« Jusqu’à l’évacuation du camp, je réussis à berner le médecin »
Il fallait risquer le tout pour le tout pour ne plus revenir à ce travail ! C’est plus facile à dire qu’à faire.
Le lendemain matin, au moment du départ de la colonne au travail, je me suis laisser choir dans la cour, en plein milieu d’une énorme flaque d’eau et de glace brisée. Je connaissais, pour l’avoir vu, comment se déroulait la suite. Mes camarades voulurent m’aider à me relever, mais j’étais aussi inerte qu’une pierre et je ne faisais aucun effort pour me remettre sur pieds…
Je ne devais pas beaucoup me forcer pour cette tentative. J’étais vidé, plus aucune réaction. Ni les coups de pieds administrés par nos chefs de groupes, ni les menaces proférées à mon égard par un officier allemand ne parvinrent à me faire redresser. Je gardai pendant ces terribles minutes en mémoire la vision du prisonnier qui roule en bas de la montagne et cette image, seule, me permettait de supporter les coups et toutes les punitions qu’on me promettait.
Les coups de pieds reçus me faisaient très mal et en plus l’eau glacée dans laquelle je me trouvais me transperçait de froid, mais au fil des minutes qui passaient ma résolution de ne plus apparaître dans ces galeries se renforça, et je restais dans cette boue glaciale en gémissant jusqu’à ce que tous les travailleurs en place dans la cour s’en aillent travailler.
Puis on vint s’occuper de moi. Je n’étais pas beau à voir, un squelette ambulant. Deux prisonniers me relevèrent et le chef du camp, qui venait de recevoir les feuilles de présences, et du nombre d’hommes sortis au boulot, m’avertit en passant que si je n’étais pas reconnu malade par le « docteur » on m’enverra à la S.K. (straëfkommando), la section des punis pour sabotage. A la S.K., on travaillait 24h sur 24, jusqu’à épuisement total !
Ensuite on me traîna jusqu’au Revierstube (« infirmerie »), où le docteur m’admit sans m’ausculter, uniquement en regardant ma poitrine…Il me donna un numéro et je fus inscrit dans le registre des entrées, pour le « département » repos. Je venais d’être admis au « Schonung ». Plus de travail au dehors, plus de corvées, finies ces affreuses galeries, finie cette hantise d’être basculé en bas de la montagne et finie cette foreuse tellement lourde. Mais pour combien de temps ???
Même la soupe nous était apportée au lit.
Tous les deux jours il fallait repasser la visite devant le docteur et, dès qu’il voyait qu’on marchait sans tomber, il notait notre numéro d’immatricule, et le lendemain on était renvoyé à son bloc respectif, pour reprendre le cycle infernal du travail.
Si je pouvais éviter de passer devant le médecin pour qu’il ne puisse pas noter mon numéro, j’étais sauvé !
Pendant ces quelques jours, couché au lit, je me creusais la tête pour trouver une solution à mon problème. Surtout, j’observais comment se passait ce contrôle devant le docteur et comment on pourrait le contourner. Je trouvai une idée qui pourrait, éventuellement, me sauver de retourner aux galeries. Cela a marché pendant trois ou quatre semaines, jusqu’à la nouvelle évacuation du camp !
Mon système était le suivant : dans la salle où nous dormions il y avait trois rangées de lits occupés, parfois, jusqu’à trois ou quatre hommes par lit. Tous les matins, très tôt, le médecin faisait défiler devant lui tous les malades, un par un, et notait le numéro de ceux qui semblaient être en état de retourner au travail.
J’avais bien observé le manège. D’abord, il commençait par la première rangée, puis le seconde et terminait par la troisième. Quand c’était ma rangée, qui passait je trouvai le moyen, avant que n’arrive mon tour, de « passer » dans une autre rangée, dans le lit d’un camarade que je connaissais bien et j’attendais là que ma rangée soit contrôlée.
Pour se mouvoir, il n’y avait qu’une seule possibilité : demander en urgence la sortie pour aller à la toilette sous le couvert d’une diarrhée !!! Il fallait absolument qu’on me laisse passer pour éviter « les accidents ». Ce genre d’accident arrivait fréquemment et créait pas mal d’ennuis à tout le monde, c’est pourquoi il fallait nous laisser passer en vitesse…
Il faut dire, que les « contrôleurs » qui nous surveillaient dans les couloirs n’étaient pas très sévères, et ça leur était bien égal, que l’un de nous triche…
Et c’est ainsi que j’ai manœuvré pendant de longues semaines pour éviter de montrer mon numéro au docteur. Parfois, j’étais obligé de ramper en dessous des lits pour arriver dans une autre rangée. Ce n’était ni mon ventre, ni ma corpulence qui m’empêchaient de le faire…
Heureusement, on dormait à plusieurs dans un lit, et cela rendait le contrôle plus difficile.
Jusqu’à l’évacuation du camp, je réussis à berner le médecin et je ne revis plus jamais les galeries des V1.
J’avais pris un risque énorme en pratiquant cette « méthode ». Si j’étais pris, j’échouais à la S.K.. Mais le jeu valait la chandelle ! Tout, plutôt que cette montagne de malheur !
À suivre…