La série Omar Effendi et la réussite du personnage antisémite

Scène du personnage Dyasti faisant le signe nazi devant le bijoutier juif Chalhoub. Image de la vidéo mise en ligne le 28 Août  2024 par l'acteur Mohamed Radwan. (Crédit : Capture d'écran Facebook / Mohamed Radwan ; utilisée conformément à la clause 27a de la loi sur le droit d'auteur)
Scène du personnage Dyasti faisant le signe nazi devant le bijoutier juif Chalhoub. Image de la vidéo mise en ligne le 28 Août 2024 par l'acteur Mohamed Radwan. (Crédit : Capture d'écran Facebook / Mohamed Radwan ; utilisée conformément à la clause 27a de la loi sur le droit d'auteur)

Nous croyons tous que l’art joue un rôle majeur dans la construction de ponts entre les cultures et dans la promotion de la compréhension mutuelle. Le cinéma égyptien a joué ce rôle dans la formation de l’opinion publique arabe tout au long du 20ème siècle et jusqu’à aujourd’hui.

En tant que leader du cinéma arabophone, l’Égypte continue de produire une multitude d’œuvres cinématographiques qui divertissent et éduquent les esprits, de l’océan Atlantique au golfe arabe.

Les Arabes sont conscients de ce puissant outil de soft power pour façonner les mentalités et les perceptions sociales.

Les stars du cinéma égyptien sont des icônes culturelles dans le monde arabe. Leurs performances ont transcendé les frontières nationales, unifiant les publics arabes autour de récits communs et d’identités partagées. Le cinéma sert donc de vecteur pour la diffusion d’idéologies. Il est et restera le miroir des aspirations, et l’outil populaire pour rejoindre les différentes classes sociales, notamment en période de mutations.

Aujourd’hui, malgré la concurrence accrue des productions des pays du Golfe, le cinéma égyptien reste un pilier culturel du monde arabe. Il continue d’influencer les débats en suscitant des discussions sur des sujets d’actualités. En dépit des efforts des pays du Golfe pour promouvoir leurs propres industries cinématographiques, le passage par le Caire est inévitable. Ainsi, grâce à la collaboration financière et logistique avec les cinéastes égyptiens, ces pays espèrent accélérer le développement de leur propre secteur cinématographique, tout en influençant le narratif et les intérêts stratégiques de la production à travers des plateformes de diffusion, comme « Shahid TV ».

Le cinéma égyptien a un rayonnement culturel dans le monde arabe, et les pays du Golfe y voient une opportunité de renforcer leur soft power dans la région. Cependant, comme toute industrie cinématographique, le cinéma égyptien a malheureusement véhiculé des stéréotypes, y compris des stéréotypes antisémites, bien que cela soit parfois complexe et nuancé. À une époque pas si lointaine, certaines représentations étaient dues à un contexte politique, mais aujourd’hui, ces justifications sont plus difficiles à accepter, notamment grâce à l’évolution des mentalités et aux efforts des régimes arabes pour assainir certaines contaminations idéologiques et idées reçues issues de certaines mouvances de l’extrême droite.

Dans les années suivant la création de l’État d’Israël et les guerres israélo-arabes, certains films égyptiens ont effectivement utilisé explicitement des stéréotypes pour représenter les Juifs, les dépeignant comme déloyaux aux mouvements nationalistes, ou manipulateurs. Aujourd’hui, le cinéma a évolué. Les productions plus récentes tendent à être plus nuancées. Cependant, certaines représentations de minorités et de groupes religieux continuent à être décrites de manière grossière.

Actuellement, une série humoristique fantaisiste attire l’attention : le feuilleton « Omar Effendi », diffusé sur la chaîne égyptienne ON TV et sur la plateforme panarabe saoudienne Shahid TV.

Cette série télévisée égyptienne a suscité de vives réactions en raison du personnage juif, le bijoutier et prêteur usuraire Chalhoub. Elle a été critiquée pour la manière dont elle dépeint le Juif, à travers ce personnage qui est décrit comme un commerçant d’or avide, pervers et pernicieux, malgré son apparence bienveillante envers sa famille, et son implication joviale avec son entourage. Ce type de représentation renforce les idées préconçues sur les Juifs, et n’aide en aucun cas l’apaisement social, particulièrement dans des contextes marqués par des tensions politiques.

Bien que cette œuvre soit perçue comme humoristique et sans danger, il est crucial de reconnaître l’existence de ces stéréotypes et de les dénoncer. Les critiques ont encensé l’acteur Mohamed Radwan, qui est un bon acteur, mais ne semblent guère saisir la gravité de certains traits de son personnage dans cette œuvre.

Dans les épisodes qui ont été diffusés, le personnage juif égyptien se réclame du judaïsme lorsqu’il prend des initiatives douteuses ou réagit négativement ; ainsi le scénario met en juxtaposition ses mauvais traits et son appartenance religieuse. Un scénario raciste, rempli d’ignorance et de manque de conscience de la réalité. Même, au niveau dramatique, le personnage pouvait mieux passer sous le radar s’il n’affirmait pas son appartenance religieuse. Or, il est nécessaire de se demander si cette corrélation est préméditée.

Aucune justification à cette confusion ou à cette absurdité ne peut être relevée dans la série.

Les critiques et les défenseurs des valeurs progressistes normalisent-ils cette image du Juif négatif, fraudeur, avare, et conspirateur avec les colonisateurs que le public du cinéma arabe est habitué à voir depuis les années 1950 ?

Les Juifs ont souvent été les pionniers du cinéma arabe, que ce soit au Machreq ou au Maghreb. Cependant, leur départ des pays arabes a engendré un vide relationnel avec les populations. L’écran demeure le seul outil de contact entre ces derniers et le patrimoine juif de leurs pays. Il est donc primordial de garder une certaine nuance et une diversité de la représentation afin que l’esprit arabe puisse voir le personnage juif dans toutes ses formes et comportements, comme tout humain sur cette terre où le bon, le mauvais, le complexe et le simple de l’humanité se chevauchent en lui.

Nos cœurs sont toujours attachés à la Vérité et à la Justice. Partant de la prémisse coranique « Nous lançons contre le faux la vérité qui le subjugue, et le voilà qui disparaît » (sourate21/ verset18).

Les choses commençaient timidement à changer avant la guerre de Gaza qui a fait suite aux événements du 7 octobre. Le message favorisant la coexistence s’installait dans le narratif, mais n’a pas nécessairement été accompagné d’un changement dans l’attitude du public, faute de temps et de travail en amont.

Toute décision politique des pays arabes de s’ouvrir à Israël, et vice-versa, sans que cela ne s’accompagne de changements comportementaux pour apporter une solution juste au problème, retarde et complexifie davantage la situation.

Sous la présidence d’Abdel Fattah al-Sissi, le gouvernement a pris soin de valoriser le patrimoine juif du pays. En modernisant certains lieux de culte, en réhabilitant le quartier juif du Caire et en travaillant à créer un musée du Patrimoine Juif d’Égypte, les autorités tentent d’entamer un début de réconciliation historique avec la communauté juive d’origine égyptienne, en Israël et ailleurs.

Pourquoi ne pas utiliser le soft power pour améliorer son image de marque au lieu de faire perdurer ce type de stéréotypes à travers des séries cinématographiques ?

La question concerne également le groupe public saoudien MBC, propriétaire de la plateforme Shahid TV qui diffuse cette série, et qui semble en contradiction avec la « Vision 2030 » du prince Mohammed bin Salman et sa volonté de signer un traité de normalisation des relations avec l’État d’Israël.

 

à propos de l'auteur
Blogueur, M.sc politique appliquée, propagande et communication politique, ÉPA PhDing, Diplomatie religieuse et culturelle
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