La loi sur l’in-égalité des charges, un drame juif
Depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois, la presse israélienne se passionne pour un feuilleton à l’issue improbable.
Chaque épisode apporte son lot de rebondissements. Le spectateur ou le lecteur est tenu en haleine par les innombrables moments de suspense offerts par la cacophonie de ce débat.
Un débat qui agite le Peuple Juif depuis la sortie d’Égypte, depuis la querelle entre Rabbi Ichmaël et Rabbi Shimon (cf. Traité Berakhot, 35b).
Je veux bien sur parler de la loi d’incorporation des élèves des établissements talmudiques orthodoxes du pays et de ces dialogues de sourds qui agitent la commission présidée par la numéro deux du parti Habayt Hayeoudi, Ayelet Shaked.
Depuis que les Juifs sont juifs, à savoir depuis la Sortie d’Égypte, le Peuple a toujours été divisé sur la question de leur incorporation à l’armée.
La Paracha Bechalah dans le livre de Chemot est truffé de références à cette tension qui met les Juifs face à la réalité de la guerre. Au fil des siècles, les différents courants qui traversent le Peuple Juif ont, ainsi, échafaudé des systèmes de pensées autour de ces épisodes racontés dans cette paracha.
Et pour cause, dans Bechalah, le Peuple Juif est d’abord livré à lui-même au lendemain de la sortie d’Égypte. Il s’est retrouvé, du jour au lendemain, propulsé dans un milieu hostile, à savoir, le désert, à la merci des peuples qui rêvent de l’anéantir.
Ainsi, certains déclarent « vouloir repartir en Égypte ». D’autres sont, en revanche, « prêts au combat » et une autre partie s’en remet à D-ieu en l’implorant de lui accorder quelques années de plus sur Terre. Moïse joue, lui, parfaitement son rôle de Chef d’état-major.
Il organise autour de lui un véritable conseil de guerre, s’adjoint de ses plus fidèles alliés à commencer par Josué. Au fil de l’histoire, l’homme devient grand et se mue en véritable courroie de transmission entre D-ieu et le peuple.
Ces trois dispositions d’esprit en apparence diamétralement opposées ainsi que l’attitude adoptée par Moïse permettent en réalité de comprendre le débat actuel sur cette loi d’incorporation des élèves orthodoxes qui préoccupe tant l’échiquier politique du pays.
Cette mise en perspective historique permet aussi, à mon humble avis, de distinguer les positions défendues par les différents partis qui composent la commission Shaked.
Et depuis l’ouverture des débats, les représentants politiques de cette commission sont traversés par les mêmes incertitudes, les mêmes hésitations et les mêmes craintes que leurs illustres aïeux.
Les partis orthodoxes du Shass et du Judaïsme de la Torah craignent de voir les exemptions accordées à leurs ouailles disparaitre. Les membres du parti centriste du Yech Atid ont fait jouer les accords de coalition pour pousser le premier Ministre, Binyamin Netanyahou, à ajouter le paragraphe des sanctions pénales infligées aux étudiants réfractaires au chapitre de la loi.
La formation dirigée par Yair Lapid tenait surtout à ne pas perdre le peu de crédit qui lui reste au sein de son électorat. Pour rappel, l’ancien journaliste avait fait de cette loi sur l’égalité des charges militaires l’un des points cardinaux de son programme.
Le ministre de la Défense, Moshé Yaalon et le chef d’état-Major de Tsahal, Benny Gantz ont, choisi, eux, de la jouer profil-bas. Le responsable de l’armée israélienne déclarait, il y a peu, que « Tsahal avait soumis ses exigences à la commission, mais n’avait, en revanche, aucune prise et aucun poids sur les débats et sur le vote de la loi ».
Certaines personnalités au sein de l’appareil militaire ont, par ailleurs, déjà émis des doutes sur la mise en application de la loi. Mais, on a tout de même peine à croire Benny Gantz L’armée est la mieux placée pour évaluer ses besoins en homme et s’il faut ajouter quelques orthodoxes de plus au sein de Tsahal, ses responsables sauront peser de tout leur poids pour faire accepter leurs exigence.
A ce propos, le ministère de la Défense souhaiterait envoyer des dizaines de ses inspecteurs pour vérifier l’assiduité à l’étude des bénéficiaires des dispenses de service. Les moins sérieux seront conduits au bureau d’incorporation et enfileront le costume vert kaki du soldat. Ayelet Shaked serait déjà favorable à la proposition du ministère.
Le Bayt Hayehoudi a fait du Bayt Hayehoudi. Lorsqu’on observe chaque jour, l’actualité de ce parti, on a l’impression d’entendre un très mauvais concert d’opéra dirigé par un chef d’orchestre amateur. Tout sonne faux.
Et comme dans chaque orchestre, il y a le soliste, j’ai nommé, Ouri Ariel, ministre du logement qui, pendant que sa collègue et consœur, Ayelet Shaked tente tant bien que mal de parvenir à mettre tout le monde d’accord, Ariel déclare, « croyez-moi, aucun élève orthodoxe ne se rendra à l’armée, je vous en donne ma parole ».
Dans n’importe quel parti, il aurait été repris de volée par son chef, mais là, Naftali Benett aura brillé par son absence. Le chef de la formation sioniste-religieuse pourtant si prompt à donner son avis sur tout, s’est, cette fois, mué en carpe farcie.
Il a préféré encaisser sans répondre les critiques de ses collègues de la coalition. Son adjointe, Ayelet Shaked, est apparue lors des débats comme son bouclier humain. La présidente de la commission a, ainsi, cristallisé sur sa personne toute la violence de ce débat.
Ses détracteurs n’ont pas cessé de l’accuser de tous les maux. Mauvaise gestion du dossier, favoritisme, amateurisme, manque de poigne. Au final, on dira que la jeune femme a cherché à contenter tout son monde au risque de s’éloigner de l’intitulé de loi qui porte sur l’égalité des charges.
À ce propos, la numéro deux du Parti nationaliste de droite n’a eu de cesse, durant les deux semaines de palabres, de remplacer le terme égalité par répartition. Pour elle, la loi ne porte pas sur l’égalité des charges mais plutôt sur la répartition des tâches. Ayelet Shaked savait pertinemment que les partis orthodoxes n’accepteraient pas d’être logé à la même enseigne que leurs frères laïques.
Elle a donc préféré fixer des quotas progressif d’incorporations, et ce, jusqu’en 2017 (3800 élèves orthodoxes en 2015 et 5200 en 2017). Ainsi, jusqu’en 2017, ces étudiants pourront repousser leur entrée dans Tsahal voire même obtenir une exemption à l’âge de 22 ans. À partir de 2017, les élèves âgés de 21 ans et plus pourront être appelés à servir sous les drapeaux si les quotas fixés par la commission ne sont pas atteints.
Les candidats à l’incorporation auront toujours la possibilité de repousser l’appel de Tsahal, et ce, jusqu’à l’âge de 24 ans. Tous les élèves réfractaires pourront se voir sanctionner d’une peine d’emprisonnement. Ces sanctions entreront en vigueur six mois après l’entrée en fonction de cette loi, à savoir, aux alentours du mois de juin 2017.
À lire l’énoncé de ces mesures, nous sommes en droit de nous interroger s’il n’y a pas erreur sur la marchandise. Même si la presse israélienne s’est réjouie de cette révolution dans l’Histoire social d’Israël, il apparaît clairement que la loi qui sera votée en deuxième et troisième lecture à la Knesset au début du mois de mars ne changera pas la face du pays.
Malgré les élucubrations et les menaces des têtes de pont des partis orthodoxes, leurs élèves pourront continuer à étudier la Torah et à refuser de venir grossir les rangs de Tsahal. Certains représentants des formations religieuses n’ont d’ailleurs pas hésité à affirmer « qu’il aurait été plus judicieux d’infliger des sanctions économiques aux étudiants réfractaires ».
Quoi qu’il en soit, à vouloir contenter tout son monde, Ayelet Shaked a participé à épaissir le brouillard qui entoure cette question de l’incorporation. Et que dire des 17 mois de service accordé aux élèves des établissements prémilitaires proches des mouvements sionistes religieux.
Pourquoi effectueraient-ils 17 mois et non 32. Pourquoi ne seraient-il pas sanctionnés, eux aussi? Pourquoi lui et pas moi?. Telle est la remarque dramatique qui transforme cet éternel débat en bourbier. L’autre drame est qu’Ayelet Shaked ait baissé les bras devant les pressions exercées par toutes les tribus représentées lors de cette commission.
Elle aurait dû s’inspirer de Moïse qui les bras levés est parvenu à transmettre la force de l’Éternel aux enfants d’Israël pour anéantir les amalécites.