La FINUL et son bilan – La faillite du bon sens
L’actualité
Début octobre 2024, cinq casques bleus ont été blessés dans le cadre d’actions militaires dont le déroulement fait encore l’objet d’enquêtes approfondies. Certains journaux ont cru bon d’écrire « Les casques bleus du Sud-Liban sous le feu de l’armée israélienne »[1] ou encore « La FINUL ciblée par Israël »[2], laissant entendre par ces formulations incertaines que l’armée israélienne a sciemment bombardé les forces internationales. Bien évidemment, si les casques bleus avaient été délibérément ciblés par Tsahal ou avaient été sous le feu de cette armée, il est plus que probable que les dégâts sur ses positions auraient été bien plus importants. Et bien que l’on ne sache pas encore ce qui s’est précisément passé sur ces incidents, ou sur ceux qui les ont suivis, il semble plus que vraisemblable que dans le brouillard des opérations militaires, ces blessés font partie de ce que l’on appelle pudiquement des dommages collatéraux. Mais ce micro événement à l’échelle des opérations militaires qui ont lieu au Proche-Orient est l’occasion de s’interroger sur la mission de ces soldats des Nations Unies.
Le contexte historique
La FINUL est l’acronyme qui désigne la « Force Intérimaire des Nations Unies au Liban ». Il s’agit d’un contingent militaire créé au début des années 1980 et dont la mission a été redéfinie au terme de la deuxième guerre du Liban de l’été 2006. Celle-ci a mis face à face Israël et le Hezbollah dans un affrontement armé déclenché par une action offensive du Hezbollah, qualifié d’organisation terroriste par beaucoup de pays démocratiques.
Rappelons brièvement en quoi consistait cet épisode déclencheur :
Le 12 Juillet 2006, à 9 heures du matin, le Hezbollah tire des roquettes et des obus de mortier sur des villes israéliennes frontalières du Liban ainsi que sur des positions où sont postés des soldats de Tsahal. Bien que cinq civils soient blessés par cette attaque, celle-ci n’était en réalité qu’une diversion. Au même moment, des militants du Hezbollah s’infiltrent sur le territoire israélien et prennent en embuscade deux véhicules militaires de Tsahal ; trois soldats sont tués et deux réservistes sont kidnappés et emmenés de force au Liban[3].
Lorsque l’armée israélienne comprend que deux soldats sont portés disparus, elle envoie un char pour poursuivre les kidnappeurs au sud du Liban afin de tenter de ramener ces otages. En traversant la frontière, ce blindé heurte un engin explosif, tuant les quatre soldats qui s’y trouvaient. Un mort supplémentaire ainsi que deux blessés sont également victimes de tirs nourris de la milice chiite.
Après une telle attaque meurtrière[4], s’ensuivirent des échanges de tirs qui ont rapidement dégénéré en une guerre ouverte. Celle-ci a consisté en une violente campagne aérienne israélienne visant à détruire l’infrastructure du Hezbollah au sud de Beyrouth, suivie d’une brève incursion terrestre de Tsahal au Sud Liban. En parallèle, un déluge de roquettes et de missiles en provenance du Liban s’est abattu sur le nord d’Israël causant là aussi beaucoup de dégâts. Côté libanais, on a dénombré plus d’un millier de victimes et côté israélien, plus de 150 personnes ont perdu la vie.
Dès le début de ce conflit armé, les chancelleries se sont ébranlées pour aboutir à un cessez-le-feu mi août 2006. Les termes de ce cessez-le-feu étaient énoncés comme suit :
- Le Hezbollah devait retirer ses troupes et ses infrastructures offensives au nord du fleuve Litani situé à une quarantaine de km au nord de la frontière internationale entre les deux pays. L’armée nationale libanaise devait ainsi reprendre le contrôle de ce territoire, accompagnant ce retrait.
- Une force d’interposition des Nations Unies, déjà présente sur place auparavant, verrait son mandat renouvelé et élargi pour veiller au respect de la clause précédente. C’est ce contingent qui porte le nom de FINUL.
La FINUL est donc une force internationale de casques bleus composée aujourd’hui de 10 000 (dix mille !) soldats de plusieurs pays, avec les contingents les plus importants fournis par l’Italie, l’Inde, l’Espagne, la France, l’Indonésie et le Népal. Au sortir de cette Seconde Guerre du Liban, son mandat est relativement clair :
- Contrôler la cessation des hostilités et surveiller l’espace aérien de la zone d’opération.
- Appuyer le déploiement des Forces armées libanaises (FAL) dans le sud du pays.
Le face à face
Tout d’abord, avant de se pencher sur le bilan de la FINUL, il n’est pas inutile de revenir sur ce qui oppose Tsahal et le Hezbollah. Lorsque l’on examine la situation, aucun litige d’aucune sorte n’oppose ces deux pays que sont le Liban et Israël. Le seul différent consiste en une micro dispute sur une étroite bande de territoire d’une grosse vingtaine de km² nommée les fermes de Chebaa. Cet espace stratégique situé à la rencontre des trois frontières, Israël, Syrie et Liban, faisait déjà l’objet d’une querelle lors l’indépendance de ces deux derniers pays (1943 pour le Liban – 1946 pour la Syrie). Israël, qui s’en est emparé lors de la prise du plateau du Golan en 1967, considère qu’il fait partie intégrante de ce plateau et que son sort doit donc lui être associé, alors que le Liban souhaite profiter de l’introduction d’Israël dans l’équation de cette vieille dispute de frontière pour la régler à son avantage[5].
Aussi importante que puisse représenter la souveraineté d’un pays sur une portion de territoire, il est difficile de considérer que ces quelques 25km² puissent justifier un axe de la Résistance qui a mobilisé tant de ressources côté libanais alors que par ailleurs ce pays est confronté à tant de difficultés.
Il y a également la « solidarité » avec la cause palestinienne, mais alors on ne comprend pas toujours très bien pourquoi le Hezbollah chiite a combattu les opposants au régime d’Assad auxquels s’étaient ralliés beaucoup de mouvements palestiniens sunnites dont le Hamas.
Sans parler du sort misérable des populations palestiniennes qui croupissent au Liban dans des conditions indignes depuis plusieurs décennies et qui semblent être le cadet des soucis du Hezbollah comme de l’État libanais.
Bref, les causes profondes du conflit Israël-Hezbollah restent toujours aussi insaisissables, et on ne peut que souscrire à la thèse d’un groupe totalement inféodé à l’Iran qui a fait de la disparition de l’État d’Israël la mère de toutes ses batailles ; étant entendu qu’il n’y a d’ailleurs pas plus de différend entre Israël et l’Iran qu’entre Israël et le Liban[6].
Il est parfois difficile de comprendre pourquoi les médias et les élites intellectuelles occidentales qui parlent tant de ce conflit évoquent si peu leurs causes premières, alors que celles-ci sont au cœur du problème.
Pour formuler les choses simplement :
- Comment établir un accord durable avec des pays ou des organisations dont le but avoué, revendiqué et clairement affiché est de détruire l’autre protagoniste ?
- Sur quoi pourrait porter la négociation en dehors d’une trêve temporaire au terme de laquelle le conflit pourra reprendre à l’initiative de l’Iran ou du Hezbollah dans un environnement qu’ils espèrent plus propice ?
- Est-ce que le rôle de l’Organisation des Nations Unies ne devrait pas être en premier lieu de prendre à bras le corps ces causes premières et tenter de s’en emparer afin de les traiter, plutôt que de se perdre dans de sinueux méandres qui encadrent des cessez-le-feux éphémères par construction, qui ne sont en réalité que des étapes successives d’un conflit structurel destiné à perdurer, justement en l’absence de traitement de ces causes premières ?
La mission
Il faudra un jour établir le bilan précis de la mission de la FINUL pendant les 17 années qui se sont écoulées de 2006 à 2023, et rapporter celui-ci d’une part à sa mission de base rappelée ci-dessus, et d’autre part aux moyens qui lui ont été octroyés pour la remplir. Néanmoins, au vu des découvertes qui sont faites suite à l’opération israélienne conduite ces jours-ci au Sud Liban (tunnels, caches d’armes, maisons abritant des lanceurs de roquettes, plans d’action offensifs étayés par une multitude de documents, etc…), on peut d’ores et déjà affirmer que les effets d’éventuelles actions de cette FINUL sont plus que maigres. Quant au retour de l’armée nationale libanaise sur cette portion sud du territoire libanais, on attend toujours le début du commencement d’une initiative qui irait dans ce sens.
Mais ce qui est bien plus troublant reste le comportement de cette force internationale pendant presque une année entière, soit du 8 octobre 2023 à fin septembre 2024. Là encore, des investigations s’imposent mais il est difficile de ne pas avoir la sourde impression que la FINUL s’est en quelque sorte comportée comme un arbitre de match de tennis, regardant à gauche puis à droite les bombes voler du Liban vers Israël puis d’Israël vers le Liban. Avec probablement des centaines ou des milliers de rapports qui ont été consciencieusement rédigés et envoyés vers l’Organisation des Nations Unies où ils se sont pieusement empilés dans des archives documentaires pléthoriques.
Ne nous méprenons pas : il ne s’agit pas ici d’accabler les pauvres soldats qui se sont trouvés sur place et qui n’ont pu agir qu’en fonction de leur mission, et uniquement dans le cadre des instructions données et des moyens dont ils ont pu disposer. Mais comment ne pas voir que l’interposition, qui est l’un des termes du libellé de cette force, a au final été pris au pied de la lettre : s’installer entre les deux forces militaires, et juste se contenter de se trouver sur place pour se cantonner à soigneusement consigner ce que les postes d’observations rapportaient.
L’enveloppe économique
Le salaire d’un simple soldat de la FINUL tourne autour de 1500$ mensuels. On imagine qu’un officier ou un sous-officier gagne plus, ce qui fait que l’on peut arrondir cette somme à une moyenne de 2000$ mensuels pour les individus composant cette troupe. Cette somme doit être doublée car il convient de rajouter ce que l’on appelle dans la société civile les charges patronales, soit l’assurance santé, les cotisations retraite et autres coûts divers[7], soit 4000$ mensuels. À cela, il faut ajouter les frais importants de la vie quotidienne (nourriture, blanchisserie, santé, énergie, voyages), ainsi que les équipements (uniformes, armes, véhicules, informatique, baraquements) qui pourraient à nouveau faire doubler la somme précédente. Enfin, si on ajoute le coût des personnels des Nations Unies qui ne sont pas sur le terrain mais qui contribuent d’une manière ou d’une autre à la présence de cette force, une évaluation très sommaire du coût global d’un soldat de la FINUL sur le terrain pourrait être arrondie pour la facilité du calcul à près de 10 000$ par mois.
Pour 10 000 soldats, on obtient donc un montant global très approximatif de 100 millions de dollars par mois, soit plus d’un milliard de dollars par an, une somme astronomique qui représente quelque 5% du PIB du Liban pour l’année 2022.
On notera que ces chiffres ne sont pas supposés refléter précisément une réalité financière, mais ne sont que des ordres de grandeur très grossiers destinés à rendre compte de sommes très conséquentes qui ne sont pas suffisamment appréciées à leur juste valeur ; en particulier dans les pays occidentaux qui paient de fortes contributions tant pour la FINUL que pour des organisations telles que l’UNWRA qui a démontré au fil de ses 75 années d’existence qu’elle finissait plus par être une partie du problème plutôt qu’une partie de sa solution.
Le bilan grotesque qui explose le bon sens
Depuis une grosse quinzaine d’années que la FINUL existe sous sa forme actuelle, le bilan d’une action qui a coûté entre 15 et 20 milliards de dollars reste tout de même très faible, pour le moins.
Les retranchements du Hezbollah, avec tunnels bien aménagés et caches d’armes, qui ont été découverts à quelques dizaines de mètres à peine des positions de la FINUL auraient dû être démantelés en accord avec la résolution 1701 de l’ONU. Celle-ci interdisait au Hezbollah de se réinstaller ; mais la force d’interposition n’ayant à l’évidence pas du tout rempli ce rôle de faire respecter les termes de cette résolution, des actions armées ont été engagées par Israël contre ces retranchements offensifs, et ce après 11 mois de bombardements quasiment ininterrompus du Hezbollah. Et du fait de leur proximité avec les positions de ce contingent, se sont produits des incidents qui ont touché les soldats de la FINUL.
C’est bien évidemment extrêmement déplorable mais comment ne pas voir qu’à côté de la consternation et l’indignation légitimes exprimées par toutes les chancelleries de la planète, le simple bon sens voudrait que c’est l’ensemble du dispositif qui aurait dû être mis en question, et ce depuis des années ?
Plus précisément, il y a certainement d’excellentes raisons à la mise en place de forces d’interposition entre deux adversaires, parmi lesquelles les bilans positifs de telles initiatives sur d’autres théâtres d’opération, où les casques bleus ont bien joué un rôle d’apaisement des tensions. Cependant, dans ce cas précis du Sud Liban, l’échec est patent et ce depuis très longtemps.
Ce qui est surprenant, c’est que lorsque l’armée israélienne a demandé à la FINUL d’évacuer certaines de ses positions pour se charger elle même du travail que cette force d’interposition aurait dû et n’a pas su, ou pas pu, ou pas voulu faire alors que cela était clairement dans ses attributions, le refus d’évacuation a été catégorique. Et ce en dépit de ce que le bon sens élémentaire aurait voulu : constatant son échec, elle aurait laissé à d’autres le soin de mettre en œuvre ce qu’elle même avait échoué à accomplir.
À l’instar de Coluche qui dans un sketch inoubliable faisait dire à son personnage : « Ce n’est pas parce que je n’ai rien à dire que je vais fermer ma gueule », la réponse de la FINUL aux requêtes d’Israël pourrait presque se formuler de manière analogue : « Ce n’est pas parce que je n’ai rien fait depuis des années que je vais m’en aller ».
[1] Le Monde, daté du 11 octobre 2024.
[2] Huffington Post, daté du 17 octobre 2024.
[3] Ces deux réservistes seront ultérieurement tués, et leur dépouilles restituées aux israéliens au terme de difficiles négociations…
[4] Dans le monde feutré qui caractérise les relations internationales, toute action de ce type est considérée comme un casus belli caractérisé, soit comme une cause de légitime défense donnant le droit à l’État agressé d’engager des actions militaires contre le pays d’où sont issus les commandos responsables de tels actes afin de les faire cesser.
[5] Notons tout de même que ce point a été soumis à l’Organisation des Nations Unies qui n’a pas tranché très clairement, selon les périodes, se ralliant parfois à la position d’Israël et parfois à celle du Liban. Par ailleurs, il convient d’observer que de 1949 à 1967, cet espace faisait partie intégrante du territoire syrien.
[6] Il y en aurait peut-être même moins justement du fait de l’absence de dispute sur ce fameux terrain des fermes de Chebaa.
[7] Par exemple l’entraînement et la formation ou le coût du multilinguisme.