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La scandaleuse politique d’Israël sur les questions de la Shoah en Europe de l’est

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu s'exprimant à Babi Yar, où les troupes nazies ont assassiné des milliers de Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, à Kiev, en Ukraine. 
Le 19 août 2019 (AP Photo / Efrem Lukatsky)
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu s'exprimant à Babi Yar, où les troupes nazies ont assassiné des milliers de Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, à Kiev, en Ukraine. Le 19 août 2019 (AP Photo / Efrem Lukatsky)

Bibi, lorsque vous vous rendez dans des pays dont les Juifs sont dorénavant absents, évitez peut-être de saluer leurs intentions concernant le combat qu’ils ont mené contre l’antisémitisme depuis la guerre.

Le voyage effectué par le Premier ministre Netanyahu en Ukraine, au début de la semaine dernière, est une nouvelle opportunité pour évaluer les relations nouées par Israël avec les nouvelles démocraties post-communistes de l’est de l’Europe et en particulier avec les pays qui, pendant la Shoah, ont pris part au meurtre en série et systématique de Juifs. Et à cet égard, l’Ukraine, ces dernières années, a été l’un des pires contrevenants de termes de révisionnisme de l’histoire de la Shoah, glorifiant également des personnalités ayant collaboré avec les nazis dans la mise en oeuvre de la Solution finale.

La détérioration de la situation est directement liée à la politique locale et au conflit avec la Russie sur la question de l’annexion de la Crimée, en 2014, et de l’insurrection continue qui agite l’est de l’Ukraine.

Et ainsi, par exemple, au mois de mai 2015, le Parlement ukrainien a adopté une série de lois dont l’une rend illégale la critique de ceux qui ont combattu en faveur d’un Etat ukrainien au 20e siècle, en dépit du fait qu’il est incontestable que les milices établies en 1941 par l’Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN) – l’un des plus importants mouvements ayant cherché à établir un Etat – se sont montrées très actives dans la vague de violences anti-juives qui avait balayé l’ouest de l’Ukraine au cours des semaines qui avaient suivi l’invasion par les nazis de l’Union soviétique, au mois de juin 1941.

En fait, selon l’historien suédois spécialiste de la Shoah, Per Rudling, les recherches les plus récentes sur l’implication de l’OUN dans ces actions indiquent que les membres de l’organisation ont pris part au meurtre de « milliers, peut-être même autant de dizaines de milliers de Juifs ».

Ce n’est qu’un petit détail – mais très significatif – des nombreuses initiatives prises par les institutions et par les historiens ukrainiens pour blanchir la vaste participation à la Shoah des ressortissants du pays. L’Ukraine a érigé de nombreuses statues et autres sites de commémoration à la mémoire de collaborateurs ukrainiens des nazis et des retraites aux flambeaux en hommage aux leaders de l’OUN et de l’UPA (l’Armée des insurgés ukrainienne, qui s’est développée en-dehors de l’OUN) y sont organisées couramment.

Des rues portent le nom du chef de l’OUN, Stefan Bandera, dont l’anniversaire a été récemment déclaré fête nationale. De plus, des mémoriaux de la Shoah ont été vandalisés ou profanés ces dernières années, et pas un seul auteur de ces crimes – ou de tout autre acte antisémite – n’a jamais été poursuivi, sans même parler d’être condamné et sanctionné depuis que l’Ukraine a obtenu son indépendance avec la chute de l’Union soviétique.

La question est de savoir comment doit répondre Israël – voire ne pas répondre – à ces initiatives et de déterminer dans quelles mesures le révisionnisme ukrainien, dans la Shoah, doit affecter les relations entre les deux pays ?

Contrairement à la situation dans d’autres nouvelles démocraties post-communistes où, pour la plus grande part, nos ambassadeurs ont évité de s’impliquer dans des questions historiques, notre nouvel envoyé à Kiev, Joel Lion, a critiqué des initiatives prises pour rendre hommage à des criminels de la Shoah à au moins trois reprises, et il l’a fait dans un cas au moins aux côtés de l’ambassadeur polonais, le « héros » en question ayant également été impliqué dans le meurtre de Polonais.

Rétrospectivement, nous sommes maintenant en mesure d’évaluer la politique israélienne concernant le révisionnisme de l’histoire de la Shoah suite à la visite d’Etat effectuée à Kiev par le Premier ministre Netanyahu. C’est triste à dire, mais elle m’a fortement rappelé son déplacement, au mois de septembre dernier, en Lituanie, un autre pays également contrevenant s’agissant des questions liées à la Shoah.

En définitive, pendant de nombreuses années, la Lituanie a été le pays qui s’est montré le plus actif dans la mise en oeuvre des principes de base du révisionnisme – en minimisant ou en dissimulant la participation de ses ressortissants dans les crimes nazis, en faisant la promotion de la fausse équivalence entre crimes communistes et crimes nazis, en glorifiant ses héros anti-soviétiques malgré le rôle qu’ils avaient tenu pendant la Shoah et en exerçant des pressions en faveur d’une journée de commémoration pour toutes les victimes des régimes totalitaires, ce qui rendrait la Journée de commémoration internationale de la Shoah superflue.

Au lieu d’attirer l’attention sur ces politiques problématiques, Netanyahu a salué ses hôtes pour la manière dont ils cherchaient à commémorer la Shoah et, pour faire bonne mesure, il a également fait l’éloge de leurs efforts (relativement non-existants ou, au mieux minimalistes) livrés dans la lutte contre l’antisémitisme.

Ce modus operandi s’est très exactement répété à Kiev qui, ces dernières années, a dépassé – et de loin – Vilnius dans son révisionnisme flagrant concernant la Shoah et dans ses tentatives systématiques et éhontées de falsifier totalement le narratif historique de la Seconde Guerre mondiale et du génocide. Ainsi, par exemple, à Babi Yar, où s’était produit le massacre le plus important de la Shoah, Netanyahu a remercié le gouvernement ukrainien pour ses initiatives visant à préserver la mémoire de la Shoah vivante, et mentionné ses efforts (non-existants) « dans la guerre contre l’antisémitisme ».

L’ironie grotesque de ces propos a été remarquée par le journaliste israélien Sam Sokol, qui écrit pour le Times of Israel. Dans son analyse de la visite, il souligne que Babi Yar est une excellente illustration du révisionnisme ukrainien de la Shoah, alors que les Ukrainiens veulent rendre hommage aux membres de l’OUN aux côtés des victimes de la Shoah.

Si qui que ce soit veut malgré tout trouver ici un point positif dans cette triste histoire, au moins Netanyahu n’aura-t-il pas accepté de reconnaître l’Holodomor comme un génocide (ce que la grande famine n’était pas) et il a mentionné les « collaborateurs des nazis » à plusieurs reprises, même si les Ukrainiens, comme les Lituaniens, pourraient bien tenter de clamer que le terme comprend également des membres des Judenrat et/ou de la police juive dans les ghettos locaux.

En résumé, la politique israélienne sur les questions liées à la Shoah dans l’Europe de l’est post-communiste reste défectueuse et scandaleuse mais il reste à appréhender très exactement comment permettre son amélioration – un sujet, je l’espère, que je pourrais aborder dans une Opinion à venir.

à propos de l'auteur
Efraïm est un historien israélien d'origine américaine, directeur du Centre Simon-Wiesenthal à Jérusalem et chasseur de nazis
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