La part du fardeau

Selon l’Institut International d’Études Stratégiques (IISS) britannique, l’armée israélienne dispose en permanence de 170 000 soldats sous les drapeaux et de 460 000 réservistes. Cette armée du peuple est la dernière institution à bénéficier de la confiance des Israéliens. 360 000 réservistes ont été mobilisés depuis le 7 octobre, soit un taux de 130 %, nombre d’entre eux ayant rejoint leur unité sans attendre les ordres.

Depuis quelques semaines, un mouvement de démobilisation a été engagé et devrait s’accélérer. C’est le moment qu’a choisi le gouvernement pour présenter un projet de loi sur la conscription. Le texte prévoit un retour aux 36 mois (contre 32 aujourd’hui) pour les combattants, avec une rémunération qui pourrait atteindre au final 9 000 shekels. L’âge limite pour les réservistes serait portée de 40 à 45 ans (de 45 à 50 ans pour les officiers et de 49 à 52 ans pour les emplois spécifiques). Les réservistes pourraient être appelés 42 jours (55 pour les officiers) par an, contre 54 (84 pour les officiers) sur 3 ans.

La réforme est d’ordre conceptuel : on passe du projet de constituer une « petite armée intelligente » à celui d’une « armée nombreuse et forte ».

On a noté depuis le début de la guerre la démarche de milliers d’orthodoxes voulant s’engager volontairement, mais seuls quelques centaines d’entre eux ont pu être incorporés. Cela ne change rien à la situation qui voit chaque année 11 000 jeunes ultra-orthodoxes échapper au service militaire. La question de la participation des Arabes reste également posée (de préférence sous forme de service national pour des raisons évidentes).

Par ailleurs le pourcentage d’exemptions pour raisons psychiatriques était de 12 % (!) en 2020, soit le triple de celui en 2014. Au total, c’est désormais moins de la moitié des jeunes Israéliens qui sert sous une forme ou sous une autre. Ceux et celles qui remplissent cette obligation le font encore avec détermination. Ainsi, les filles sionistes religieuses ont désobéi à Bezalel Smotricht, devenu depuis ministre des Finances et en charge d’une partie du ministère de la Défense, qui leur conseillait : « Ne fais pas l’armée, marie-toi et fais beaucoup d’enfants pour Israël ».

Depuis dix ans, elles utilisent moins les possibilités du service national et leur taux d’incorporation à l’armée est passé de 30 % à 50 %. L’absence d’encouragement à ce que chacun(e) prenne sa « part du fardeau » alimentera les débats à la Knesset. Ce projet de loi a au moins un mérite : celui d’écarter un dessein dont certains rêvaient, en particulier depuis le mouvement de révolte des réservistes protestant contre la réforme judiciaire en 2023 : la formation d’une armée de métier.

à propos de l'auteur
Philippe Velilla est né en 1955 à Paris. Docteur en droit, fonctionnaire à la Ville de Paris, puis au ministère français de l’Economie de 1975 à 2015, il a été détaché de 1990 à 1994 auprès de l’Union européenne à Bruxelles. Il a aussi enseigné l’économie d’Israël à l’Université Hébraïque de Jérusalem de 1997 à 2001, et le droit européen à La Sorbonne de 2005 à 2015. Il est de retour en Israël depuis cette date. Habitant à Yafo, il consacre son temps à l’enseignement et à l’écriture. Il est l’auteur de "Les Juifs et la droite" (Pascal, 2010), "La République et les tribus" (Buchet-Chastel, 2014), "Génération SOS Racisme" (avec Taly Jaoui, Le Bord de l’Eau, 2015), "Israël et ses conflits" (Le Bord de l’Eau, 2017), "La gauche a changé" (L'Harmattan, 2023). Il est régulièrement invité sur I24News, et collabore à plusieurs revues.
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