Juifs de France : le jour d’après

Voilà, c’est fait. Le pire était attendu, et le pire est arrivé.
Les résultats des élections législatives en France promettent désordre et chaos[1].
Si aucune majorité claire n’apparaît, une seule évidence saute aux yeux : alors même que le sujet de l’explosion de l’antisémitisme est resté très en retrait des programmes des partis politiques, sauf au Rassemblement National, les motifs d’inquiétude se confirment pour les Juifs de France.
De nombreuses questions se posent aujourd’hui. Faut-il avoir peur d’un bloc de gauche définitivement corrompu avec l’extrémisme islamiste et antisioniste du parti de Mélenchon? Lequel éructait à la télévision l’autre soir, avec hargne et arrogance, quelques minutes à peine après les premiers résultats du second tour.
A quoi faut-il s’attendre désormais, et à qui peut-on faire confiance pour protéger les Juifs de l’explosion migratoire majoritairement musulmane qui nourrit un pro-palestinisme particulièrement agressif et militant ?
Qui pourra enrayer la montée exponentielle de cette haine d’extrême gauche qui représente une vraie menace, autant pour les Juifs eux-mêmes, que pour les partisans d’un véritable front républicain ouvert et tolérant ?
Comment voir sereinement l’avenir quand s’éloigne la perspective d’une accalmie sociale et politique dans un contexte d’impossible retour à la stabilité et à l’ordre ?
Je me souviens du traumatisme du 7 octobre que j’ai vécu dans une petite ville balnéaire du bassin d’Arcachon où j’ai posé mes valises il y a trois ans. Par solidarité avec mes frères juifs massacrés, à cause du choc et de la colère qui étaient les miens, j’ai retiré, de la grande vitrine de ma librairie de centre-ville, les livres qui y étaient exposés sur trois étagères en verre et en métal noir. Dans cette large vitrine de six mètres linéaires, silencieuse et vide, dépouillée de tout élément de décoration ou d’agrément, j’y ai seulement déposé, en plein milieu, sur l’étagère la plus haute et donc la plus visible, ma kippa et ma menorah assorties d’un beau livre sur l’art juif et, pour rappel, quelques ouvrages sur la Shoah, histoire d’interpeller le passant sur ce parallèle inévitable qui avait de quoi faire frémir.
De nombreuses personnes sont entrées dans la boutique pour me féliciter pour mon courage, et me recommander la prudence. Ce qui m’a surpris c’est à la fois l’empathie sincère et réconfortante que l’on voulait, à travers moi, adresser à toute la communauté juive ; mais c’est aussi la prise de conscience de la part de tout citoyen, juif ou non, qu’il existe un risque et même un réel danger à manifester publiquement sa solidarité et son attachement à sa judéité et à Israël.
Voilà la réalité de la France aujourd’hui.
Mieux peut-être que les Juifs eux-mêmes, mes concitoyens ont parfaitement intégré cette notion de nouveau péril qui menace de s’exprimer à tout moment. J’ai senti leur compassion comme leur incompréhension. J’ai compris surtout par delà les allusions et les mots inavoués, les sentiments de frustration et de tristesse devant l’état moral et psychologique du pays. « Je n’aurais jamais cru voir ça un jour » m’a confié une cliente d’un certain âge. « Avant, en 1940 pendant l’occupation, l’ennemi était l’étranger ; aujourd’hui, l’étranger c’est vous et moi ».
Comment ne pas fustiger les propos incendiaires des politiques qui excusent et relativisent les actes antisémites pour complaire à leur électorat, et surtout comment supporter les slogans répétés par une foule excitée entre les deux tour du scrutin, sur la place de la République de Paris : « Israël casse-toi, la Palestine n’est pas à toi ! ». Propos d’autant plus injustifiés qu’ils n’avaient rien à voir avec les enjeux nationaux en cours.
Allons-nous bientôt entendre scander avec la même hargne inconsciente mais mortifère : « Juifs, cassez-vous, la France n’est plus à vous ! » ?
Et que devrons-nous penser et faire quand ce moment sera arrivé ? Car il arrivera, je n’en doute plus. Faudra-t-il rester en acceptant de vivre dans l’angoisse d’une agression , en se faisant le plus discret possible pour rester sain et sauf ? Ou bien faudra-t-il envisager de recommencer une nouvelle vie ailleurs ?
J’ai écrit en janvier 2015, au lendemain des attentats de Charlie Hebdo un article intitulé « La France est ma maison, je ne partirai pas ».
Pourrais-je écrire la même chose à l’heure actuelle ? L’optimisme me manque, je l’avoue.
Des pans entiers de nos certitudes se sont écroulés ces dernières années.
Le Figaro titrait le 29 avril 2024 : « L’inquiétante prolifération des attaques à l’arme blanche »[2].
Il y aurait un millier d’agressions dont plus d’une centaine au couteau, au sabre ou à la machette, chaque jour, en France. Les faits de société médiatisés sont donc, proportionnellement aux actes eux-mêmes, extrêmement rares pour ne pas dire exceptionnels. Quand ils sont susceptibles d’effrayer la population entre deux tours d’élections législatives, ces faits sont volontairement tus, effacés, relégués dans la rubrique des faits divers.
Parmi ces faits de société gravissimes, qui concernent tout le monde en général, et souvent au hasard, il y a aussi ceux qui visent spécifiquement les personnes parce qu’elles sont Juives. De nombreux témoignages font état d’étudiants juifs menacés de mort dans leur université[3]. Une députée de la Knesset annonçait récemment que sa grand-mère française avait été agressée physiquement et verbalement le mois dernier[4].
La société de mon pays n’est plus seulement livrée à un véritable saccage du quotidien, empoisonnée par les incivilités et les provocations ; elle se laisse engloutir par la peur et le défaitisme.
Cette mécanique parfaitement voulue par les pouvoirs publics, contrairement aux belles intentions affichées, emprisonne les Français dans un désarroi de circonstance qui sert les intérêts d’une élite soucieuse d’accéder ou de se maintenir à la tête de l’État.
Tant pis si les Juifs de France deviennent des boucs émissaires, et une variable d’ajustement, au gré des intentions électoralistes des uns, des orientations opportunistes des autres.
Plus on parle d’un cordon sanitaire contre le fascisme, et plus on instrumentalise les fantasmes liés à ce fascisme pour entretenir cette peur, et empêcher le changement. Or ce changement, la majorité des Français le réclame, en secret dans les urnes, mais de plus en plus à mots découverts, en toute visibilité et conscience.
En faisant taire ce besoin de changement, à coups d’intimidations et de menaces, le système démocratique de ce pays est-il vraiment à la hauteur des attentes et des aspirations des Juifs, et du plus grand nombre ?
[1] Législatives 2024 : « Le triomphe du chaos absolu », Le Figaro, 07/07/2024
[2] « L’inquiétante prolifération des attaques à l’arme blanche », Le Figaro, 29/04/2024
[3] Sciences Po : « Ne dis pas que tu es Juive, X va t’assassiner », plusieurs témoignages d’actes antisémites révélés par l’UEJF, Valeurs Actuelles, 07/05/2024
[4] En France, la grand-mère d’une élue israélienne tabassée et traitée de « sale juive », Times of Israël, 04/07/2024