Judaïsme et antisémitisme, Allemagne VS France

Comparaison et ses raisons
En présence[1] :
Allemagne[2] : 83 millions d’habitants ; entre 100 000 et 240 000 Juifs, dont 118 000 membres de 108 communautés, les autres ne sont rattachés à aucune communauté et certains ne répondent pas aux critères de la religion ; 130 synagogues ; 5,5 millions de Musulmans et environ 2500 lieux de cultes et communautés de mosquées.
France : 68 millions d’habitants ; 450 000 à 550 000 Juifs selon l’acception de « Juifs »[3] ; 500 synagogues ; environ 8% de la population (5,5 millions de Musulmans) et 2 600 lieux de culte musulmans dont 900 mosquées.
Les faits – en Allemagne
Le délégué du ministère de l’Intérieur, responsable de « la vie juive en Allemagne », a donné une interview au journal de la communauté juive Jüdische Allgemeine (par Nils Kottmann le 18 mars 2025). Examinons les enseignements que nous pouvons en tirer pour nos deux pays, voisins et alliés au sein de l’UE qui a très largement échoué dans son plan contre l’antisémitisme depuis son lancement avec tambours et trompettes. Pour Felix Klein, responsable de la vie juive depuis 2018 :
Il s’agit d’un combat de longue haleine qui ne supporte pas d’accès de faiblesse.
Le centre de recherche de d’information sur l’antisémitisme (RIAS) dont la création remonte à 2015 a largement bénéficié de la contribution et l’animation de Felix Klein à partir de 2018 (il en devient le parrain), par son action développée sur l’ensemble de l’Allemagne. L’association fédérale apporte également du soutien aux personnes touchées par l’antisémitisme.
Parallèlement il a initié la création de deux prix « du bénévolat pour la vie juive », dont les derniers lauréats ont été Netzer Deutschland, organisation très engagée et présente sur tout le territoire, et Limoud, très engagée également qui encourage le bénévolat. Les deux devenant ainsi un multiplicateur important au vu de la taille modeste de la communauté juive.
C’est sous l’impulsion de F. Klein, que la totalité des régions (16) – sauf celle de Brême – ont été pourvues d’un délégué régional. À charge pour lui d’animer leur action et de créer les conditions de bon fonctionnement avec l’autorité fédérale. Cette organisation, bien que créée dès 2017, n’a réellement pris son essor qu’avec l’arrivée de F. Klein.
Enfin, il convient de rappeler que c’est lui qui a dirigé et présenté le Plan National pour la Stratégie contre l’Antisémitisme. En politique, il y a souvent loin de la coupe aux lèvres. Un exemple actuel : les manifestations pro-palestiniennes sont interdites et constituent un délit.
Les faits – en France
L’Organisation Juive Européenne apparaît comme la plus efficace. Elle est composée d’un nombre important d’avocats bénévoles et compétents. Ce qui explique, sans doute, le nombre de condamnations obtenues. Au plan politique, les gouvernements en place n’ont pas nommé un responsable unique, spécialement chargé de la lutte contre l’antisémitisme.
Chaque ministre, voire chaque responsable d’université, de lycée, de classe, selon, adopte ou n’adopte pas de position, active ou passive, de peur des représailles.
Côté institutionnel, la fonction est logée au sein du ministère de l’Intérieur et des Cultes. Il existe bien une délégation interministérielle à la lutte contre le « racisme, l’antisémitisme et la haine envers les personnes lesbiennes, gays et trans ». L’intitulé mentionne bien la lutte contre l’antisémitisme, mais pas spécifiquement la haine contre les Juifs. Qui connaît, en France, le nom du délégué en charge ?
Le site dédié en France : https://www.dilcrah.fr.
La DILCRAH peut être présentée autour de quatre missions clés et avec une seule ambition : lutter contre toutes les formes de haine. La présentation précise qu’il y a 915 associations, lieux de mémoire, établissements d’enseignement scolaire ou universitaire et collectivités, qui agissent aux cotés de la DILCRAH,
Il y a 2 plans :
- le plan national de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine,
- et le plan nation d’action pour l’égalité des droits, contre la haine et les discriminations LGBT.
La DILCRAH soutient financièrement la mise en œuvre de ces plans ambitieux avec un budget de 9,5 millions d’euros, ce qui paraît peu pour soutenir sérieusement une telle ambition à l’échelle nationale.
À ce jour :
- 8 villes sur 22 métropoles, et 2 régions sur 13, ont adopté des plans territoriaux, parmi lesquelles Vitrolles, la Communauté de communes des vallons du lyonnais, Toulouse, Sarcelles, Rillieux la Pape, Vaulx en Velin, Pau, Bordeaux, l’Occitanie et la Réunion ;
- 4 universités (on ne dit pas lesquelles) sont soutenues sur le territoire, pour 72 existantes. Sciences Po n’était sans doute pas dans la liste.
En Allemagne
La Commission des délégués fédéraux et des 16 Länder en charge – dont 4 à l’Est, qui votent majoritairement AfD – est un instrument structurel crucial, car la responsabilité d’environ 80 % des domaines d’action contre l’antisémitisme incombe aux Länder.
Quand on pense à l’éducation et à la culture, à la police ou à la justice, c’est une raison nécessaire – mais pas forcément suffisante – que tous les Länder aient nommé des délégués à l’antisémitisme (sauf Brême).
La création de commissaires au sein des parquets est également extrêmement importante pour que le pouvoir judiciaire soit encore mieux en mesure d’identifier l’antisémitisme, et de le punir rapidement.
Fait très intéressant : brûler un drapeau d’un autre pays est un délit puni pénalement. Cela aide désormais la police à gérer les manifestations dites pro-palestiniennes, mais en réalité anti-israéliennes.
Le massacre du 7 octobre a eu un effet catalyseur sur l’explosion des actes antisémites
Côté allemand, vu l’augmentation considérable d’agressions antisémites, les autorités ont intensifié le travail de prévention. C’est particulièrement vrai dans les écoles – même si cela relève de la compétence de chaque État, où tout le monde s’y met.
La déclaration de la Conférence permanente des ministres de l’Éducation et des Affaires culturelles des Länder, du Conseil central des Juifs d’Allemagne et de la Commission fédérale-étatique des délégués à l’antisémitisme, par exemple, se concentre sur la lutte contre l’antisémitisme dans les écoles. Elle fait suite à certains points de cette déclaration de juin 2021 qui sont progressivement mis en œuvre.
Dans nos deux pays, il est crucial que la lutte contre l’antisémitisme et le racisme devienne une partie obligatoire de la formation des enseignants.
Le monde universitaire allemand n’est pas épargné
Il y a beaucoup d’antisémites titulaires d’un doctorat. Ceci pose la question de la fiabilité de l’éducation comme le meilleur vecteur de la prévention contre l’antisémitisme : on voit à l’examen des faits que l’éducation à elle seule ne protège pas contre l’antisémitisme.

- Francesca Albanese (ONU), par exemple, est diplômée en droit (Londres), et diffuse des discours antisémites.
- Björn Höcke (AfD) ne manque pas d’éducation, et pourtant il banalise l’Holocauste.
Mais l’éducation est un pilier majeur. Elle renforce la capacité à aborder les problèmes de manière critique et réflexive, et à ne pas suivre sans réfléchir les intellectuels qui jouent du pipeau. Ils doivent être formés et prêts à déconstruire les mythes du complot.
Cependant se pose l’éternelle question, à laquelle nombreux se sont essayés, sans succès : a-t-on réellement déjà réussi à dissuader un antisémite de sa haine des Juifs ? Les antisémites ont généralement une vision du monde fermée ; la persuasion est quasiment impossible. Mais au moins, en argumentant, on peut parfois réussir à amener, même les antisémites, à remettre en question leurs affirmations. Sur le terrain, on s’adresse à un grand nombre de personnes qui sont sensibles à l’antisémitisme mais qui restent accessibles à un échange.
Bien que chacune des 16 régions allemandes (exceptée Brême) soit dotée désormais d’un délégué à l’antisémitisme, le nombre d’actes antisémites continue d’exploser. La France n’a pas du tout cette organisation.
Ce qu’on observe en Allemagne : le nombre de personnes sensibles aux discours antisémites devrait rester constant, entre 10 et 15% de la population, même après le 7 octobre.
Alors que les tensions augmentent au Moyen-Orient, les agressions antisémites augmentent également. Ce qui confirme que les options sont limitées, mais la prévention et la répression restent cardinales dans les actions à mener.
Il est fondamental que les agresseurs soient rapidement condamnés, comme ce fut le cas aux Pays-Bas après la traque des supporters de football israéliens en novembre. La comparution immédiate est pratiquement exclue en France, où les agresseurs comparaissent plusieurs mois après les faits, ce qui vide de son contenu les condamnations et encourage la récidive.
Régionalement, le Bureau de protection de la Constitution (équivalent de la DGSI, sécurité intérieure) est susceptible d’être déployé dans les universités.
Dans le passé, à l’occasion d’actions anti-israéliennes, on a constaté à plusieurs reprises l’ingérence d’individus extérieurs aux universités qui ont influencé les participants, et même ont commis des délits – par exemple, en occupant des salles de cours, en utilisant des symboles anticonstitutionnels ou en causant des dommages matériels importants. L’idée selon laquelle les manifestations et les occupations ne seraient « que » des activités étudiantes banalise la haine extrême – et parfois violente – contre les Juifs, qui se multiplie. En France, on évoque la liberté d’expression. Personne n’aura oublié le slogan de 1968 : il est interdit d’interdire…
Barre à droite mais pas avec l’AfD
M. Klein a annulé sa participation à la conférence sur l’antisémitisme à Jérusalem parce que des membres du RN allaient également y prendre la parole. Au-delà, il trouve rassurant que le gouvernement israélien ait déclaré qu’il continuait à n’avoir aucun contact avec les forces extrémistes en Allemagne.
Réflexion
La problématique est identique dans les deux pays. En revanche, les réponses données par les gouvernements diffèrent considérablement. Notre pays devrait et pourrait largement s’inspirer des mesures prises par son grand voisin face aux mêmes enjeux. Mais il ne semble pas qu’on veuille admettre les réalités.
On s’accroche désespérément à des éléments de langage, hélas largement dépassées par les réalités : le sentiment d’inquiétude devant les violences ordinaires, l’ « antisémitisme résiduel », alors que les violences antisémites représentent à elles seules plus de 60% du total pour 0,6% de la population[4] qui les subie.
L’antisionisme est le faux-nez de l’antisémitisme, mis en avant par ceux qui font le lit de l’islamo-gauchisme. Accessoirement, on ne s’en prend pas aux Évangélistes sionistes qui soutiennent Israël ; cherchez l’erreur.
Ainsi va le monde.
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[1] Ces chiffres sont des estimations varient en fonction des sources. Ce qu’il faut retenir ce sont les proportions.
[2] Sources : Central Welfare Board of Jews in Germany (ZWST), Media Service Information en Allemagne (plateforme de services pour les journalistes).
Selon le Institute for Jewish Policy Research :
- Population juive de base en Allemagne : 125 000
- Population de parents juifs en Allemagne : 150 625
- Population juive élargie d’Allemagne : 176 250
[3] Selon le Institute for Jewish Policy Research :
- Population juive de base en France : 438 500
- Population de parents juifs en France : 499 890
- Population juive élargie de France : 561 280
[4] Source : ministère de l’Intérieur