L’ antisémitisme français (2ème partie) : De la profanation d’hostie à l’affaire Dreyfus
Quand en 1215 l’église catholique a introduit la doctrine de la transsubstantiation, on a cru que le calice de vin contenait le sang même du Messie et que l’hostie devenait son corps. Bien que ne trouvant aucun fondement dans la Bible, cette doctrine est toujours présente aujourd’hui au sein de la théologie catholique.
En quelques décennies, dès 1243, en Allemagne, en Pologne puis en France, les Juifs sont accusés de «profanation d’hostie». La plupart des chrétiens de l’époque les tiennent pour responsables de la crucifixion du Christ. La situation explose à cause d’une rumeur selon laquelle le pain de la communion chrétienne (hostie) est délibérément percé par des personnes juives « pour refaire la Crucifixion ».
Puis, vers 1320, la légende de l’empoisonnement des puits d’Europe par les juifs prend vie. Elle est acceptée comme fait alors qu’elle n’a aucune preuve de véracité. Malheureusement pour les Juifs d’Europe, l’arrivée de la “peste noire » vient conforter leurs détracteurs, qui utilisent cette épidémie pour justifier encore davantage leurs méfaits.
Cela reste la pandémie la plus dévastatrice de l’histoire de l’humanité, responsable de la mort d’environ 75 millions de personnes dans le monde (25 millions juste en Europe) en seulement quelques années. Des Juifs sont également morts au cours de la « peste noire », mais généralement en moins grand nombre.
La cacherout (que les Juifs religieux sont tenus de suivre) les pousse à maintenir un régime alimentaire strict et une hygiène rigoureuse, ce qui résulte en beaucoup moins de morts dans les communautés juives. Cela n’a pas empêché la destruction de plus de 200 communautés juives par les masses populaires qui ont accusé les juifs d’avoir empoisonné les puits d’Europe.
L’antisémitisme vire alors vers l’Espagne.
Pendant l’Inquisition, la torture, les conversions forcées et les décès sont nombreux. Pour la première fois dans l’histoire juive, le monde ne considère plus le judaïsme comme étant seulement un problème théologique, mais aussi comme un problème ethnique. Même si l’Inquisition touche surtout les Juifs d’Espagne, l’atmosphère de terreur et de mort monte vers la France et continue d’y affecter les communautés juives.
En outre, le concept italien du Ghetto voit le jour en 1516 à Venise. Et la Réforme de Martin Luther, même si techniquement n’étant pas d’origine française, est également lourde de conséquences pour le peuple juif à travers la France.
Il faut attendre des années pour que les Juifs soient à nouveau victimes d’actes antisémites forts. Malgré cela, leur histoire continue d’être ponctuée par la haine et la persécution.
A la fin du 18ème siècle, les Juifs se retrouvent à l’aube d’une nouvelle ère. Le système féodal s’est écroulé pour faire place à une révolution capitaliste et industrielle en plein développement. Le monde de la finance devient de plus en plus actif, en particulier pour les dirigeants des pays en développement. En conséquence, les Juifs sont un peu moins stigmatisés par leur implication dans le monde de la finance, et ils deviennent même plus apprécié par certains.
Avec l’avènement de « l’ère de l’émancipation » (un sous-produit de la Révolution française de 1789), la notion de citoyenneté devient une réalité partout en Europe. Les habitants d’un pays commencent à recevoir la citoyenneté du pays en question. Et c’est Napoléon Bonaparte qui va en améliorer le concept.
L’âge de l’émancipation juive, connu sous le nom de “La Haskala,” ou « Siècle des Lumières » atteint alors tous les segments du judaïsme, que cela soit au niveau culture, théologique ou géographique.
Il est aussi connu sous le nom de « l’âge de l’assimilation » : beaucoup de Juifs bénéficiant de leur émancipation commencent à examiner les tenants et aboutissants du christianisme. La scission entre les communautés religieuses plus traditionnelles et les communautés libérales plus émancipés se creuse.
La Révolution française de 1789 contribue à la naissance de la notion de liberté de religion, tant que celle-ci n’interfère pas avec l’ordre public. Ceci arrive au moment où la plupart des pays européens mettent en place des restrictions sur les droits des groupes religieux minoritaires, comme le peuple juif. L’assimilation des Juifs continue à s’intensifier.
Napoléon Bonaparte (1769-1821) devient l’Empereur de France en 1804. La même année, il présente « Le Code Napoléon», le premier code juridique moderne à être adopté dans toute l’Europe. C’est une étape importante dans le remplacement des lois et des codes désuets du système féodal datant du Moyen-Age.
Dès le début, Napoléon a un objectif en tête : faire des Juifs de France des citoyens français. Il ne cherche pas à les empêcher de pratiquer le judaïsme dans l’intimité de leurs foyers, mais il s’attend à ce qu’ils prêtent allégeance à l’Empire, comme tous les autres citoyens français.
Mais en 1808, sous la pression de nombreux dirigeants et hommes d’État comme Chateaubriand, le cardinal Fesh, le Maréchal Kellermann et surtout le Tzar Alexandre, Napoléon se sent obligé de mettre en place un « décret restrictif. »
La communauté juive est alors en état de choc et perd beaucoup de sa richesse et son influence, et se retrouve presque au bord d’une faillite totale.
Finalement, après beaucoup de dégâts subis par les Juifs, le décret est éliminé et le statut de « Liberté, Egalité, Fraternité » est rétabli pour les Juifs, du moins jusqu’à la fatidique défaite de Waterloo, en Belgique (1815). Puis, à la discrétion de chaque leader européen, le destin des Juifs retombe sous le contrôle de chaque pays, ce qui est souvent synonyme de difficultés, restrictions, stigmatisations et ghettoïsations.
Alors que la fin du 19ème siècle approche, les Juifs expérimentent une nouvelle poussée majeure d’antisémitisme : l’antisémitisme racial. De l’ancien antisémitisme théologique à l’antisémitisme moderne ethnique et culturel, la haine des Juifs s’aggrave.
En 1894, en France, à une époque où les Juifs pensent que leur émancipation est acquise, le capitaine Alfred Dreyfus (un Juif alsacien) est accusé de trahison contre le gouvernement français.
La Révolution française de 1789 et Napoléon ont pourtant suscité un espoir d’égalité et d’intégration au sein de la société française pour les juifs français. Mais l’antisémitisme, comme un volcan de haine temporairement inactif, se met à vomir sa lave à nouveau. Alors que se tient le procès Dreyfus, des foules de Français en colère crient « Mort aux Juifs » dans les rues de Paris.
Le journal Neue Freie Presse de Vienne décide alors d’envoyer un correspondant à Paris. Le journaliste hongrois Theodore Herzl (1860-1904), suit donc l’affaire Dreyfus et, par association, les Juifs de France. Tout cela encourage Herzl à compiler son œuvre de plusieurs années dans le livre historique Der Judenstaat ou « l’Etat juif », publié à Vienne en 1896, et qui conduit à la naissance officielle du sionisme.
Mais les Juifs français n’ont pas encore vu le pire. Même si beaucoup d’eux combattent pour la France lors de la grande guerre de 1914-1918, ce qui les attend au tournant est insoupçonnable, sans précédent… Pour les Juifs de France, il s’avère alors que l’émancipation a totalement échoué.
(à suivre)