La viande artificielle est-elle Cacher ?

Une entrecôte produite à partir de cellules de viande cultivées en laboratoire par la start-up israélienne Aleph Farms. (Autorisation : Aleph Farms/Technion Institute of Technology)
Une entrecôte produite à partir de cellules de viande cultivées en laboratoire par la start-up israélienne Aleph Farms. (Autorisation : Aleph Farms/Technion Institute of Technology)

En décembre dernier, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a estimé légitime l’interdiction de l’abattage rituel en Belgique (à l’exception de la région de Bruxelles). Le 27 octobre, la Grèce emboîtait le pas à la Belgique par une décision de la Cour suprême grecque. Ces deux pays rejoignent ainsi la Suisse, la Norvège, le Danemark, la Slovénie, la Suède, la Finlande et l’Estonie où la Che’hita est prohibée.

Alors que l’antisémitisme ne cesse de croître sur notre continent, ces pays distillent un message qui marginalise les communautés juives en limitant la pratique religieuse, les contraignant à quitter l’Europe. L’argument du « bien-être animal » invoqué par ces pays est souvent une instrumentalisation de la souffrance animale à des fins politiques.

Il nous faut agir auprès des institutions européennes et nationales et la Conférence des rabbins européens (CER) et son président le Grand Rabbin Pinchas Goldschmidt sont pleinement mobilisés sur ce sujet. Malheureusement, le lobby du bien-être animal a pris beaucoup d’importance ces dernières années et dispose de moyens financiers très importants.

Il nous faut agir également avec pédagogie et expliquer que le respect du bien-être animal est consubstantiel au judaïsme. Je voudrais à ce titre féliciter le Grand Rabbin Bruno Fiszon, vétérinaire et membre de l’Académie vétérinaire de France, auteur d’un ouvrage récent aux éditions Transmettre: « Et Dieu créa l’animal » qui fait œuvre de pédagogie en la matière.

La nécessité est la mère de l’invention

Platon écrivait dans La République : « La nécessité est la mère de l’invention ». Les maîtres de la pensée juive considèrent que les découvertes scientifiques ont souvent une incidence pour le peuple juif. Comment aurions-nous vécu le confinement sans des logiciels tels que Zoom qui nous ont permis de rester connectés notamment avec l’étude des textes et la prière pendant les jours non chômés ?

La découverte de l’imprimerie par Gutenberg vers 1450 a certainement sauvé la transmission du Talmud. Il a ainsi pu perdurer et continuer de se transmettre bien qu’à l’issue du procès de Paris le 17 juin 1242, vingt-quatre charretées du Talmud aient été solennellement brûlées à Paris en Place de Grève (aujourd’hui Place de l’Hôtel de Ville). En 1244, le pape Innocent IV condamne le Talmud et a exhorté le Roi Saint-Louis à brûler les copies de ce livre et d’autres livres qui devaient être examinés dans son royaume. Sans la découverte de l’imprimerie par Gutenberg, le Talmud ne serait pas parvenu jusqu’à nous.

La viande artificielle, une innovation de rupture

Depuis plusieurs années des start-up tel qu’Aleph Farms élaborent au stade expérimental la viande in vitro appelée également viande artificielle. Celle-ci est fabriquée à partir de cellules-souches issues des muscles de l’animal. Cette viande est souvent présentée comme une solution pour résoudre les problèmes de bien-être animal, de sécurité alimentaire et écologique en ayant moins d’impact négatif sur notre environnement.

En mai 2019, lors du congrès de la Conférence des rabbins européens à Anvers, en présence de plus de 300 rabbins, nous avions invité le Directeur général d’Aleph Farms, Didier Toubia, à présenter et exposer cette découverte majeure de bio technologie ainsi que le Dayan Rav Asher Weiss, l’un des plus grands décisionnaires contemporains en vue d’analyser les problèmes de Halakha liés à cette viande artificielle. J’avais eu l’honneur d’introduire ce sujet complexe en assemblée plénière. Est-ce que cette viande a un statut halakhique de viande ? Doit-elle être issue d’un animal Cacher ? Peut-on l’utiliser pour faire un cheeseburger « cacher » ? Est-ce que cette viande devra être cachérisée ?

En février 2021, cette start-up israélienne avait réussi à créer le premier faux-filet sans abattage au monde, à partir de vraies cellules de bœuf. Cet exploit a été obtenu grâce à l’impression en 3D et la bio-impression. Ce procédé permet déjà de créer un steak artificiel avec des vaisseaux sanguins, de la graisse, et du muscle similaire à un steak naturel. Des investisseurs récents, tel que Leonardo Di Caprio, ont contribué à une levée de fond de 105 millions de dollars permettant à la société de programmer l’industrialisation de la distribution pour fin 2022.

Quelles conséquences pour la communauté juive ?

Il s’agit selon moi, d’une découverte majeure qui impactera fortement la communauté juive. Au-delà d’une baisse de demande de Cho’hatim qui ne procéderont qu’à un abattage limité dans les pays où il sera autorisé, la surenchère en matière de Cacherout tel que Glatt, Halak Beth Yossef etc disparaîtra sur cette viande qui aura comme seule obligation que les cellules souches d’origine proviennent d’un animal cacher. Par ailleurs, les communautés qui certifient l’abattage Cacher prélèvent une taxe qui permet de faire fonctionner les communautés. Celle-ci peut représenter, selon les communautés jusqu’à 50% du budget de fonctionnement annuel. Sa suppression avec l’arrivée sur le marché de cette viande artificielle nécessitera d’anticiper de nouvelles ressources de financement pour ces communautés juives.

Depuis 3334 ans, date du don de la Torah sur le Mont-Sinaï, le judaïsme s’est toujours adapté à toutes les situations, même les plus extrêmes, pour préserver son identité et son engagement envers Dieu en assurant la transmission de la tradition. C’est la raison pour laquelle il nous est indispensable de consulter, d’étudier et d’examiner en amont chacune des découvertes qui impacteront structurellement notre vie quotidienne.

à propos de l'auteur
Moché Lewin est rabbin du Raincy Villemomble et Gagny. Il est vice-président de la conférence des rabbins européens. Il est également conseiller spécial du grand rabbin de France Haim Korsia. D'autre part il est aumônier national de la Gendarmerie, aumônier des aéroports de Paris, vice-président des amitiés judéo-chrétienne de France et Président de l'association "UDPP93" Union pour le dialogue le partage et la Paix dans le 93.
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