La fabrique du crime en Israël

A l’heure où ces lignes sont écrites, 166 Arabes ont été assassinés en Israël depuis le début de l’année, alors qu’il y en avait eu 116 pour toute l’année précédente. C’est 12 fois plus que chez les Juifs.

Pour une partie de l’opinion publique, ces chiffres traduisent une tradition, une caractéristique culturelle de la communauté arabe. Rien n’est plus faux. La culture ne peut expliquer la progression exponentielle du nombre des victimes, et la nature des mobiles n’a que peu à voir avec la tradition : il y a encore quelques « crimes d’honneur », quelques vengeances familiales, mais cela reste marginal.

Les assassinats, pour l’essentiel, sont commis par le crime organisé : luttes entre bandes pour le contrôle d’un territoire, rackets… Les règlements de comptes sont dignes de la mafia sicilienne : les « familles » organisées autour d’un parrain exterminent leurs rivales. Des traquenards pour abattre une cible aboutissent souvent à tuer des proches, et même des enfants ont été victimes de balles perdues.

Les enquêtes mettent en exergue l’âge de plus en plus jeune des criminels : des garçons de 16 ans armés de M16 ou de Kalachnikov ! Cette évolution ne doit pas surprendre. Les jeunes garçons arabes sont entrés depuis une bonne dizaine d’années dans une logique de régression. Depuis 2017, leur taux d’emploi est passé de 61 % à 47 %, et on estime le pourcentage des désœuvrés (qui n’étudient pas ou ne travaillent pas) entre 25 % et 32 %. Le jeune garçon arabe a de moins en moins le niveau pour étudier ou pour obtenir un emploi qualifié. Seuls 45 % obtiennent le bac (contre 80 % des jeunes Juifs non ultra-orthodoxes).

Depuis 2000, le taux de garçons arabes diplômés de l’université n’a pas augmenté et stagne à 12 % (alors qu’il est passé de 26 % à 43 % chez les jeunes Juifs non ultra-orthodoxes). Les filles arabes réussissent beaucoup mieux : 70 % ont le bac, et le nombre de diplômées pendant la même période est passé de 10 à 32 % (62 % chez les filles juives).

Comme partout, les filles réussissent mieux dans les études. Mais ici, elles ont une motivation supplémentaire : les études sont synonymes d’émancipation. Comme l’observe un bon spécialiste des ces questions : un jeune de Kfar Saba a un avenir très ouvert avec les mouvements de jeunesse, les activités périscolaires, l’armée et la high tech. Un jeune de Djaldjilia n’a pas tout ça.

Aujourd’hui, les jeunes garçons arabes ont souvent le choix entre devenir chauffeur de camion au salaire minimum ou délinquant. La répression ne suffira pas pour endiguer le crime dans les localités arabes. Cela passe aussi par l’école et des programmes de rattrapage. Mais rien n’est fait en la matière. A l’heure où ces lignes seront lues, le chiffre de 166 tués sera sans doute dépassé.

à propos de l'auteur
Philippe Velilla est né en 1955 à Paris. Docteur en droit, fonctionnaire à la Ville de Paris, puis au ministère français de l’Economie de 1975 à 2015, il a été détaché de 1990 à 1994 auprès de l’Union européenne à Bruxelles. Il a aussi enseigné l’économie d’Israël à l’Université Hébraïque de Jérusalem de 1997 à 2001, et le droit européen à La Sorbonne de 2005 à 2015. Il est de retour en Israël depuis cette date. Habitant à Yafo, il consacre son temps à l’enseignement et à l’écriture. Il est l’auteur de "Les Juifs et la droite" (Pascal, 2010), "La République et les tribus" (Buchet-Chastel, 2014), "Génération SOS Racisme" (avec Taly Jaoui, Le Bord de l’Eau, 2015), "Israël et ses conflits" (Le Bord de l’Eau, 2017), "La gauche a changé" (L'Harmattan, 2023). Il est régulièrement invité sur I24News, et collabore à plusieurs revues.
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