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La mémoire d’Anne Frank honorée en terre corse

Hervé revient sur l'émouvante cérémonie destinée à perpétuer la mémoire de cette jeune fille de 15 ans qui admirait son marronnier depuis l'interstice de sa cache
Frédéric-Joseph Bianchi (le président de Terra-Eretz) et moi, devant l'arbre.
Frédéric-Joseph Bianchi (le président de Terra-Eretz) et moi, devant l'arbre.

Dans les montagnes qui dominent la partie la plus large de la riche terre agricole de la plaine orientale de la Corse, se trouvent quelques petits villages qui forment de véritables nids d’aigles, blottis sur des sommets rocheux ou accrochés à des pentes abruptes, séparées par des vallées escarpées qui forment de véritables canyons. Cette micro-région de l’est de l’île, c’est la Serra. De petites routes étroites et sinueuses, parfois en fort mauvais état, permettent d’y accéder lorsque l’on vient de Cervioni, d’Alistro ou d’Aleria. On traversera alors avec bonheur des petits villages aux vieilles maisons de pierre, où le temps semble s’être arrêté : Moita, Matra et enfin Pianellu.

Pianellu est une localité d’apparence rude et austère, qui s’étage sur une arrête rocheuse, à plus de 800 mètres d’altitude. Elle ne compte plus qu’une soixantaine d’habitants alors qu’il y en avait dix fois plus avant la Première Guerre mondiale. Son église Santa Cecilia, domine une petite place ombragée traversée par la Départementale 16, d’où l’on découvre, à travers une échancrure de la montagne, un panorama unique embrassant toute la vallée en contre-bas et, dans le lointain, la plaine, l’étang de Diana et enfin la surface bleutée de la mer Tyrrhénienne qui se confond avec l’azur du ciel. Face à l’église s’élève le grand bâtiment de l’ancienne école primaire, aujourd’hui transformé en foyer rural. Le territoire de la commune est parsemé de belles châtaigneraies aux arbres multiséculaires.

C’est en cet endroit haut perché, hors du temps et presque hors du monde que nous nous sommes rassemblés, le 10 août dernier, pour commémorer la mémoire d’une jeune fille de 15 ans, morte 72 ans plus tôt dans un camp de la barbarie nazie, loin, très loin de Pianellu.

C’est en effet dans ce village, au milieu des châtaigniers, que fut plantée, en novembre 2010, une bouture du marronnier qui se trouvait à côté de la maison située au bord d’un canal d’Amsterdam, là où vécurent cachés Anne Frank et les siens. Dans un passage de son célèbre « Journal d’Anne Frank », traduit en plus de 70 langues et dont plus de 25 millions d’exemplaires ont été vendus à travers le monde depuis sa publication en 1950, l’adolescente se réjouissait de voir, à travers un interstice, refleurir ce bel arbre.

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Cet arbre, malade depuis des années, avait fini par être abattu par une tempête, en 2010. Fort heureusement, la Fondation de la Maison Anne Frank avait pris le soin de prélever des boutures, dont un grand nombre fut offert à des associations du monde entier. L’une des bénéficiaires avait été la Fondation Umani, l’organisation fondée par Jean-François Bernardini, des célèbres « Muvrini ». Laquelle fondation soutenait, entre autres projets, la châtaigneraie de Pianellu. C’est ainsi que la bouture d’un marronnier hollandais trouva sa juste place au milieu des châtaigniers corses de Pianellu.

C’était un peu de la mémoire d’Anne Frank qui fut aussi transplantée dans cette île qui avait été proposée à Yad Vashem comme « île des Justes », en raison de l’attitude exemplaire de sa population, vis-à-vis des Juifs, durant la Seconde Guerre mondiale, malgré la double occupation, italienne et allemande, qu’elle subissait alors.

En ce 10 août 2017, nous étions environ deux cents personnes à avoir convergé à Pianellu, quadruplant ainsi, pour quelques heures, la population du village. Il y avait là des Corses venus des quatre coins de l’île et, parmi eux, des Catholiques, des Juifs ou des agnostiques.

Il y avait aussi des Corses et des Juifs venus du continent et même d’Israël. Ce rassemblement, joliment intitulé « in giru a l’arburu[1] », était l’initiative de l’association « Terra – Eretz[2] », fondée il y a quelques mois par Frédéric-Joseph Bianchi et un groupe de Corses et d’amis de la Corse, Juifs et non-Juifs, pour développer les relations entre la Corse et Israël dans tous les domaines.

Tous, nous avons été chaleureusement accueillis par Marius Poletti, le maire, et par Jean-Charles Adami, le président du Foyer Rural « a Teghja[3] » et également membre éminent de la « Cunfraterna di a Serra[4] ». Parmi nous se trouvaient le Dr Edmond Simeoni, l’infatigable militant de la cause de la renaissance de la Corse depuis plus d’un demi-siècle, et son épouse Lucie. Edmond devait d’ailleurs faire deux interventions improvisées, comme toujours emplies de réflexions humanistes et universelles et orientées vers la paix et la fraternité, la première lors de la cérémonie d’accueil devant la mairie, la seconde au pied du marronnier, durant la cérémonie de recueillement en mémoire d’Anne Frank, l’après-midi.

Vers la fin de la rencontre, nous nous sommes retrouvés à l’intérieur de l’église, pour écouter des chants sacrés polyphoniques, en latin, magnifiquement interprétés par la Confrérie. La journée s’acheva comme elle avait commencé, devant la mairie.

Nous avons alors eu l’occasion d’entendre Jean-Marc Mimouni interpréter « Elle s’appelait Hannah », rejoint par Frédéric-Joseph Bianchi pour le refrain, traduit en langue corse. Enfin, ce fut la chaude voix d’Aurélie Agostini, dans son interprétation d’une très belle berceuse hébraïque. L’émotion fut portée à son comble lorsque celle qui fut choriste de Joe Dassin, de Claude François, de Mort Schuman et de Charles Aznavour entonna le Hatikva, repris en chœur par l’assemblée qui s’était spontanément levée.

Ces moments forts vécus à Pianellu ont fait affluer en moi d’autres souvenirs. En particulier ceux de mes efforts pour faire lire de « Journal d’Anne Frank » aux jeunes Africains, lorsque je démobilisais des enfants-soldats, au Congo/Zaïre ou en Ouganda. J’avais en effet ramené des exemplaires francophones et anglophones du livre, achetés durant ma visite de la Maison d’Anne Frank à Amsterdam. Je fus alors heureux de m’apercevoir que les mots écrits par une jeune juive allemande des années quarante parvenaient à toucher le cœur de jeunes Africains du début du XXIe siècle, eux aussi victimes de la guerre et de la barbarie.

Frédéric-Joseph Bianchi (le président de Terra-Eretz) et moi, devant l'arbre.
Frédéric-Joseph Bianchi (le président de Terra-Eretz) et Hervé Cheuzeville, devant l’arbre.

Cette journée passée à Pianellu restera, pour tous les participants, inoubliable. Ce fut l’occasion de découvrir un beau village perché dans la montagne, au cœur de la Corse profonde, de la vraie Corse.

Ce fut surtout un moyen de perpétuer la mémoire d’Anne Frank et de continuer à tisser des liens d’amitié et de solidarité entre le peuple Juif et le peuple corse, liens qui n’ont cessé de se renforcer au cours des siècles, en particulier lors des épreuves partagées.

La Corse fut en effet de tout temps une terre d’asile pour les Juifs persécutés, que ce soit ceux du ghetto de Padoue qui y émigrèrent en 1684[5], ceux qui furent invités à s’installer en Corse indépendante par son chef, Pasquale Paoli, au XVIIIe siècle, ceux qui avaient fui les persécutions ottomanes en Terre Sainte et qui débarquèrent à Aiacciu un jour de 1915, durant la Première Guerre mondiale, ou encore ceux de la communauté juive menacée par les lois raciales de Vichy et par la présence de l’occupant nazi.

Merci à la municipalité de Pianellu et au Foyer rural « a Teghja » pour leur accueil et bravo à « Terra-Eretz[6] » pour cette belle initiative. J’espère que l’on se retrouvera l’an prochain à Jérusalem et à… Pianellu !

Frédéric-Joseph Bianchi, Mariu Poletti (maire de Pianellu) et le Dr Edmond Simeoni, leader historique du mouvement autonomiste corse
Frédéric-Joseph Bianchi, Marius Poletti (maire de Pianellu) et le Dr Edmond Simeoni, leader historique du mouvement autonomiste corse

[1] « Autour de l’arbre ».

[2] Ces deux mots, le premier en corse, le second en hébreu, signifient « terre ».

[3] L’ardoise, en corse.

[4] Confrérie de la Serra ; les confréries sont des groupes de laïcs qui, depuis des siècles, jouent un rôle religieux et social très important dans les paroisses de Corse.

[5] Le patronyme Padovani est très répandu, en Corse. Ceux qui le portent sont les descendants de ces réfugiés venus de Padoue au XVIIe siècle.

[6] Pour contacter ou adhérer à Terra-Eretz, écrire à : terraeretz@gmail.com

à propos de l'auteur
Hervé Cheuzeville est diplômé de l'Institut National des Langues et Civilisations Orientales de Paris. Il est basé à Bastia, en Corse et a vécu et travaillé en Afrique de 1989 à 2013, toujours dans l'humanitaire, après avoir œuvré en Asie du Sud-Est. Il est l’auteur de "Kadogo, Enfants des guerres d’Afrique Centrale" (Ed. l’Harmattan, 2003), de "Chroniques Africaines de guerres et d’espérance" (Ed. Persée, 2006), de "Chroniques d’un ailleurs pas si lointain – Réflexions d’un humanitaire engagé" (Ed. Persée, 2010) et de "Au fil des chemins - Afrique, Asie, Méditerranée"(Edilivre, 2013). Les deux tomes de son ouvrage suivant, "Des royaumes méconnus", sont parus chez Edilivre: le premier est consacré à 6 royaumes d'Asie, le second à 12 royaumes africains. En mars 2017, les Editions Riqueti ont publié son dernier ouvrage, "Prêches dans le désert", qui constitue un véritable réquisitoire contre l'islamisme politique, le terrorisme islamiste et le parti pris propalestinien des grands médias. Ce livre a été suivi par "Nouveaux Prêches dans le désert" publié en 2020 aux Edizione Vincentello d'Istria. Entre temps, il avait publié, chez ce même éditeur "Rwanda, vingt-cinq années de mensonges". Hervé Cheuzeville a en outre contribué à deux ouvrages collectifs: "Corses de la diaspora" en 2018, sous la direction du Professeur Jean-Pierre Castellani (Scudo Editions) et "Chypre, 1974-2024, 50 ans d'occupation turque", sous la direction de l'historien Charalambos Petinos.
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