Ki Tetse : les peuples maudits le sont-ils à jamais?

Aujourd’hui est l’anniversaire de décès de ma grand-mère, Helyett Esther Bat Myriam. A cette occasion, j’ai souhaité lui rendre hommage en partageant quelques enseignements de la parasha de la semaine, Ki Tetse.

Cette parasha parle entre autres des relations interdites, notamment les relations incestueuses ou adultères. Là, on nous parle de personnes particulières, des personnes exclues du peuple des Hébreux : le Mamzer, l’Ammonite, et le Moabite. Qui sont-ils, et pourquoi parlent-on d’eux ici ?

« Le mamzer ne sera pas admis dans l’assemblée de Dieu; sa dixième génération même ne pourra pas y être admise, » (Deutéronome 23, 3). On traduit mamzer par « bâtard », ou « enfant illégitime ». Le mamzer est un enfant né d’une relation interdite, par exemple une relation adultère ou incestueuse.

La parasha nous dit à son sujet que même sa dixième génération ne pourra pas rejoindre le peuple des Hébreux, ce qui veut dire par mariage. Ici on voit qu’avoir une relation interdite est une faute tellement grave, que ce sont les générations suivantes qui paient pour les pêcheurs. La punition se veut dissuasive : si vous n’avez aucune crainte pour votre propre sort, ayez crainte pour vos enfants.

Puis, on parle de l’Ammonite et du Moabite. « Un Ammonite ni un Moabite ne seront admis dans l’assemblée de Dieu ; même après la dixième génération ils seront exclus de l’assemblée du Seigneur, à perpétuité. » (Deut 23, 4).

Amon et Moab sont nés de la relation de Loth, neveu d’Abraham, avec ses propres filles, une relation incestueuse donc. On rappelle l’histoire (Genèse 19 ; 37-38) : lorsque Dieu veut brûler les villes de Sodome et Gomorrhe, Loth est épargné grâce à sa vertu et à l’intervention d’Abraham en sa faveur. Il fuit avec ses filles. Celles-ci s’inquiètent qu’ils soient désormais seuls au monde, et décident d’avoir une descendance avec leur père. Naissent alors Amon et Moab, dont notre parasha nous dit que leur descendance jusqu’à la dixième génération n’entrera pas dans l’assemblée de Dieu. Pourtant bien plus de dix générations ont passé depuis la naissance illégitime de leur ancêtre, des siècles même, où les Hébreux ont été esclaves en Egypte. Alors quoi, les Ammonites et Moabites ne sont toujours pas acceptés auprès du peuple d’Israël ?

Mais ce n’est pas à cause de cette relation interdite que la Torah les bannit. C’est écrit : « Ceci, parce qu’ils ne sont pas venus au-devant de vous avec de l’eau et du pain, sur le chemin, lorsque vous êtes sortis d’Egypte ; et parce qu’il a payé pour te maudire, Balaam. » (Deut 23, 5). On parle donc de fautes beaucoup plus récentes, de fautes datant de la sortie d’Egypte, c’est-à-dire d’il y a moins de 40 ans, puisqu’au moment de notre parasha, le peuple est toujours dans le désert. Et ces fautes sont beaucoup plus graves, puisqu’en refusant l’hospitalité au peuple sortant d’Egypte affaibli, ils l’ont mis en danger de mort. C’est en plus faire preuve d’ingratitude à l’égard des enfants d’Abraham, celui qui avait offert l’hospitalité à leur ancêtre Loth, et lui avait même sauvé la vie.

Que faut-il comprendre ? Que des individus issus d’un peuple maudit sont destinés à commettre des fautes ? Il n’y a alors aucune possibilité de Teshouva, de repentance ? Les individus sont voués à errer de générations en générations, avec le poids des fautes de leurs ancêtres, et un déterminisme qui les pousserait à commettre d’autres actes immoraux, et à rester ainsi en dehors de la communauté, sans aucun libre arbitre. Il nous paraît aujourd’hui difficile d’envisager le statut d’un être humain d’après sa filiation, ça nous paraît tout simplement injuste.

Le Talmud (Yebamot 78b) rapporte qu’on a demandé à Rabbi Eliézer ce qu’il advient d’une fille mamzera après la dixième génération. Il a répondu : « Que quelqu’un me montre la troisième génération, et je la déclarerai pure ! ». Pourquoi dit-il ça ? Comment peut-il dire quelque chose à l’encontre du texte de la Torah ? Il se base sur les discussions talmudiques (Ketoubot 20b) selon lesquelles un témoignage ordinaire s’efface au bout de soixante ans, ce qui correspond à la troisième génération. A partir de la troisième génération, il n’y aurait donc plus de témoignage fiable pour identifier les descendants de mamzer.

Aujourd’hui, on considère que toutes les nations ont été mélangées, c’est pourquoi, Amonnites ou Moabites ont le droit de se convertir et d’entrer dans la communauté de Dieu. (Choul’han Aroukh Eben ha-Ezer, 4, 10). Cela confirme bien qu’au fil des générations, le témoignage s’efface.

On trouve un autre verset dans la Torah, des plus importants, qui  nous rappelle cette question de faute portée par les générations suivantes. Il s’agit du deuxième des dix commandements : « Tu n’auras point d’autre dieu que moi. (…) Je suis un Dieu jaloux, qui poursuis le crime des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et à la quatrième générations, pour ceux qui m’offensent. » (Chemot 20 ; 2). On retrouve l’idée de malédiction des enfants suite à des actes immoraux des ancêtres, mais on retrouve aussi l’idée de la troisième ou quatrième génération. Pas la dixième génération. Qui plus est, cette malédiction concerne « ceux qui me haïssent », c’est-à-dire finalement, ceux qui continuent à fauter, à agir contre les commandements de Dieu et contre toute morale. A l’inverse, la suite du verset dit : « J’étends ma bienveillance à la millième [génération], pour ceux qui m’aiment et gardent mes commandements. ».

C’est là que la Teshouva entre en jeu. Car le judaïsme nous encourage à croire que chacun a la capacité de travailler sur lui-même, afin que notre colère, notre égoïsme, notre brutalité, ne l’emportent pas sur des capacités plus nobles et justes.

C’est un travail sur soi qu’on est particulièrement invité à faire en ce mois d’Ellul, à la veille de Rosh HaShana et Yom Kippour. Un travail sur soi qui peut transformer une malédiction pesant sur un peuple en une bénédiction.

Les Sages nous mettent cependant en garde. Ce que nous dit la Torah ici, c’est que le pêché des pères reste gravé dans le temps, comme les 10 commandements le sont sur les Tables de la Loi. Le deuxième commandement, comme l’essentiel des commandements de la Torah, a pour intention d’élever le peuple d’Israël, et donc l’ensemble de la société, à un très haut niveau de discipline morale. En plaçant les parents comme responsables de leurs fautes vis-à-vis de leurs enfants, la Torah les oblige à se projeter pour l’Humanité toute entière.

Et inversement, en cas de bonnes actions, de respect des valeurs morales de la Torah, la récompense est décuplée. Si les crimes des pères sont portés par les enfants, les bienfaits des pères sont également portés par les enfants, jusqu’à la millième génération.

D’où l’importance de l’éducation, et des valeurs que l’on se transmet de génération en génération. Tout comme ma grand-mère Helyett l’a fait pour notre famille, chacun de nous fait ce qui est en son pouvoir pour transmettre aux générations suivantes le respect de valeurs morales et la volonté de préserver l’Humanité toute entière.

à propos de l'auteur
Membre active du Conseil d'Administration de la synagogue de Saint-Leu la Forêt (95), bénévole au Réseau Ezra, investie avec LectureSefer pour la lecture de la Torah par les femmes dans le monde orthodoxe, Sandra Jerusalmi est également une Almuna des organisations juives internationales Ten Project (India), Moishe House, Paideia, Matan, Pardes, Yesod et ROI Community. Aujourd’hui, elle est coordinatrice de l’enseignement supérieur à l’AIU et résidente à la Moishe House Paris.
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