La stratégie du Hamas, les racines du mal

Page de garde de l'Annexe II du rapport du Sénat : Le Moyen-Orient à l'heure nucléaire (2008), qui présente la traduction complète en français de la charte du Hamas dans sa version première[1].
Page de garde de l'Annexe II du rapport du Sénat : Le Moyen-Orient à l'heure nucléaire (2008), qui présente la traduction complète en français de la charte du Hamas dans sa version première[1].

Les leçons de l’Histoire

Au fil des évènements, Tsahal a pu récupérer de multiples documents dont l’authenticité a été confirmée par les autorités, ce qui en a permis la publication, et peut nous aider à mieux comprendre la tragédie du 7 octobre.

N’en déplaise à certains de nos politiciens, ceux qu’ils appellent « résistants » n’ont d’autre raison d’être et d’agir que la destruction d’Israël.

Libellée « entité sioniste » tant par ce groupe terroriste que par leurs relais en Europe, Israël – seul ilot de démocratie au Moyen-Orient – est nécessairement illégal, et donc aussi immoral. C’est précisément en analysant cette démocratie que « l’axe de la résistance » dirigé par l’Iran a trouvé des failles. Cette analyse a conduit les dirigeants du Hamas, Yahya Sinwar en tête, à concevoir comme crédible la possibilité de détruire Israël.

À partir du moment où la « bande des trois », Iran-Hamas-Hezbollah, a perçu Israël comme affaibli et vulnérable, la décision de bâtir un plan commun a pris forme.

Manifestement Israël n’a pas saisi ce changement de paradigmes et cette nouvelle stratégie.

L’attaque tragique du 7 octobre aura été le point d’orgue de ce plan. Il a réussi en partie, compte tenu de la situation créée, mais il a aussi échoué, car sa finalité, l’édification d’un État palestinien « from river to the sea », n’a pas abouti.

La création d’un narratif palestinien

À partir de l’analyse faite par les trois participants de « l’axe de la résistance », il y a plusieurs années, ses théoriciens ont créé une socle idéologique adossé à deux piliers : le concept historique et le concept religieux.

1. Le concept historique

Ses idéologues ont développé et réussi à ancrer et à transposer une période de l’histoire régionale à leur profit. De quoi s’agit-il ? Au fil des croisades, il y eut quatre États latins, dont le royaume de Jérusalem de 1099 à 1291.

Akko – Saint Jean d’Acre – fut la dernière capitale des Croisés. Les Croisés reprennent la ville, alors aux mains de Saladin le 12 juillet 1191, alors que Saladin l’avait conquise en 1187. Une trêve est conclue entre Saladin et le roi Richard Cœur de Lion.

Des participants de la reconstitution historique annuelle de la bataille de Hattin de 1187, dans le nord d’Israël, le 2 juillet 2016. La bataille de Hattin oppose les armées du royaume de Jérusalem, dirigées par Guy de Lusignan, aux forces de Saladin. Ce dernier remporte une victoire écrasante, qui lui ouvre les portes de la Palestine. (Crédit : AFP / MENAHEM KAHANA)

Saladin décède en 1193. En avril 1291, le sultan mamelouk s’empare de Saint Jean d’Acre. Ce fut la fin du royaume de Jérusalem et de la présence des Croisés en Palestine. De même pour les Mongols, que le sultanat Mamelouk a arrêtés à Aïn Djalout en 1260 avant d’achever la reconquête des États Latins en 1291.

Regardons à présent l’article 35 de la charte du Hamas[1] :

Article trente-cinquième :

Le Mouvement de la Résistance Islamique considère avec sérieux la défaite des Croisés par la main de Salah al-Din al-Ayyûbî, le recouvrement de la Palestine, la défaite des Tatars à Ayn Jallût, le bris de leur pouvoir par la main de Qutuz et de Dhâhir Baybars, la préservation du monde arabe face l’invasion tatare destructrice de tout ce que peut signifie civilisation humaine ; il tire leçons et exemples de tout cela. L’invasion sioniste présente a été précédée des invasions croisées de l’Occident et des invasions tatares de l’Orient. De même que les Musulmans ont su faire face à ces invasions, planifier leurs réactions et les défaire, de même sont-ils en mesure de faire face à l’invasion sioniste et de la défaire. Cela n’est pas difficile à Dieu si les intentions sont pures, si la détermination est honnête et si les Musulmans savent tirer bénéfice des expériences du passé, se libèrent des effets de l’invasion intellectuelle et suivent les traditions de leurs ancêtres.[1]

Ce qui précède donne consistance au raisonnement soutenu, à savoir que tôt ou tard, les étrangers seront chassés. De sorte que le Hamas, aux yeux de sa population, et au-delà, de la « rue arabe », est identifié et s’auto-désigne comme successeur de Saladin et de ses suivants.

C’est précisément ce concept de trêve que le Hamas a mis en œuvre à plusieurs reprises avec Israël ; ce n’est qu’une pause, pour ensuite reprendre les hostilités et la violence : c’est la Hudna[2]. Israël a accepté plusieurs trêves ces dernières années, pensant pouvoir contrôler la situation, en acceptant un conflit larvé, qualifié de basse intensité (c’est le concept en vigueur). Outre la « trêve », les dirigeants israéliens ont également considéré que le temps jouait en leur faveur ; on a vu comment, au Sud comme au Nord…

2. Le concept religieux

Les dirigeants du Hamas, conscients des réalités, ont parfaitement intégré et donné force au second pilier de leur socle idéologique : la religion. Ils ont puisé dans l’idéologie des Frères musulmans dont ils sont une émanation[3]. Ils ont donc inclus ces paramètres dans leur stratégie, en s’inspirant et intégrant deux paramètres :

  • La Patience, le Sabr[4] (signifie aussi persistance, persévérance), pierre angulaire de la foi musulmane… ‘Supporter l’injustice dans l’attente du salut, nous avons le temps’ ;
  • et la notion de taqîya : précaution consistant à dissimuler sa foi afin d’éviter la persécution, telle que le Prophète l’aurait utilisée selon les experts de la tradition coranique. Par extension, c’est devenu l’art de la dissimulation au sens le plus large, dont les terroristes ont fait et font un large usage, telle qu’enseignée dans les camps d’Al-Qaïda. Un hadith en particulier a également été cité comme justifiant théologiquement la taqîya. Ce hadith mentionne que Mahomet a attendu treize ans, jusqu’à ce qu’il puisse « gagner un nombre suffisant de partisans loyaux », avant de combattre ses puissants ennemis polythéistes à la Mecque. Une histoire similaire raconte comment Ali, le quatrième Calife et gendre de Mahomet, a suivi le conseil de Mahomet de s’abstenir de combattre jusqu’à ce qu’il ait « le soutien de quarante hommes ». Certains interprètent ces légendes comme des exemples de taqîya. En évitant de combattre les ennemis de l’islam jusqu’à ce qu’ils puissent rassembler une force militaire et un soutien suffisant, Alī et Mahomet ont préservé non seulement leur propre vie, mais aussi leur mission divine de propager la foi.

La trêve, ou plutôt les trêves

Actuellement, entre le conflit en Ukraine et celui de Gaza, on confond allègrement plusieurs concepts. On parle de cessez-le-feu ici, là de trêve.

Entre Israël et le Hamas, comme les faits le démontrent, il ne s’agit que de suspension provisoire des combats, en vue de leur reprise. Ce faisant, vis-à-vis de sa population, l’organisation a pu et su jouer sur les deux tableaux : l’historisation – elle s’est créé une Histoire ; et en se référant au Prophète, elle se dotait d’une dimension religieuse. Combattre au nom du Prophète ne pouvait que trouver un écho dans la « rue arabe », et aussi chez certains de ses dirigeants.

On ne souligne pas suffisamment que la relation entre l’organisation terroriste et Israël est littéralement une suite ininterrompue de « pauses » – on dit les « trêves » – à l’initiative du Hamas, qui les a rompues à sa convenance. Pour mémoire, on ne compte pas moins de cinq suspensions provisoires des combats, en 2009, 2012, 2014, 2021 et depuis octobre 2023.

Ce qui est bien la démonstration que l’organisation terroriste et ses alliés de « l’axe de la résistance » n’ont jamais faibli dans leur objectif d’effacer Israël de la carte. À l’appui de cette théorie, rappelons que le Hamas a proposé « une trêve de 5 à 10 ans » pour mettre fin aux combats actuels. On croit faire un mauvais rêve. Pourtant c’est bien ainsi qu’on observe le déroulement des « pauses » depuis 15 ans, sans compter les lancements de rockets sur le sud du pays depuis des années.

Enfin, dans les documents découverts par Tsahal, il serait fait état d’une conférence qui aurait eu lieu en septembre 2021 intitulée « la promesse de la fin des temps » (la Palestine après sa libération).

On en était déjà à l’après disparition d’Israël selon les plans en préparation depuis des années. Feu Yahya Sinwar aurait déclaré :

Nous parrainons cette conférence car elle est conforme à notre évaluation selon laquelle la victoire est proche.

La libération complète de la Palestine de la mer au fleuve est au cœur de la vision stratégique du Hamas […] le conflit ne peut prendre fin qu’avec la mise en œuvre de la promesse de victoire et de contrôle qu’Allah nous a donné afin que notre peuple puisse vivre dignement dans son État avec Jérusalem comme capitale.

Ceux qui mettraient encore en doute les intentions de l’organisation doivent revoir leur copie, définitivement, et se rendre à l’évidence : qualifier de « résistants » ceux qui n’ont d’autre objectif que de réaliser un génocide n’est pas une erreur, c’est une faute grave et un déni de réalité où l’antisionisme se confond avec l’antisémitisme.

Il est à espérer qu’Israël a intégré totalement cette perspective. À défaut, les mêmes causes reproduiraient les mêmes effets, au sud comme au nord.

Ainsi va le monde.

[1] Art. 35 de la Charte du Hamas de 1988, source : Senat.fr ; rapport d’information n° 630 –  r08-630 / r08-63080 (2008-2009), déposé le 25 septembre 2009.

[2] https://en.wikipedia.org/wiki/Hudna

[3] Article deuxième de la charte susmentionnée : « Le Mouvement de la Résistance Islamique [le Hamas] est l’une des ailes des Frères musulmans en Palestine »

[4] Le terme Sabr apparaît dans la sourate Luqman 17-19

à propos de l'auteur
Ancien cadre supérieur et directeur de sociétés au sein de grands groupes français et étrangers, Francis Moritz a eu plusieurs vies professionnelles, depuis l’âge de 17 ans, qui l’ont amené à parcourir et connaître en profondeur de nombreux pays, avec à la clef la pratique de plusieurs langues, au contact des populations d’Europe de l’Est, d’Allemagne, d’Italie, d’Afrique et d’Asie. Il en a tiré des enseignements précieux qui lui donnent une certaine légitimité et une connaissance politique fine.
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