la froideur rationaliste du Nord de l’Europe. Bizet contra Wagner. Lorsque Nietzsche fantasme sur les puissances et impuissances de sa pensée en Europe, se demandant où et comment un autre cours sur ses écrits que celui de Brandes à Copenhague pour avoir lieu, il appuie cette dimension ironique, s’amusant plutôt que se plaignant :
Moi-même, je n’ai pas souffert de tout cela ce qui a le caractère de la nécessité ne me blesse pas : amor fati, tel est le fond de ma nature. Cela n’exclut pas que je sache apprécier l’ironie, et surtout l’ironie de l’Histoire. (88)
Si chez Hegel, l’histoire ruse, pour Nietzsche, elle ironise : il y a toujours un comble de l’histoire, expression d’un imprévu imprévisible qui tombe à pic, expression de la vie elle-même qui échappe toujours déjà à sa manière à toute logique. Le fait du « logie » n’est pas la fée du logis de l’existence, qui nettoierait et ordonnerait tout sur son passage. C’est cette an/archie, autant cosmique qu’individuelle, qui convient d’aimer un peu, beaucoup, à la folie, passionnément. Le destin n’est qu’un ordre cosmétique qui polit les choses tandis que la fatalité est l’exaltant incompréhensible, le joyeux irréductible, le foisonnant mettant Calliclès et Socrate dos-à-dos dans le Gorgias de Platon (89). Ni la vie de plaisirs, ni la vie de déplaisir, mais bel et bien, à tout jamais, le plaisir et l’amour de vivre.
Notes:
(1) Les sous-parties 2 et 3 du chapitre 7 reprennent une conférence donnée lors de la Journée d’études doctorales à l’Université de Strasbourg consacrée à la notion d’ivresse et organisée par Élise Tourte en janvier 2018. Le texte n’a été que quelque peu modifié pour les usages de notre présente étude.
(2) Deleuze, Gilles. Nietzsche et la philosophie, pp. 201-222
(3) AC, §60 / KSA 6, 250
(4) GS, I, §42 / KSA 3, 50
(5) FP HTH I, 21[35] / KSA 8, 372
(6) EH, « Pourquoi je suis si avisé », §1 / KSA 6, 280
(7) FP HTH I, 21[34] / KSA 8, 372
(8) FP A, 6[314] / KSA 9, 278
(9) Ibid.
(10) Sur la question de la nourriture chez Nietzsche, voir l’ouvrage passionnant et puissant d’Arnaud Sorosina, Du régime philosophique. Nietzsche diététicien, Manucius, 2019
(11) Nietzsche n’a de cesse de construire cette association esprit allemand/ivresse. Nous pensons, par exemple, afin de ne pas surmultiplier les occurrences et les références aux textes, à cet extrait : « Âmes joyeuses. Il suffisait de faire allusion, ne fût-ce que de loin, au boire, à l’ivresse et à certaine sorte nauséabonde d’obscénité, et l’âme des anciens Allemands se faisait joyeuse, — le reste du temps, ils étaient chagrins ; mais là, ils tenaient un genre bien à eux d’intelligence profonde. », HTH II, VO, §224 / KSA 2, 655
(12) CI, « Ce qui manque aux Allemands », §2 / KSA 6, 104
(13) Ibid.
(14) Ibid.
(15) Ibid.
(16) EH, « Pourquoi j’écris de si bons livres », à propos d’Humain trop humain, §2 / KSA 6, 323.
(17) Ibid
(18) A, III, §188 / KSA 3, 161
(19) Ibid.
(20) FP X, 25[13] / KSA 11, 14-15
(21) Ibid.
(22) FP A, 4[265] / KSA 10, 183
(23) Ibid.
(24) FP A, 4[274] / KSA 10, 185
(25) FP X, 25[13] / KSA 11, 14-15
(26) Ibid.
(27) FP HTH II, 40[4] / KSA 11, 630
(28) FP X, 25[13] / KSA 11, 14-15
(29) Ibid.
(30) FP IX, 24[26] / KSA 10, 660
(31) Ibid.
(32) VDM, §1, p. 49 / KSA 1, 553
(33) Ibid., p. 50
(34) CI, « Divagations d’un inactuel », §10 / KSA 6, 117
(35) Ibid., §8 / KSA 6, 116
(36) Ibid.
(37) VDM, §1, p. 50 / KSA 1, 554
(38) FP HTH I, 23[172] / KSA 8, 467
(39) VDM, §1, p. 50 / KSA 1, 554
(40) CIn IV, §2 / KSA 1, 264
(41) HTH I, § 162 / KSA 2, 151-152
(42) CI, « Divagations d’un inactuel », §8 / KSA 6, 116
(43) FP XIII, 9[102] / KSA 12, 393-394
(44) Ibid
(45) Ibid
(46) Ibid
(47) Ibid
(48) CI, « Divagations d’un inactuel », §9 / KSA 6, 116-117
(49) NT, §1 / KSA 1, 25-30
(50) VDM, §1, p. 51 / KSA 1, 555
(51) Ibid
(52) Ibid
(53) NT, §2 / KSA 1, 30-34
(54) Denat, Céline. Nietzsche. Généalogie d’une pensée, Belin, pp. 86-87
(55) NT, §19 / KSA 1, 120-129
(56) Deleuze, Gilles. Nietzsche et la philosophie, pp. 116-117, PUF.
(57) CI, « Divagations d’un inactuel », §10. Nous pourrions y ajouter le « danseur » et le « poète lyrique », CI, « Divagations d’un inactuel », §11 / KSA 6, 117-119
(58) FP HTH I, 22[78] / KSA 8, 392
(59) NT, §1 / KSA 1, 28
(60) FP A, 3[150] / KSA 9, 95
(61) FP GS, 12[103] / KSA 9, 595
(62) HTH I, § 162 / KSA 2, 151-152
(63) CI, « Divagations d’un inactuel », §9 / KSA 6, 116-117
(64) NT, « Dédicace à Richard Wagner » / KSA 1, 23-24
(65) Nous développons amplement cette thématique dans Nietzsche et la question des temporalités, Partie II, chapitre 3.
(66) GS, IV, §276 / KSA 5, 521
(67) EH, « Pourquoi j’écris de si bons livres », à propos d’Ainsi parlait Zarathoustra, §1 / KSA 6, 335
(68) Deleuze, Gilles. Nietzsche et la philosophie, p. 79
(69) Ibid., p. 80
(70) Ibid.
(71) Ibid., p. 77
(72) Ibid.
(73) FP X, 26[295] / KSA 11, 228
(74) Ibid.
(75) Deleuze, Gilles. Nietzsche et la philosophie, p. 78
(76) Ibid.
(77) Ibid.
(78) Ibid
(79) AZ, « De la domination de soi » / KSA 4, 146-149
(80) Camus, Albert. Noces, p. 52
(81) Ibid., p. 97-98
(82) Schopenhauer, Arthur. Aphorismes sur la sagesse dans la vie, §38
(8E3) Schopenhauer, Arthur. Le Monde comme volonté et comme représentation, I, IV, §57, p. 394
(84) FP XIII, 11[414] / KSA 13, 192
(85) Michel Manciaux, « La résilience. Un regard qui fait vivre », Etudes, 2001/10 (Tome 395), p. 321-330
(86) NW, « Epilogue », §1 / KSA 6, 436-437
(87) EH, « Pourquoi je suis si avisé », §10 / KSA 6, 297
(88) EH, « Le Cas Wagner », §4 / KSA 6, 363
(89) Platon, Gorgias, 492a-495a
Articles précédents:
**Pharmacie de Spielberg
**Katharsis et pharmakon
*Folon, la métaphysique des tubes cathodiques
*Jonathan Daudey, une philosophie alsacienne