La guerre aggrave la pénurie de main d’œuvre en Israël

La mobilisation de nombreux réservistes, la fermeture prolongée des écoles comme l’absence des travailleurs étrangers et ouvriers palestiniens, ont eu pour effet de soustraire au marché du travail une proportion importante de la population active d’Israël.

Si l’heure est à la guerre, l’économie d’Israël n’est pas paralysée : elle tente de poursuivre son activité malgré les contraintes que l’état de guerre lui impose.

En fait, l’économie israélienne est entrée en guerre alors qu’elle souffrait déjà d’une pénurie de main d’œuvre ; le conflit n’a donc fait qu’aggraver le manque de mains travailleuses, accélérant le ralentissement de certaines activités.

Avant-guerre

Avant l’entrée en guerre, le chômage en Israël était retombé à un de ses plus bas niveaux jamais enregistré : 145 000 chômeurs ont été recensés en septembre dernier, soit 3,2 % de la population active.

Depuis quelques années, Israël souffre d’une véritable pénurie de main d’œuvre ; beaucoup d’emplois sont vacants alors que l’effectif des chômeurs est au plus bas. La pénurie chronique de main d’œuvre en Israël se traduit par un nombre important d’offres d’emplois qui ne trouvent pas preneurs ; en septembre dernier, 118 000 postes vacants étaient à pourvoir.

Les emplois vacants en Israël sont nombreux parmi certains métiers du secteur privé, comme : les commerciaux, les techniciens et ingénieurs, les chauffeurs de poids lourds et autobus, les aides à domicile, les serveurs et barmans, les agents de sécurité, etc. La tendance existe aussi dans le secteur public : l’éducation et la santé sont en manque chronique de personnel dans presque toutes les professions.

Pour compenser la pénurie locale de main d’œuvre, Israël fait généralement appel à une forte main d’œuvre étrangère. Début 2023, près de 140 000 travailleurs étrangers se trouvaient en situation régulière en Israël ; les pays d’Asie sont les principaux fournisseurs de main d’œuvre à Israël, notamment les Philippines, Inde, Thaïlande, Chine et Népal. Dans l’agriculture israélienne, plus de la moitié de la main d’œuvre est d’origine asiatique.

De même, certains employeurs israéliens utilisent largement les ouvriers palestiniens : début 2023, on comptait 120 000 Palestiniens de Cisjordanie et encore 20 000 Palestiniens de Gaza qui entraient quotidiennement en Israël pour y travailler, notamment dans la construction et travaux publics.

Pendant la guerre

Plusieurs retombées de la guerre Israël-Hamas accentuent la pénurie de main d’œuvre. La mobilisation par Tsahal de 360.000 réservistes a enlevé du marché du travail près de 10% de la population active du pays. La fermeture de nombreux commerces et services s’est traduite par la mise en congé sans solde de plus de 100 000 salariés.

De même, le déplacement de 125 000 Israéliens, des zones en guerre vers des régions plus calmes, a interrompu de nombreuses activités dans tous les secteurs. Quant à la fermeture quasi-générale des écoles du pays, elle oblige les parents à rester à la maison avec leurs enfants en bas âge.

Les travailleurs étrangers en Israël n’ont pas été épargnés par les massacres et roquettes du Hamas ; parmi les morts et blessés, figurent de nombreux philippins, thaïlandais et chinois qui travaillaient sur les chantiers de construction et dans le secteur agricole. Ceux qui n’ont pas été victimes du Hamas ont, pour la plupart, quitté le pays.

Quant aux travailleurs palestiniens, ils sont désormais interdits de séjour en Israël ; ce qui prive la construction d’un bon tiers de sa main d’œuvre.

Après-guerre

Tant que la guerre se poursuivra, le marché de l’emploi en Israël restera tendu du fait qu’il est en situation de plein emploi et sans réserve de main d’œuvre. Déjà, de nombreuses activités tournent au ralenti : construction, agriculture, commerce, restauration, etc.

Dans le BTP, la construction de logements neufs s’effondre, ce qui va aggraver la pénurie de logements dans le pays ; quant aux grosses infrastructures, comme routes et chemins de fer, l’interruption des chantiers va accentuer le retard accumulé.

Dans l’agriculture, les zones en guerre dans le sud d’Israël fournissent 75 % des légumes du pays, 20 % des fruits et 10 % du lait ; autant de produits qui manqueront dans l’assiette de l’Israélien avec le ralentissement des récoltes.

Lorsque la guerre Israël-Hamas se terminera, les dirigeants israéliens devront indemniser rapidement les activités durement touchées par le conflit ; il faudra dédommager les employeurs, indépendants et salariés, pour les journées de travail perdues et les inciter à un « retour à la normale » le plus rapide possible.

Il sera important aussi de convaincre les travailleurs étrangers à revenir travailler en Israël (ou à y rester pour ceux qui ne sont pas partis) ; des avantages financiers et autres primes seront nécessaires pour permettre aux secteurs dépendants de la main d’œuvre étrangère de reprendre le cours normal de leurs activités.

à propos de l'auteur
Jacques Bendelac est économiste et chercheur en sciences sociales à Jérusalem où il est installé depuis 1983. Il possède un doctorat en sciences économiques de l’Université de Paris. Il a enseigné l’économie à l’Institut supérieur de Technologie de Jérusalem de 1994 à 1998, à l’Université Hébraïque de Jérusalem de 2002 à 2005 et au Collège universitaire de Netanya de 2012 à 2020. Il est l’auteur de nombreux ouvrages et articles consacrés à Israël et aux relations israélo-palestiniennes. Il est notamment l’auteur de "Les Arabes d’Israël" (Autrement, 2008), "Israël-Palestine : demain, deux Etats partenaires ?" (Armand Colin, 2012), "Les Israéliens, hypercréatifs !" (avec Mati Ben-Avraham, Ateliers Henry Dougier, 2015) et "Israël, mode d’emploi" (Editions Plein Jour, 2018). Dernier ouvrage paru : "Les Années Netanyahou, le grand virage d’Israël" (L’Harmattan, 2022). Régulièrement, il commente l’actualité économique au Proche-Orient dans les médias français et israéliens.
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