La matrice de la haine d’Israël, Timna

Crédit : Pierre Orsey
Crédit : Pierre Orsey

וְתִמְנַע הָיְתָה פִילֶגֶשׁ, לֶאֱלִיפַז בֶּןעֵשָׂו, וַתֵּלֶד לֶאֱלִיפַז, אֶתעֲמָלֵק

« Timna fut la concubine d’Eliphaz, fils d’Esav ; elle enfanta Amaleq à Eliphaz » Genèse 36,12

Timna est une femme mystérieuse, dont on parle peu dans la Torah. Pourtant elle joue un rôle crucial dans l’Histoire d’Israël puisqu’elle va engendrer son pire ennemi (et le pire ennemi de l’humanité) qui sévira de générations en générations. Souvent, ce qui est le plus voilé dans la Torah est en réalité le plus important.

La Torah écrite ne parle que deux fois de Timna et nous savons ainsi qu’elle était de souche royale, « la sœur de Lotan » (Genèse 36,22). Lotan était le chef des Horéens, les premiers habitants du pays de Seïr. Par la Torah orale nous apprenons que Timna aurait voulu devenir l’épouse d’Avraham, puis d’Isaac, puis de Yaakov, et tous les trois ont refusé parce qu’ils avaient déjà leurs propres épouses. Timna signifie « la repoussée ». De la racine « imnoa ».

En réalité elle désirait se convertir à la foi en l’existence du Dieu UN et voulait rejoindre la maison d’Avraham. Mais, comme ils ne l’ont pas acceptée, elle est devenue la concubine d’Eliphaz le fils d’Esav et d’Ada la Cananéenne : « Mieux vaut pour moi être une servante de cette nation [Israël], plutôt qu’une femme noble dans un autre peuple ».

Rachi pose une question : le devoir des Patriarches n’était-il pas d’accueillir Timna et de la convertir à la foi d’Avraham ? En effet, la Tradition affirme qu’ils n’auraient pas dû repousser Timna, car même si l’attachement à Israël n’est pas totalement désintéressé au départ, il finit par purifier celui qui y adhère.

Alors comment expliquer ce refus des Patriarches ? N’avaient-ils pas compris l’intention de Timna ? En réalité, sa situation était ambiguë : était-elle vraiment attirée par la foi d’Avraham ou bien plutôt par les bénédictions attachées à la Promesse ? Et cependant, les Sages affirment que la volonté de Timna d’échanger son statut de princesse contre celui de concubine témoigne de sa pure intention de conversion. Et puisqu’Israël n’a pas voulu accueillir Timna, elle s’est tournée vers quelque chose qui ressemblait à Israël, Eliphaz fils d’Esav. Le fruit de son union avec Eliphaz fut Amaleq qui deviendra l’ennemi juré d’Israël.

Amaleq surgit donc dans l’histoire à cause d’un refus des Patriarches. En réalité, les Patriarches avaient peur qu’Amaleq ne naisse en Israël. Ils redoutaient une identité mixte entre les Cananéens et les Hébreux. C’est la raison pour laquelle ils ont refusé Timna, une matrice étrangère.

Amaleq concentre donc en lui les frustrations de sa mère rejetée et la haine de son grand-père Esav envers Yaakov. Une tendance refoulée s’accroît de manière démesurée jusqu’à devenir dévastatrice. C’est cela Amaleq. On a refoulé Timna, et Amaleq en est sorti. D’après le Midrach, quand Yaakov a échappé à Esav et s’est enfuit chez son oncle Lavan à Haran, Esav a envoyé Eliphaz pour le poursuivre et le tuer.

Quand ils se sont rencontrés, Yaakov a supplié Eliphaz de ne pas le tuer, mais Eliphaz a répondu qu’il devait obéir aux ordres de son père. Yaakov a donné tout ce qu’il avait à Eliphaz et lui a dit : « Prends ce que j’ai, car un pauvre est compté comme mort. » Eliphaz satisfait a laissé son oncle en vie (Rachi, Gen 29,11). Il a donc décidé de suspendre son projet mais il a ensuite conseillé à son fils Amaleq d’attendre la sortie d’Égypte des Hébreux pour le mettre à exécution.

Il y a une incohérence entre Genèse 36,20-22 où Timna est présentée comme la sœur de Lotan et la concubine d’Eliphaz, et 1Chroniques 1,36 qui la mentionne comme fille d’Eliphaz (et donc sœur d’Amaleq). Cela montre à quel degré de corruption étaient parvenus les descendants d’Esav, Eliphaz ayant pris sa propre fille comme concubine. Amaleq était donc le frère de sa mère et le petit fils de son père… Ce qui caractérise Amaleq, c’est précisément cette confusion d’identités, ce mélange qui fait qu’on ne sait plus qui est qui.

La valeur numérique des lettres qui forment le nom d’Amaleq : ayin – mem – lamed – kouf est la même que celle du mot safek qui signifie « doute » ; le propre d’Amaleq est de semer le doute, la discorde, la confusion. De cette manière, l’Alliance irrévocable qui unit Israël et son Dieu se fragilise. Amaleq s’en prend aux Juifs les plus fragiles et vise même le Nom divin.

C’est pour cette raison qu’il apparaît dès la sortie d’Égypte au moment où Israël est vulnérable. On le verra ressurgir avant l’entrée des Hébreux en terre d’Israël et à d’autres moments cruciaux dans l’Histoire. Il faut donc faire une différence entre les descendants d’Amaleq qui sont à éliminer et les autres descendants d’Esav pour lesquels on nous dit : « N’aie pas l’Edomite en horreur car il est ton frère ».

Si la princesse Timna avait été la concubine d’Avraham, elle aurait pris la place de Sarah, qui signifie aussi en hébreu « la princesse ». Cela veut dire qu’Israël serait sorti de Timna, une matrice étrangère, et non pas de Sarah (elle aussi étrangère, certes, mais désignée comme Matriarche par HaChem), ce qui est inconcevable. Si une princesse d’un autre peuple demande à entrer en Israël, elle n’aura cette prérogative qu’à condition d’accepter de s’intégrer dans le Peuple engendré par les Matriarches et non pas en instaurant son identité propre comme matrice d’Israël. Les Nations voudraient bien être elles aussi la matrice d’Israël… tout le problème vient de là : les goyim voudraient être Israël ! Timna porte ce désir d’être Israël mais comme reine.

Ce qui nous est révélé dans cette histoire, c’est cette manière d’être le rival d’Israël en ayant la prétention de le remplacer radicalement. Or l’identité d’Israël sort de Sarah, de Rivka, de Léa et de Rahel ; et non pas de Timna. Timna porte en elle une redoutable revendication : elle veut bien le Dieu d’Israël, sa Torah, sa terre, sa capitale Jérusalem, mais pas son Peuple.

C’est ce que les Patriarches ont pressenti, et c’est pour cela qu’ils ont refusé Timna. A la différence de Ruth qui a voulu adopter l’identité d’Israël (« Ton peuple sera mon peuple et ton Dieu sera mon Dieu »), Timna veut imposer sa propre identité. Par dépit, elle s’est rabattue sur d’autres branches de cette lignée-là, elle a préféré au moins être à l’ombre de cette identité hébraïque plutôt que d’être la princesse d’un autre peuple.

Chaque fois qu’une idéologie dans l’Histoire prétend être ce qu’Israël est censé être, nous retrouvons ce conflit avec Amaleq. La civilisation romaine (devenue occidentale) est un exemple de cette substitution qui a duré 2000 ans : l’identité romaine, la Timna romaine, qui veut être Israël mais à condition que ce soit sa propre royauté qui soit la royauté d’Israël, et non celle de la famille d’Avraham.

La Tradition affirme qu’Esav (le mauvais Esav = Edom) ne tombera qu’aux mains d’un descendant de Rahel. En effet, comme Amaleq est le produit de l’abnégation de Timna, sa disparition ne pourra avoir lieu que par l’abnégation d’une autre femme. Et Rahel est un modèle d’abnégation et de sacrifice de soi. Elle a accepté de n’être que la seconde épouse de Yaakov alors qu’elle était son vrai zivoug (âme sœur) et qu’elle lui était destinée.

Elle a même été jusqu’à communiquer à sa sœur Léa le « code secret » (signe) qui lui permettrait de s’unir à Yaakov la nuit de ses noces, afin qu’elle ne se trouve pas humiliée si on avait découvert qu’elle avait pris sa place. En demandant à être enterrée à Bethlehem, elle accepte de ne pas être avec Yaakov dans le caveau des Patriarches et Matriarches à Hévron, ni auprès de son fils Yossef à Sichem, afin de pouvoir intercéder pour les enfants de Léa le jour où ils se verraient contraints de partir en exil et qu’ils passeraient par Bethlehem.

Amaleq pourra être vaincu grâce à Rahel mère de Yossef. Et le tikoun (réparation) de la princesse (reine) Timna pourra être fait grâce à la reine Esther descendante de Benyamin le deuxième fils de Rahel.

à propos de l'auteur
Passionné de judaïsme et d'Israël, Pierre Orsey est né en 1971 et habite près d’Avignon.
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