Kais Saied : de l’antisionisme à l’antisémitisme 

Le président de Tunisie Kais Saied lors de sa prestation de serment au parlement de Tunis, le 23 octobre 2019 (Crédit : Fethi Belaid/AFP)
Le président de Tunisie Kais Saied lors de sa prestation de serment au parlement de Tunis, le 23 octobre 2019 (Crédit : Fethi Belaid/AFP)

Hasard du calendrier, le président tunisien Kais Saied a été réélu le jour de la commémoration du 7 octobre avec un score de 89 % des voix, à faire pâlir les plus grandes dictatures.

Depuis sa première élection en 2019, le président tunisien a exprimé son soutien total au peuple palestinien « dans sa lutte pour la libération et le recouvrement de tous ses droits légitimes ».

Kais Saied, contrairement à ses prédécesseurs et notamment le président Bourguiba, considère que les Palestiniens doivent avoir un État du Jourdain à la mer et que l’État d’Israël n’a aucune légitimité.

Il avait même proposé de rajouter à la constitution tunisienne un article qui criminaliserait toute normalisation avec Israël. Il avait même affirmé que le terme « normalisation » est erroné et que toute relation avec « l’entité sioniste » constituerait un acte de haute trahison. Selon Saied, « la Tunisie est en état de guerre contre une entité colonisatrice et celui qui traite avec une entité colonisatrice est un traître ».

Finalement, la criminalisation de la normalisation avec Israël n’a jamais été inscrite dans la constitution tunisienne, au motif que le projet de loi incriminant la normalisation avec l’entité sioniste « porterait atteinte à la sécurité de la Tunisie », sans autre explication.

Toutefois, la constitution reconnaît explicitement « le droit du peuple palestinien à sa terre volée ».

En novembre 2023, la Tunisie ne s’est pas associée à la demande formée par l’Afrique du Sud de saisir le procureur de la Cour Pénale Internationale (CPI) au motif qu’elle ne reconnaissait pas l’État d’Israël.

Autre ambiguïté significative : selon le journal tunisien en ligne Kapitalis, qui a repris les chiffres des Nations Unies sur le commerce international, les échanges commerciaux entre la Tunisie et Israël ont explosé sous la présidence de Kais Saied.

Autant l’antisionisme de Kais Saied est assumé autant son antisémitisme est nié. Le président tunisien rappelle à l’envi que son grand-père avait sauvé des Juifs pendant la shoah, tout en faisant l’amalgame entre judaïsme et sionisme.

À la suite de l’attentat lors du pèlerinage juif de la Ghriba à Djerba en 2023 qui a fait plusieurs morts dont deux Juifs de nationalité tunisienne, Kais Saied a soutenu qu’il s’agissait d’un acte criminel sans connotation antisémite. Il a déclaré à cette occasion que les habitants ont protégé les Juifs des nazis alors que personne ne dit rien quand les Palestiniens sont tués tous les jours.

Lors de l’ouragan quia ravagé une partie de la Lybie, le président tunisien a vu dans le nom attribué à la tempête “Daniel”, l’influence du mouvement sioniste, Daniel étant un prophète juif.

Au cours de l’année 2023 des lieux de culte juifs ont été attaqués par des manifestants pro-palestiniens sans que le président tunisien ne réagisse.

En 2024, le pèlerinage de la Ghriba a été purement et simplement annulé « pour des raisons de sécurité ».

Dans le cadre de sa nouvelle mandature, il est peu probable que le président tunisien, qui a fait de l’ambiguïté une force pour asseoir son pouvoir dans tous les domaines, modifie son regard sur les Juifs et son positionnement vis-à-vis d’Israël.

à propos de l'auteur
Avocat de formation, Armand Boukris est un ancien professeur à l'Université de Paris IV SORBONNE. Il est l'auteur d'articles juridiques.
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