John McCain a compris pourquoi j’avais refusé de quitter la prison

Feu le sénateur américain avait su transformer sa connaissance directe des horreurs de la captivité et de la dictature en poursuite de la justice, une poursuite qui aura duré toute sa vie
Quelques mois après les élections présidentielles de 2008, je me trouvais à Washington et je suis allé retrouver mon vieil ami, le sénateur John McCain. J’espérais pouvoir lui exprimer mon soutien face à sa défaite lors du scrutin et ma certitude que cette dernière ne suffirait jamais à définir son héritage. J’ai été mené dans une petite chambre au sénat pour attendre McCain, qui se trouvait alors enlisé dans une bataille législative à l’étage et qui refusait de quitter le bâtiment.
L’homme qui était entré dans la pièce pour me rencontrer ce jour-là était heureux de recevoir mes regrets et mes assurances – mais il n’en avait pas besoin. Il ne pensait plus à sa défaite. Il était rempli au contraire d’une nouvelle ardeur, de passion pour son combat le plus récent, cette croisade pour mettre la torture hors-la-loi. « Il n’est pas nécessaire que je vous explique pourquoi nous devons mettre un terme à cela », avait-il dit, écartant les critiques émanant de son propre camp contre sa prise de position.
« Nous nous comprenons ».
Ce « nous » évoqué par le sénateur McCain et ces affinités auxquelles il faisait allusion étaient nés lors de notre toute première rencontre, lorsque je m’étais rendu aux Etats-Unis peu de temps après ma libération d’un goulag soviétique en 1986.
« Je comprends pourquoi vous avez refusé une libération sous les termes de l’URSS il y a deux ans », m’avait-il dit alors, se référant à un accord que j’avais rejeté – ce qui avait créé une onde de choc et la consternation parmi un grand nombre de mes soutiens occidentaux.
De nombreuses personnes n’avaient pas pu comprendre pourquoi j’avais refusé de demander une libération anticipée de prison pour des raisons de santé. Après tout, les autorités soviétiques avaient secrètement promis à leurs homologues américains qu’ils accéderaient à une telle requête. McCain, qui avait fait lui-même l’expérience des horreurs de la captivité et de la dictature avait pour sa part compris ce qui était resté inaccessible aux autres.
Il avait su comment une telle requête serait présentée par les autorités soviétiques, comment ils l’auraient utilisées pour clamer que moi, leur critique, j’avais accepté leur autorité pour contrôler mon destin. Il avait su comment tout cela aurait été utilisé pour saper la détermination des autres dissidents.
McCain avait compris mes raisons parce que lui-même avait eu un choix à faire. Lorsque le gouvernement nord-vietnamien avait offert de le libérer avant les autres prisonniers de guerre, il avait refusé – malgré les conditions atroces de sa détention. Certaines valeurs, il le savait, trônaient au-delà de la survie et du confort.
La connaissance directe de McCain de ces réalités et de ces vérités aura marqué toutes ses initiatives à travers une carrière politique longue et illustre. Il n’aura jamais cessé de soutenir les dissidents qui ont souffert sous les régimes dictatoriaux, et il n’aura jamais oublié que certaines choses devaient prendre le dessus sur des considérations de realpolitik et sur les lignes partisanes.
C’était cette profonde conviction qui l’avait amené à s’exprimer contre une approche de realpolitik face à la situation en Union soviétique, en Syrie et en Iran. Et c’est cette conviction également qui l’aura contraint à combattre la torture à Guantanamo, indépendamment des critiques de son parti. Il savait que c’était la justice même, ainsi que l’intégrité morale des Etats-Unis, qui étaient en jeu.
L’homme qui était venu me rencontrer dans cette petite salle du sénat américain n’avait pas besoin de mes encouragements et de mon soutien. Il n’avait pas besoin de me dire que ses principes – et non sa défaite aux élections – définiraient son héritage pour les années à venir. Il était déjà enflammé par ces mêmes principes et par son profond engagement en faveur de l’intégrité morale et de la dignité de son pays.
Le peuple américain a perdu cette semaine un homme d’une rare intégrité et j’ai perdu pour ma part un camarade de combat cher à mon coeur.
Puisse son héritage perdurer.