Judiciarisation

Gros titres dans les médias, débats passionnés, diffusion en direct des délibérations de la Cour suprême… Pour qui en douterait encore, la judiciarisation de la société israélienne est bien avancée.

C’est un phénomène mondial qui, dans quelques pays comme l’Etat juif, ne concerne pas seulement les problèmes de société ou la vie économique, mais aussi le débat politique. Nul doute que le phénomène va s’accentuer à l’approche de la publication de la décision concernant la loi sur les conditions de l’impeachment du Premier ministre et des délibérations (le 12 septembre) sur la fameuse « clause de raisonnabilité ».

Cette judiciarisation de la vie politique tient pour partie au fait que le pays ne disposant pas de constitution, la marge d’interprétation du législateur et des juges est importante, d’où un certain activisme.

La Cour suprême est accusée d’être trop orientée à gauche, avis qui mériterait d’être fortement nuancé. Il y a quelques jours, elle a autorisé la reconstruction d’une yeshiva dans la colonie illégale de Shoresh en Samarie, au motif que désormais cela se faisait sur des terres de l’Etat. Dans le passé, sur la base de la clause de « raisonnabilité », elle a aussi obligé une collectivité territoriale à construire un mikvé (bain rituel) pour répondre à une demande potentielle du public religieux.

Ces derniers mois, la Cour suprême est l’objet de pressions plus grandes qu’à l’accoutumée. La réforme judiciaire en cours vise à modifier sa composition et à réduire ses pouvoirs. La procédure de nomination pourrait faire dépendre celle des juges de la Cour suprême du pouvoir politique. La suppression de la clause de raisonnabilité pour les décisions ministérielles rendrait plus difficile toute contestation judiciaire de ces décisions (comme les nominations).

Une autre raison du caractère passionné du débat est le fait que les lois controversées sont des Lois fondamentales, autrement dit des textes sur lesquels s’appuyait la Cour suprême pour juger de la constitutionnalité des lois ordinaires. Une invalidation d’une Loi fondamentale constituerait un précédent. La Cour pourrait trouver une échappatoire en refusant de toucher à ces Lois fondamentales modifiées tout en décidant qu’elles ne s’appliqueraient que dans le cadre de la prochaine législature pour leur ôter tout caractère d’opportunité politique. En tout état de cause, nul doute que dans la prochaine période, encore plus que d’habitude, les quinze plus hauts magistrats du pays verront leurs décisions scrutées à la loupe.

à propos de l'auteur
Philippe Velilla est né en 1955 à Paris. Docteur en droit, fonctionnaire à la Ville de Paris, puis au ministère français de l’Economie de 1975 à 2015, il a été détaché de 1990 à 1994 auprès de l’Union européenne à Bruxelles. Il a aussi enseigné l’économie d’Israël à l’Université Hébraïque de Jérusalem de 1997 à 2001, et le droit européen à La Sorbonne de 2005 à 2015. Il est de retour en Israël depuis cette date. Habitant à Yafo, il consacre son temps à l’enseignement et à l’écriture. Il est l’auteur de "Les Juifs et la droite" (Pascal, 2010), "La République et les tribus" (Buchet-Chastel, 2014), "Génération SOS Racisme" (avec Taly Jaoui, Le Bord de l’Eau, 2015), "Israël et ses conflits" (Le Bord de l’Eau, 2017), "La gauche a changé" (L'Harmattan, 2023). Il est régulièrement invité sur I24News, et collabore à plusieurs revues.
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