Jérusalem dans une « Union européenne et levantine »

Illustration. Le drapeau de l'Union européenne flotte à l'extérieur de l'Europe Maison de la délégation du bureau officiel de l'Union européenne au Royaume-Uni à Londres, vendredi 22 janvier 2021. (Crédit : AP / Alastair Grant)
Illustration. Le drapeau de l'Union européenne flotte à l'extérieur de l'Europe Maison de la délégation du bureau officiel de l'Union européenne au Royaume-Uni à Londres, vendredi 22 janvier 2021. (Crédit : AP / Alastair Grant)

Ce n’est pas parce que les visages sont différents que les âmes le sont. [Talmud de Jérusalem, Berakhot]

Alors que Gaza est en cendres, Israël bunkerisé, et la diplomatie en ruine, l’Europe peut-elle encore proposer une issue ? La solution à deux États, à la supposer plausible, ne saurait apaiser l’irrédentisme religieux-nationaliste d’une frange importante de Juifs et de Palestiniens.

Quant au statu quo, il a mené au Gouffre du 7 octobre : un statu chaos depuis 30 ans, résumé par ce qui n’est hélas pas un slogan : du Fleuve à la Mort.

Et si, à rebours des logiques de séparation ou de domination, l’Europe impulsait une vision politique inédite : la construction une Confédération hébraïque-palestinienne, issue de référendums, unissant deux entités souveraines : République de Palestine et République d’Israël – coexistant dans une architecture politique partagée, inspirée du modèle européen et intégré à l’UE.

Jérusalem serait la capitale spirituelle de cette Confédération, municipalité binationale, cœur symbolique et politique d’un espace pacifique. Libre circulation des biens et des personnes, droits égaux pour tous, reconnaissance mutuelle des langues, des cultures, des blessures.

L’Europe comme « tiers inclusif »

Pourquoi l’Union européenne ? Parce qu’elle est la preuve que l’histoire peut bifurquer par la force de l’esprit. Elle a transformé les décombres de la Seconde Guerre mondiale en cités démocratiques.

Parce que c’est de l’Europe que peut venir la réparation, loin de toute repentance. Les deux peuples, juif et palestinien, restent hantés par la Disparition. Trois blessures inextricablement liées, même sans équivalence, évidemment :

  • la Shoah pour les uns,
  • la Nakba pour les autres,
  • l’Arrachement pour les Juifs d’Orient.

Ces traumatismes façonnent, génération après génération, les ressentiments et les peurs, donc l’indifférence aux souffrances de l’Autre.

Ce projet est vital aussi pour l’Europe. Le conflit israélo-palestinien traverse nos sociétés : il fracture les débats publics, alimente les populismes, nourrit les extrémismes. Plutôt que d’importer le conflit, il est sûrement préférable que l’Europe s’exporte. Si elle croit encore en sa vocation : défier l’Histoire. De toute façon, sans imaginaire renouvelé, l’Europe se condamne à l’effacement.

« Terra Nostra »

Il est temps d’oser faire de l’Europe et du Levant notre bien commun. De « Mare Nostrum » à « Terra Nostra », un archipel où Palestiniens, Israéliens et Européens bâtiraient un nouveau monde, avec une Cour méditerranéenne des droits humains, siégeant à Jérusalem : Un Temple guidé par la combinaison des spiritualités religieuses avec les principes universels de 1789, fondé sur sept piliers, en référence à l’antique Menorah : Justice, Exils partagés, Hospitalité, Liberté de conscience, Pluralisme culturel, Paix, Dignité humaine.

À côté du droit, la culture : une Université euro-méditerranéenne, yeshiva du XXIe siècle, zaouïa du savoir partagé. On y étudierait Averroès et Maïmonide, Amichaï et Darwich, les humanités européennes et les traditions judéo-islamiques. L’arabe et l’hébreu y seraient à nouveau langues de transmission, non de confrontation.

« Nous-Autres », Européens

Les citoyens de cette Confédération hébraïque-palestinienne porteraient un passeport européen. Une « Union européenne et du Levant », succédant à l’UE qui elle-même avait succédé à la CEE avec un nouveau drapeau : dix étoiles d’or (au lieu de douze), entourant un croissant et une étoile de David. Un ciel commun, orageux mais habitable.

Certes, les blessures sont béantes, les leaderships défaillants, les peuples laminés. Mais c’est précisément dans cet abîme que l’Europe et l’Orient peuvent croiser leurs regards.

L’Europe s’arabise, l’Orient s’européanise. Le « choc des civilisations » n’est pas une fatalité. Il est temps d’enclencher une contre-civilisation, une Mitteleuriental, en mémoire de la prodigieuse Mitteleuropa engloutie en 1914.

Penser une Confédération israélo-palestinienne membre de l’Union, c’est donc inscrire le conflit dans l’histoire des réconciliations et non dans celle d’une guerre méta-historique supposée éternelle. C’est retrouver l’audace des fondateurs de l’Europe d’après-guerre, ceux pour qui le rêve n’était pas l’ennemi du réel, mais son moteur.

L’histoire ne se répète pas, mais elle rime. [Mark Twain].

Faisons-la rimer, non avec la violence et l’impuissance, mais avec cette beauté têtue qui renaît toujours entre les ruines : l’espérance, « ce mal incurable », selon Darwich, serait-elle le prélude à une bénédiction universelle ?

à propos de l'auteur
Eric est avocat en droit social à Paris.
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