Kulturkampf

Il fallait le faire ! Injures, bousculades, et même jets de chaises et de livres de prières à Kippour, le jour du Grand Pardon, sur la place Dizengoff à Tel-Aviv.

Les militants de l’organisation Rosh Yehoudi (la tête juive) qui voulaient imposer des prières séparées entre hommes et femmes, après avoir eu les images qu’ils voulaient, sont allés dans leur synagogue, Bar Kochba, 100 mètres plus loin.

La vérité était ailleurs : le maire de Tel-Aviv, Ron Huldaï, avait décrété que sur cette place, il ne pouvait y avoir de séparation, et la Cour suprême l’a approuvé en décidant qu’il devait en être ainsi dans l’espace public. Les pratiquants extrémistes ont trouvé là un bon prétexte pour affirmer leur volonté d’imposition de la religion (adata) du moins selon leurs préceptes.

L’offensive vient de loin. Depuis une dizaine d’années, des « noyaux de la Thora » (Garinim ha Thora) s’implantent dans les villes les plus laïques (à Ramat haSharon, par exemple), avec l’intention déclarée d’y développer la pratique religieuse. Dans les villes mixtes (Yafo, Lod, Ramlé…), ils entendent « judaïser » une population comptant trop d’Arabes à leur goût. Bien évidemment, tous ces mouvements reçoivent de généreux subsides du budget de l’Etat, et sont soutenus par les ministres les plus extrémistes du gouvernement, Bezalel Smotricht et Itamar Ben Gvir. Ce dernier a d’ailleurs décidé de venir prier un soir sur la place de la discorde.

L’intérêt politique de l’évènement n’a pas échappé à Binyamin Netanyahou : « … Le jour le plus saint pour le peuple juif, les manifestants de gauche se sont révoltés contre les Juifs pendant leur prière. Il semble qu’il n’y ait aucune frontière, aucune norme et aucune réserve à la haine des extrémistes de gauche…». Comme l’observe un fin commentateur de l’actualité, Amir Ben David, dans ces colonnes : « Les affrontements provoqués à Yom Kippour visent un seul objectif : ramener chez eux les traditionnalistes et les religieux libéraux, qui se tiennent à distance de l’extrémisme de Smotrich et Ben Gvir… ».

Yaïr Lapid et Benny Gantz, pour ne pas tomber dans ce piège, ont eu l’habileté de diriger leurs critiques contre Binyamin Netanyahou qu’ils jugent mal placé pour donner des leçons sur les atteintes à l’unité du peuple. Les habitants de Tel-Aviv soutiendront Ron Huldaï, et devraient d’ailleurs le réélire le 31 octobre prochain.

Mais en dehors du public laïc militant, les provocations des religieux d’extrême droite pourraient atteindre leur but en neutralisant quelques centaines de milliers de voix d’Israéliens attachés à la tradition mais mécontents du gouvernement qui jusqu’à présent placent l’opposition en tête dans les sondages. Le kulturkampf, la guerre culturelle, a toujours existé en Israël. Le jour de Kippour 5783, elle est descendue dans la rue. Et cela ne fait que commencer.

à propos de l'auteur
Philippe Velilla est né en 1955 à Paris. Docteur en droit, fonctionnaire à la Ville de Paris, puis au ministère français de l’Economie de 1975 à 2015, il a été détaché de 1990 à 1994 auprès de l’Union européenne à Bruxelles. Il a aussi enseigné l’économie d’Israël à l’Université Hébraïque de Jérusalem de 1997 à 2001, et le droit européen à La Sorbonne de 2005 à 2015. Il est de retour en Israël depuis cette date. Habitant à Yafo, il consacre son temps à l’enseignement et à l’écriture. Il est l’auteur de "Les Juifs et la droite" (Pascal, 2010), "La République et les tribus" (Buchet-Chastel, 2014), "Génération SOS Racisme" (avec Taly Jaoui, Le Bord de l’Eau, 2015), "Israël et ses conflits" (Le Bord de l’Eau, 2017), "La gauche a changé" (L'Harmattan, 2023). Il est régulièrement invité sur I24News, et collabore à plusieurs revues.
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