La nouvelle Troïka européenne – France, Allemagne, Pologne – contre la Russie

Le nouveau chancelier allemand Friedrich Merz s’est rendu à Paris pour marquer sa volonté de recréer l’attelage franco-germanique. Quel n’a pas été le contraste d’assister, le même jour, à cette visite suivie de celle d’un chef djihadiste pendant 20 ans, reconverti en président par intérim de la nouvelle Syrie, et qui a du sang sur les mains. Sa rencontre avec le président américain à Ryad correspond à sa rédemption made in USA. Le chancelier s’est rendu le même jour à Varsovie. Au-delà des poses pour les photographes, il faut regarder les faits à la lumière des réalités auxquelles l’Europe est confrontée.
Le contraste est d’autant plus saisissant que la situation politique dans nos deux pays, bien qu’elle ne soit pas identique, est pour le moins fragile, sinon précaire. L’attelage franco-allemand se transforme en troïka avec la Pologne, qui est en première ligne face à la Russie. On attend beaucoup de ce triumvirat, dont le poids stratégique et industriel penche nettement à l’est de l’Europe.
En Allemagne, l’importance de l’AfD sur l’échiquier pose un problème à la coalition. L’organisme de protection de la constitution (équivalent de notre DGSI, sécurité intérieure) propose de placer ce parti sous surveillance. Ce qui ne constitue pas encore une décision politique, mais qui en dit long sur les rapports de force au Bundestag. Concernant l’extrême droite, quand on évoque le cordon sanitaire en France, Berlin évoque le pare-feu.
Convergence et divergence, les deux mamelles de l’UE
Les intérêts des deux pays ne convergent pas sur tous les sujets. Concernant le Mercosur, l’Allemagne pour son industrie s’apprête à soutenir la ratification de ce traité. La France, qui prétend défendre son agriculture, s’y oppose, bien tardivement. De plus, l’agriculture française ne règlera pas ses problèmes structuraux uniquement en refusant le Mercosur. C’est l’arbre qui cache la forêt. Sa remise en ordre exige autre chose que des déclarations et des réformes règlementaires. Il faudra bien, un jour, saisir le taureau par les cornes.
Pour les deux dirigeants, il s’agit d’une remise à plat des relations. Berlin évoque un nouveau concept : le « réflexe germano-français ». On mesurera ses capacités sous peu.
Sur quoi semble-t-on d’accord
- La sécurité européenne
- Le rétablissement de la compétitivité.
- Sur la défense, on a conclu un accord ; reste à voir ce qu’on y mettra.
Sur les autres sujets, l’énergie, les investissements, l’environnement, les réformes économiques et sociales, la réduction des inégalités, on annonce vouloir « travailler ensemble ». Vaste programme !
La vraie question désormais posée à l’Union européenne : l’aggiornamento des relations transatlantiques depuis l’arrivée du président Trump, comment l’Europe peut-elle se rendre indépendante, économiquement et militairement. La question des tarifs douaniers, vitale pour l’industrie allemande, est un des sujets que le chancelier voudra aborder lors de sa prochaine rencontre à la Maison Blanche, tout en préservant une relation spéciale avec Washington.
OTAN, indépendance ou autonomie raisonnée
Il ne s’agit en aucun cas d’un divorce d’avec l’OTAN et les États-Unis. Le chancelier F. Merz considère que la participation américaine est indispensable pour obtenir un cessez- le-feu en Ukraine, conclure une paix et la mise en place de garanties sécuritaires pour Kiev. Les deux dirigeants français et allemand veulent écrire un nouveau chapitre. Au plan militaire la Grande-Bretagne est devenue le partenaire indispensable, car détentrice de l’arme atomique et d’une armée digne de ce nom.
Allemagne et Pologne
La Pologne voit d’un très mauvais œil l’intention allemande de lutter de façon plus agressive contre l’immigration clandestine et les demandeurs d’asile. Durant la période électorale, F.Merz a martelé que de tels candidats seraient reconduits à la frontière « dès le premier jour ».
Le Premier ministre polonais D. Tusk prône un renforcement des contrôles aux frontières de l’UE, contre un renforcement de celles entre les pays de l’UE. La Pologne, après avoir absorbé un très grand nombre de réfugiés ukrainiens, refuse d’en faire plus.
Dans le même temps, la Biélorussie, sans doute à la demande de Moscou, pour déstabiliser l’UE, a mis en place une filière migratoire vers la Pologne créant littéralement une pression permanente. Varsovie n’est plus en mesure d’absorber une immigration en provenance de l’UE.
Le 18 mai, la Pologne organise une élection présidentielle. Le PIS, parti d’opposition, utilisera pleinement cet argument du renvoi vers la Pologne des refusés à la frontière allemande. Donc D. Tusk attend du chancelier un changement de cette politique, qui si elle était appliquée, créerait un problème majeur et un obstacle à une collaboration plus étroite avec Berlin. D.Tusk propose une réactivation du « Triangle de Weimar » qui réunissait la Pologne, l’Allemagne et la France, et qui, selon lui, n’a pas été suffisamment mis à profit.
Berlin – Jérusalem
L’Allemagne poursuit ses relations avec Jérusalem, as usual, car la coalition respecte et valide la « raison d’État » unique qui préside aux relations entre les deux pays. De plus, les nombreuses incertitudes au plan économique augmentent d’autant la pression des industriels de l’armement qui n’accepteraient que très mal un quelconque embargo qui ne voudrait pas dire son nom. Après le contrat du système Arrow 3 de 2023, l’Allemagne souhaite acquérir le futur système Arrow 4 en développement.
France et Pologne
Les deux pays viennent de signer un traité de coopération et d’amitié « renforcées » qui fait suite au traité signé en 1991. La guerre en Ukraine a provoqué la montée en puissance de Varsovie qui accélère très sérieusement son réarmement. D’ailleurs la question est posée : à qui vont aller les futurs commandes d’avions de transport, d’avions ravitailleurs, ou de sous-marins ? Aux États-Unis, livrables sous peu, ou en France, dans plusieurs années. Ce sera un premier test grandeur réelle entre les deux nouveaux alliés, mais aussi pour tous les européens.
Lors du réarmement allemand, le pays a mis cent milliards sur la table, dont 95 ont été passés en commande aux États-Unis. Donc pour l’instant pas de Rafale en Allemagne. On peut imaginer que, pour l’exemple, la Pologne confiera quelques commandes à l’industrie militaire française.
Contrairement aux questions économiques et politiques, la Commission européenne n’est pas compétente en matière militaire, malgré les tentatives de sa présidente de se l’approprier. Il faut aussi dissocier les relations bilatérales entre l’UE et Washington des relations des pays membres de l’OTAN, bien que très souvent leur liste se confonde (l’UE : 27 membres ; l’OTAN : 32 membres, dont 23 sont membres de l’UE).
Pologne – Israël
La Pologne comme la France soutiennent la solution à deux États. Le ministre polonais des Affaires étrangères déclarait dès 2020 que la question de modifications des frontières de 1967 ne pouvait être réglée qu’entre les parties du conflit.
Après le massacre du 7 octobre, la Pologne s’est de nouveau exprimée pour la solution à deux États et l’existence d’Israël. En novembre 2023, Varsovie a voté la résolution de l’assemblée générale de l’ONU « du droit des Palestiniens à avoir un État » et à la « création rapide de l’État de Palestine », position de l’Union européenne.
À Gaza
Le 1er avril 2024, une frappe israélienne à Gaza a coûté la vie à sept membres de l’ONG World Central Kitchen, dont un travailleur humanitaire polonais. Bien qu’Israël ait qualifié l’incident d’ « erreur » due à une mauvaise identification, cette tragédie a provoqué une vive réaction en Pologne, avec la convocation de l’ambassadeur israélien à Varsovie et des critiques acerbes du président polonais Andrzej Duda. Malgré ces tensions, des efforts ont été faits pour apaiser les relations.
Le dilemme du mandat d’arrêt de la CPI
En janvier 2025, la Pologne s’est retrouvée dans une position délicate lorsque la Cour pénale internationale a émis un mandat d’arrêt contre le Premier ministre israélien B. Netanyahu. Alors que le président Duda souhaitait garantir la sécurité de Netanyahu lors d’une visite commémorative à Auschwitz, le gouvernement polonais, dirigé par D. Tusk a souligné son obligation de coopérer avec la CPI, créant une tension entre engagements internationaux, considérations diplomatiques, coopération stratégique et désaccords profonds, question de mémoire historique.
Depuis la décision polonaise de se doter d’une armée de pointe, Varsovie, face aux tensions régionales, a conclu plusieurs contrats avec des sociétés israéliennes. Tout n’est pas divulgué, mais parmi elles, Rafael Advanced Systems a signé un contrat pour la livraison de missiles antichars Spike d’une valeur de 100 millions de dollars. Un accord de coopération sous licence existe depuis 2003 avec le fabricant polonais Mesko. 21 pays européens l’utilisent déjà. Le budget polonais, consacré à la défense atteint près de 4% du PIB, un des plus élevés parmi les pays de l’OTAN. La diplomatie entre les deux nations reste donc un exercice d’équilibriste, où chaque pas est scruté avec attention.
Pendant ce temps, Américains, Européens, membres de la « coalition des volontaires » qui comporte l’Angleterre, la France, l’Allemagne, la Pologne, menacent Moscou de nouvelles sanctions, dont un dix-huitième paquet est prêt et pourrait entrer en vigueur dans les tous prochains jours, sauf si les pourparlers d’Istanbul proposaient une suite. Mais on oublie, parfois, que les Russes sont de remarquables joueurs d’échecs.
Ainsi va le monde…