La religion juive est elle née du christianisme ?

Intérieur de la Synagogue la plus ancienne d’Égypte, Ben Ezra, située le Vieux-Caire. (Crédit : Wikipedia / CC BY-SA 4.0)
Intérieur de la Synagogue la plus ancienne d’Égypte, Ben Ezra, située le Vieux-Caire. (Crédit : Wikipedia / CC BY-SA 4.0)

Contrairement à une idée répandue, le christianisme ne découle pas de la religion juive. De plus, une religion juive au sens moderne du terme n’existait pas à l’époque où le groupe des disciples de Jésus a vu le jour.

À l’époque hellénistique et romaine, les disciples de Jésus d’un côté, et les Judéens après la destruction du Temple de l’autre, partageaient un corpus littéraire commun, les textes hébraïques anciens, qui ont progressivement donné naissance à deux religions distinctes.

Avec le temps, les Judéens se sont éloignés des lois bibliques pour développer la littérature rabbinique, tandis que les chrétiens se sont éloignés des Évangiles pour créer une religion fondée sur les écrits des Pères de l’Église. Les deux religions ont, à des degrés divers, mis à distance les pratiques bibliques et adapté leurs doctrines à un monde en pleine mutation.

La lecture des Évangiles soulève la question : à qui doit-on la naissance du christianisme ? Comme pour tout phénomène d’envergure, la réponse est complexe. Le christianisme s’est développé progressivement sur plusieurs siècles, en passant par différentes étapes cruciales. Parmi les moments décisifs, on peut citer :

  1. La crucifixion de Jésus
  2. La création du mythe de la résurrection par Jacques, son frère
  3. La définition de Jésus comme Fils de Dieu par Paul
  4. La rédaction des Évangiles
  5. Les premiers débats théologiques entre chrétiens et penseurs hellènes (à partir de 165)
  6. L’adoption du concept trinitaire et de pratiques païennes par Tertullien (vers 213)
  7. La reconnaissance du christianisme comme religion légitime par Constantin (313)
  8. La séparation concrète entre Juifs et Chrétiens
  9. L’interdiction des cultes polythéistes par l’empereur Justinien au début du VIe siècle, qui marqua le triomphe du christianisme dans le monde hellénistique

Cependant, le christianisme n’a conquis les zones rurales de l’Empire byzantin que vers le Xe siècle. Une analyse de ce processus montre que si l’une de ces étapes avait été manquante, il est peu probable que le christianisme aurait pris une telle ampleur.

Il est courant de considérer Jésus comme le fondateur du christianisme, à l’instar de Mahomet pour l’islam, Bouddha pour le bouddhisme ou Moïse comme rédacteur de la Torah. Cependant, de nombreux chercheurs attribuent à Paul un rôle déterminant dans la naissance du christianisme.

Par son activité missionnaire et ses compromis avec les lois bibliques, Paul a élaboré une théologie structurée qui a permis la formation de communautés hiérarchisées à travers l’Empire romain.

Jésus et Paul : deux figures distinctes

Les chercheurs israéliens mettent souvent en avant les origines galiliennes de Jésus et son attachement aux lois de la Torah. Joseph Klausner et David Flusser, par exemple, ont présenté une image apologétique de Jésus en le décrivant comme un prophète judéen. Flusser a même affirmé que Jésus était l’un des « plus grands esprits de son temps ». Certains intellectuels israéliens ont tenté de disculper les dirigeants judéens de l’époque de toute responsabilité dans la condamnation de Jésus, en insistant sur le fait que la crucifixion fut l’œuvre des Romains.

Ces chercheurs considèrent souvent Paul comme le véritable initiateur du christianisme tel que nous le connaissons. En éloignant les adeptes de Jésus des lois judéennes, Paul a amorcé un processus renforcé par le théologien Marcion (110-160), qui prônait une rupture entre le christianisme et l’Ancien Testament.

Après la crucifixion, Jésus devint, dans les lettres de Paul, une figure divine détachée de ses racines judéennes, et non plus un homme cherchant à libérer son peuple du joug romain. Selon cette perspective, Paul aurait trahi le Jésus historique et ses écrits auraient donné naissance à une religion qui, des siècles plus tard, se serait distinguée par les croisades et les persécutions des Juifs.

L’Apôtre Paul par Rembrandt (v. 1633), musée d’Histoire de l’art de Vienne. (Crédit : Wikipedia / Domaine public)

Le rôle des traductions grecques et de la culture hellénique

Au fil des siècles, une littérature abondante s’est développée autour d’un schéma narratif dont le thème central est : que se passerait-il si Jésus revenait sur Terre ?

Ce genre littéraire n’a pas émergé par hasard ; il vise à mettre en lumière le fossé qui s’est creusé entre la figure de Jésus dans les quatre Évangiles, et le christianisme institué par Paul, devenu une religion licite dans l’Empire.

Jésus était convaincu que la fin du monde était imminente et que le « Jour du Seigneur » approchait. Or, le Royaume de Dieu n’est jamais advenu, et le monde a poursuivi son cours. Il serait alors profondément déçu de constater que le Royaume d’Israël n’a pas été rétabli, que la domination romaine s’est renforcée et exerce un contrôle exclusif sur la Terre d’Israël.

Jérusalem a été rebaptisée Aelia Capitolina, et les nouveaux disciples de Jésus visitent son lieu de naissance à Bethléem, son tombeau à Jérusalem, et parcourent le chemin de la Croix jusqu’au lieu de sa crucifixion, transformant ainsi ces lieux de souffrance en sanctuaires sacrés. Les Romains, venus de toutes les régions de l’Empire, revendiquent le titre du « véritable Israël », reléguant les Juifs au statut de communauté tolérée ou persécutée, parfois même qualifiée de « fils du diable » (Jean 8:44).

Durant son existence en Galilée, Jésus n’a jamais rencontré d’individus parlant grec ou latin, et comprenait à peine l’araméen.

S’il osait entrer dans une église en Europe, il découvrirait que les fidèles ont relégué la Bible hébraïque au second plan, ne lisant désormais, à son grand désarroi, que le Nouveau Testament. Il y apprendrait qu’il n’est pas seulement un guérisseur galiléen, mais aussi le Fils de Dieu, voire Dieu lui-même, partageant la même substance que le Père.

S’il visitait les somptueuses églises élevées en son honneur et en celui de sa mère – qu’il avait reniée, il en serait attristé, se disant : « Si seulement j’avais eu un toit sur la tête de mon vivant ». Il n’a connu que des villageois modestes qui se plaignaient sans cesse des riches Judéens et de l’occupation romaine.

En examinant les Épîtres et les Actes des Apôtres, on constate un décalage avec le monde de Jésus tel qu’il est décrit dans les Évangiles.

Jésus est un guérisseur populaire vivant parmi des pêcheurs au bord du lac de Tibériade ; Paul, en revanche, est né en Cilicie hellénisée et a parcouru les grandes villes de l’Empire, loin de la Galilée, où il n’est probablement jamais allé.

Jésus parlait probablement un hébreu galiléen, tandis que Paul écrivait en grec et connaissait probablement le latin. Il est peu probable que Jésus ait su écrire, contrairement à Paul, intellectuel prolifique et penseur.

Tout distingue ces deux figures qui ne se sont jamais rencontrées.

Dans les Évangiles, Jésus apparaît comme une figure rurale, tandis que Paul, homme de lettres et de culture, dialoguait avec les Judéens et les Grecs dans leur langue et partageait leur culture. Il savait associer des arguments rationnels à une dose mesurée de mysticisme et de récits de miracles, que les classes populaires accueillaient avec ferveur dans le climat eschatologique de l’époque. Ses écrits contrastent avec la narration plus simple des Évangiles et mettent en évidence l’écart intellectuel entre lui et les pêcheurs illettrés de Galilée.

Dans les Épîtres, Jésus est présenté comme un être humain ressuscité, le « Fils de Dieu », une figure moins réaliste et presque divine. Le fossé entre le Jésus galiléen et le Jésus divin de Paul est tellement grand qu’il est difficile d’y voir un seul et même personnage.

Paul est, dans une large mesure, un réformateur audacieux et visionnaire qui a osé faire des compromis pour adapter sa doctrine au monde global de l’Empire, à l’instar de figures telles que Flavius Josèphe, Philon d’Alexandrie, et plus tard Saadia Gaon et Maïmonide.

Paul s’est opposé à certains préceptes de la Torah, les jugeant obsolètes, et les a remplacés par le principe de foi mystique en la résurrection du Messie, substituant ainsi un rituel ancien par des croyances populaires. Sa tâche n’était pas aisée : il raconte avoir été battu et expulsé à plusieurs reprises des synagogues où il prêchait, mais il n’abandonna pas.

Sa réforme s’est heurtée à de vives rivalités au sein des partisans de Jésus, qui se sont fragmentés en diverses communautés et courants opposés. La tendance réformiste de Paul s’inscrit dans la continuité des mutations du culte judéen à l’époque hellénistique, lorsque les sages du Talmud ont instauré un nouveau mode de vie, distinct des pratiques de l’époque biblique.

Les ajustements doctrinaux voulus par Paul étaient pragmatiques et s’apparentaient en partie à l’action missionnaire entreprise auparavant par Pierre et Jacques auprès du public grec. Il pouvait évidemment se référer aux critiques des prophètes Amos, Osée, Michée de Morasha et Isaïe ben Amotz contre les sacrifices sanglants, les rites cultuels et leurs festivités. Ainsi, ses prêches dans les grands centres culturels de l’Empire pouvaient être perçus comme une réforme interne au judaïsme.

Après la révolte contre Rome, les Judéens ne montrèrent guère d’enthousiasme à l’idée de reconstruire le Temple de Jérusalem, malgré l’autorisation impériale. Le statut des prêtres en fut affaibli, tandis que les Pharisiens adoptèrent un mode de vie plus proche des attentes populaires.

De la même manière, ils auraient pu abandonner la pratique contestable de la circoncision. Cette mutilation rituelle, signe de l’alliance avec Yahvé, était une procédure risquée dans les conditions sanitaires de l’époque, avec un taux de mortalité infantile élevé. Ils auraient également pu renoncer aux interdits alimentaires pour mieux s’intégrer à leurs voisins et partager des repas en commun.

Les adeptes de Jésus avaient compris ces enjeux avant les sages du Talmud et en tirèrent un avantage notable dans leur mission parmi les nations.

Malgré les épîtres de Paul, les premiers adeptes de Jésus continuaient d’éviter les aliments interdits et de respecter le repos du sabbat. Pendant près de deux siècles après la crucifixion de Jésus, il restait difficile de distinguer les Judéens des premiers Chrétiens, car aucune séparation nette n’existait encore. La distinction entre les adeptes de Jésus et les Chrétiens hellénistes ne s’est opérée qu’au début du IVe siècle, à l’initiative des Hellénistes eux-mêmes, et non des Juifs de l’époque.

La définition de Jésus comme Messie par ses disciples n’était pas inhabituelle dans l’histoire d’Israël, étant donné la prolifération des figures messianiques à la veille de la révolte contre Rome. La différence essentielle entre ces conceptions judéennes et la foi chrétienne réside principalement dans cette question : le Messie doit-il venir ou revenir ? Ainsi, le messianisme constituait un terrain commun entre les deux groupes.

À cette époque, les pratiques judéennes, que nous appelons aujourd’hui « judaïsme », s’étaient éloignées de l’ensemble des lois de la Bible, notamment celles du Lévitique et du Deutéronome. L’influence des cultures perse et hellénistique a transformé radicalement les coutumes judéennes, donnant naissance à une religion distincte du culte sacrificiel sanglant pratiqué dans les temples.

Par conséquent, on peut affirmer que le christianisme n’est pas directement issu du judaïsme, qui n’avait pas encore pris sa forme définitive, mais qu’il a émergé parallèlement, les deux traditions se détachant progressivement des lois bibliques.

Au fil du temps, parallèlement à la littérature canonique chrétienne, une abondante littérature extra-canonique et gnostique s’est développée, s’infiltrant dans les communautés de croyants en Jésus à travers tout l’Empire.

Le rôle des traductions grecques et les premiers débats théologiques

Le christianisme, en tant que religion, a privilégié l’enseignement de Paul plutôt que celui de Jésus le Judéen, tout en conservant ses paroles, paraboles et discours.

Il ne faut pas non plus négliger les communautés messianiques restées fidèles aux pratiques judéennes : Nazaréens, Ébionites, Elkasaïtes ou encore les Docètes, qui rejetaient Paul et se rattachaient aux tendances exprimées dans l’Évangile de Jacques, le frère de Jésus, ainsi que dans la deuxième épître de Pierre, deux écrits extra-canoniques.

Le rôle des traductions grecques et de la culture hellénique

La première mention tangible de l’existence d’une communauté messianique après la disparition des « piliers » que furent Jacques, Pierre et Paul, apparaît chez le philosophe chrétien samaritain de Sichem, Justin (100-165) dans son ouvrage polémique Dialogue avec le Juif Tryphon, publié vers l’an 165. À mon avis, ses contemporains ont marqué la phase décisive de la naissance du christianisme.

C’est à partir de ce moment que s’est engagée une nouvelle ère, marquée par d’intenses controverses intellectuelles opposant philosophes polythéistes et penseurs monothéistes messianiques, qui débattaient des forces et des faiblesses de leurs croyances respectives.

Dès la moitié du IIe siècle, une floraison remarquable d’œuvres philosophiques voit le jour, exerçant une influence considérable sur l’essor du christianisme. Ces écrits attirent des couches sociales instruites, organisées en structures hiérarchiques, amenant ainsi les autorités impériales à reconnaître la puissance de cette nouvelle religion.

Parallèlement, une littérature gnostique anonyme émerge, que la tradition chrétienne qualifiera plus tard d’hérétique, car elle ne correspondait pas à l’orthodoxie en cours de formation.

Parmi les penseurs ayant contribué à cette controverse intellectuelle, on peut citer Ignace d’Antioche et Papias de Phrygie, qui précèdent Justin, ainsi que Marcion, fondateur du marcionisme, Tatien le Syrien, Irénée de Lyon, Clément d’Alexandrie, Valentin l’Égyptien, Tertullien de Carthage, Méliton de Sardes, Eusèbe de Césarée, Épiphane de Salamine et bien d’autres.

Ces débats philosophiques, fondamentalement différents des textes évangéliques relatant la vie de Jésus, ont exercé une influence décisive sur les membres des communautés chrétiennes. Ils constituent, à mon sens, l’une des raisons principales du triomphe du christianisme dans le monde gréco-romain. Cette polémique s’est menée par écrit et a circulé parmi les élites intellectuelles de l’Empire.

Une telle polémique n’aurait pas pu exister sans un événement culturel majeur survenu plus de quatre cents ans auparavant, qui a changé le visage du monde. Il s’agit de la traduction progressive de la bibliothèque biblique en grec, entreprise dans la jeune ville d’Alexandrie, devenue le cœur du monde hellénistique.

Ce projet littéraire a été réalisé progressivement par les Judéens de la ville pour leurs enfants et petits-enfants qui ne connaissaient plus l’hébreu. Grâce à cette traduction, les livres bibliques ont eu une influence majeure sur la culture du monde hellénique.

La polémique polythéiste contre le christianisme primitif s’est appuyée sur des citations de ces textes en grec et s’est déroulée parmi les intellectuels, à l’écart du monde rural, qualifié de « païen ». Après les révoltes contre les Romains, aucun écrit polémique judéen dirigé contre les disciples de Jésus, dont le nombre ne cessait de croître, ne nous est parvenu.

Cependant, peu avant sa mort, Flavius Josèphe rédigea un ouvrage polémique intitulé Antiquités judaïques, où il répondait aux attaques d’un intellectuel grec polythéiste nommé Apion, lequel critiquait les coutumes, le culte et les fêtes judéennes. Toutefois, cet épisode demeura isolé.

Au cours de son développement, le christianisme dut composer avec l’existence du judaïsme, oscillant sans cesse entre fidélité et volonté d’émancipation. Dès ses débuts, les communautés croyantes en Jésus se structurèrent en courants idéologiques rivaux, s’affrontant par le biais d’écrits, sans ignorer les positions adverses. Cette effervescence intellectuelle permit de convaincre de nombreux penseurs hellénistes d’adhérer à leur cause.

Tandis que les nouveaux Chrétiens rédigeaient des textes polémiques contre les philosophes polythéistes grecs, les sages juifs, pour leur part, débattaient entre eux, souvent détachés de leur environnement, ignorant même leurs détracteurs.

Les premiers Chrétiens d’origine judéenne, puis les Judéens eux-mêmes, attendaient passivement l’adhésion des intellectuels romains, sans chercher à engager de véritables débats théologiques, que ce soit avec les Chrétiens ou avec les polythéistes. Cette dynamique polémique fut l’un des principaux moteurs du succès et de la diffusion du christianisme à travers le monde.

La naissance d’une religion post-biblique

Bien que le christianisme et le judaïsme tirent leur origine des textes bibliques, ces deux religions n’échappèrent pas aux croyances populaires environnantes. De nombreuses pratiques issues des traditions locales s’infiltrèrent progressivement dans les rites chrétiens et juifs.

L’interdiction officielle du culte païen au début du VIe siècle n’eut qu’un impact limité sur les campagnes, où seuls les milieux instruits adoptèrent véritablement la nouvelle religion. Les populations rurales continuèrent à suivre leurs anciennes coutumes.

À l’origine, les Pères de l’Église, tout comme les sages de la tradition juive (Hazal), tentèrent d’éliminer ces influences païennes, mais en vain. Finalement, les deux religions durent s’incliner devant la réalité et absorbèrent ces croyances et pratiques, leur conférant progressivement une certaine légitimité.

Si l’on imagine un scénario hypothétique où les disciples de Paul n’avaient pas abandonné la circoncision comme condition d’entrée dans les communautés chrétiennes, il est probable que le christianisme serait resté une secte judéenne marginale, vouée à un déclin progressif, sans jamais conquérir le monde.

De même, que se serait-il passé si les Judéens d’Alexandrie n’avaient pas entrepris la traduction des Écritures en grec ? Les penseurs du christianisme primitif auraient-ils pu mener leur mission évangélisatrice sans cet immense trésor littéraire ? Paul et ses disciples auraient-ils bénéficié de la même résonance sans cet accès à une littérature largement diffusée ? Le christianisme aurait-il pu s’imposer comme une religion universelle sans l’héritage biblique et ses racines judéennes ?

Il est fort probable que, dans ce cas, les Judéens et leurs nombreux sympathisants auraient fini par conquérir l’espace gréco-romain, forts de l’ancienneté et de la richesse de leur bibliothèque.

Aujourd’hui, on considère que le judaïsme post-biblique est né parallèlement au christianisme, souvent en interaction avec lui. Ce processus s’enclencha avec la révolte de la diaspora contre les Romains (115-117) et s’acheva seulement au début du VIe siècle, lorsque le culte polythéiste fut interdit dans l’Empire.

Le christianisme provoqua une profonde transformation des croyances et des pratiques religieuses du monde hellénistique. Sa culture s’imposa bien au-delà des frontières de l’Empire byzantin. Pourtant, la pensée grecque-hellénistique, sa philosophie et ses avancées scientifiques ne disparurent pas avec l’essor de l’islam, mais continuèrent à façonner la culture mondiale.

On qualifie aujourd’hui notre civilisation de « culture judéo-chrétienne ». À mon sens, cette expression est inexacte. En réalité, la véritable révolution ne fut pas l’œuvre du christianisme, mais de la bibliothèque biblique, fruit du génie des Israélites et des Judéens. C’est elle qui constitue le socle fondamental du judaïsme, du christianisme et de l’islam. Plus précisément, il serait plus juste de parler d’une « culture biblique-hellénistique », fusion de l’héritage intellectuel grec et du patrimoine spirituel biblique.

Si l’on considère le flux d’affiliés aux Judéens durant l’époque gréco-romaine, ainsi que l’ancienneté et la richesse de la bibliothèque biblique, les Judéens semblaient avoir toutes les cartes en main pour s’imposer comme culture dominante.

La philosophie grecque et l’hellénisme auraient également pu supplanter un christianisme perçu comme irrationnel. Il est même surprenant de constater comment l’histoire de la résurrection d’un prédicateur galiléen a fini par l’emporter sur les enseignements de Platon et Aristote.

L’indifférence des Judéens face à l’essor des Chrétiens joua en faveur de ces derniers. Malgré leur avance culturelle et intellectuelle, les Judéens restèrent passifs, ne menant aucune véritable lutte idéologique.

En fin de compte, ce sont les Chrétiens qui accomplirent le travail pour eux, transmettant la bibliothèque biblique à l’ensemble du monde, jusqu’à aujourd’hui.

à propos de l'auteur
Yigal Bin-Nun. Historien. Chercheur à l'Université de Tel-Aviv à l'Institut Cohen pour l'histoire et la philosophie des sciences et des idées. Il est titulaire de deux doctorats obtenus avec mention à Paris VIII et à EPHE. L'un portant sur l'historiographie des textes de la Bible et l’aure sur l’histoire contemporaine. Il se spécialise en art contemporain, à la performance art, à l'inter-art et à la danse postmoderne. Il a publié deux livres, dont le best-seller Une brève histoire de Yahweh. Son nouvel ouvrage, Quand nous sommes devenus juifs, remet en question certains faits fondamentaux sur la naissance des religions.
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