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La France de mon enfance

Ari partage ses souvenirs de la France de son enfance et ses craintes si Le Pen avait gagné

La France de mon enfance brûle à moyen feu. Les six policiers blessés à Paris par des voyous locaux n’en sont que les dernières victimes. Et Marine Le Pen et ses marchands de haine en profitent pour tenter de la détruire.

La France de mon enfance était une terre d’accueil généreuse pour mes parents juifs marocains. Nous coexistions avec nos voisins musulmans dans une banlieue travailleuse et bien mélangée de Paris.

Mon père gérait son petit commerce de fruits et légumes. Il avait un seul employé, Mustafa, qui faisait ses heures supplémentaires comme baby-sitter pour mon frère et moi. Mon meilleur ami s’appelait Adel ; il était le sixième enfant d’une famille arabe nombreuse.

Dans mon quartier d’enfance, je ressentais bien plus d’affinité culturelle pour Mustafa et Adel que pour les “vrais Français”. Les juifs et les musulmans étaient plus pratiquants que les autres, et nos religions s’appuyaient sur des lois rituelles claires et précises.

Pour Adel et pour moi, le déjeuner était casher ou halal et se prenait dans la cour ou à la maison, jamais à la cantine. Nous étions superstitieux et craignions les lutins qui, de l’avis unanime de nos parents, trainaient dans le cimetière d’en face.

Et nous partagions une culture émotion, elle similaire : quasi-adoration devant nos mères, respect sans frontière pour les anciens, tendresse particulière et esprit de protection aigu pour les membres vulnérables de nos familles, et bien sûr la culture méditerranéenne de la table.

Je n’ai découvert la France des autres qu’à mon adolescence. ette France était une terre bien plus universelle, descendante de l’époque des Lumières.

Sa langue et ses livres m’enlevèrent à mon quartier-cocon chaud et bienveillant, et me firent découvrir le monde des idées. Sa soif de débats et de discussions, et sa fidélité au “droit à la différence”, me firent découvrir et apprécier les voix des autres, sans pour autant me déraciner de ma culture judéo-marocaine.

Sa distinction hermétique entre les espaces privés et publics, et la tolérance de toutes sortes de styles de vie qui en découle, stimuleront chez moi un amour naturel de l’humanité, libéré de jugements mesquins et d’étroitesse d’esprit.

J’ai quitté mon quartier et ma France pour étudier et voyager, et j’ai trouvé ma voie et abouti il y a de ça 30 ans aux États-Unis où je suis professeur de droit, grâce à la France de mon enfance. Mais cette France a aussi un autre visage, sombre et intolérant, et cette face menace aujourd’hui ma France.

Si Marine Le Pen avait remporté l’élection présidentielle ce weekend, elle aurait commencé par s’en prendre aux musulmans, mais elle finira certainement par les juifs. Elle s’attaquera à nos rites parce qu’elle déteste les deux enfants d’Abraham.

Ses prétendus lois d’abattage auraient interdit la viande casher autant que celle halal. Ses lois de “santé publique” médicaliseront la circoncision et auraient empêché les parents musulmans et juifs de faire entrer leurs enfants dans l’alliance sacrée de notre ancêtre commun Abraham.

Et fondamentalement, elle aurait asséché l’esprit de tolérance d’autrui qui a caractérisé la France de mon enfance, et aurait semé la peur, la colère, et le retranchement.

Mon épouse et moi sommes rentrés dans une synagogue parisienne il y a de cela deux ans, alors que le rabbin commençait son sermon.

Il souleva la question : “Quand devons-nous quitter la France ?”

Sa réponse, tirée de l’histoire de Jacob quittant le pays de son beau-père Laban, recommandait le départ si “nous ne reconnaissons plus la France que nous connaissions hier”.

La France d’Emmanuel Macron n’est pas exactement la France idéale de ma mémoire et de mon expérience, mais elle donnera à ceux qui y croient une chance de se battre pour ses idéaux de liberté, égalité et fraternité.

La France de Marine Le Pen aurait été méconnaissable, et pour musulmans et juifs, elle aurait sonné la cloche du départ et de l’Exil.

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