Jean-Yves Lacoste, Le différend du temps et de l’histoire. PUF, 2024.

Couverture. Éditions PUF, 2024.
Couverture. Éditions PUF, 2024.

Ce livre, si intéressant soit-il, m’a opposé quelque résistance quand j’ai tenté d’en savoir un peu plus sur son contenu. Je ne sous-entends pas que son auteur a été la proie d’un solipsisme, mais j’ai vraiment eu des difficultés. Néanmoins, j’ai poursuivi ma lecture en guise de déchiffrage afin d’accéder à la vérité que l’auteur nous transmet. J’ai enfin réussi à prendre quelques notes qui m’ont plu et ont nourri ma réflexion.

J’ai toujours pensé qu’il valait mieux être simple et compréhensible que compliqué et difficile. Cela n’empêche pas d’être profond et sensé. Mais les problématiques traitées ont retenu mon attention, dans toute la mesure de mes moyens, qui sont chétifs…

Je me suis toujours intéressé à la façon dont la religion et la philosophie ont tenté de cohabiter, et la formulation allemande de cette cohabitation, die Religionsphilosophie, m’a toujours paru malvenue. Ce n’est pas la philosophie religieuse ni la philosophie de la religion. Peut-être faut-il chercher et trouver un autre vocable qui cerne mieux le contenu de ce syntagme. Le tout est de déterminer quel pourcentage de philosophie et combien de religion.

En français, nous ne pouvons pas créer des syntagmes comme nos amis allemands qui possèdent dans leur langue un noyau dynamique permettant de telles créations. Dans mes lectures et mes traductions de livres de philosophie allemande, j’ai souvent hésité à traduire ainsi. Je pense à l’expression fort courante dans Écrits juifs (Jüdische Schriften) de Hermann Cohen (ob. 1918) ; il qualifie le judaïsme de culture-religion (Kulturreligion), à ne pas traduire par « religion culturelle » ni « religion de la culture » ; j’ai donc opté pour la formule suivante : le judaïsme est une religion-culture, entendons par là une religion qui n’est jamais en retard d’une modernité… Une religion qui ne confond pas la vérité avec le dogme.

Derrière cette expression allemande qui consiste à aligner bout à bout deux substantifs, on se rend bien compte qu’on ne peut pas rendre compte de ces deux éléments dans une égale mesure. Et puis, approfondissant mes recherches, s’est imposé à moi une autre formation lexicale curieuse mais dans une autre aire culturelle, notamment anglaise.

Aux USA, lieu où se réfugièrent les savants allemands de la science du judaïsme (Wissenschaft des Judentums), on n’a pas mieux résolu le problème. On a tenté de donner un nom à un édifice intellectuel englobant les deux thématiques, religieuse et philosophique. Et on n’y est pas arrivé. Pour preuve, le nom de cette institution juive d’enseignement supérieur : la Yeshiva-University… Il fallait y penser !

Mais cela dissimule mal un certain embarras, car on joint les deux dans un côte- à-côte qui repousse le problème à plus tard, dans l’espoir de réussir un jour à combler le fossé qui sépare les deux éléments : la Révélation et la Spéculation. Derrière le premier terme se cache la science divine réputée insondable et insubstituable, et dans le second les limites de l’intellect humain. C’est un véritable défi !

En parcourant ce livre un crayon à la main, mon regard a été attiré par le discours de l’auteur sur la notion de commencement et ses implications :

[…] déterminismes qui ont fait de moi ce que je suis.

(J’oserai ajouter, et le plus souvent, à notre insu…)

Le commencement absolu n’est pas le nôtre.

Je n’étais pas au commencement…

je proteste contre tout destin…

Nous sommes faits pour parler les uns avec les autres, et non pas pour transmettre les informations à une machine. Nous sommes faits aussi pour laisser une grande œuvre nous captiver ensemble les uns et les autres. Malgré tout, ce livre m’a fait penser à un auteur que j’avais introduit en France en le traduisant de l’allemand : Theodor Lessing, mort en 1933, auteur d’une Haine de soi juive (jüdischer Selbsthaß). Il nous a aussi laissé quelques réflexions sur l’histoire et la philosophie de l’histoire. Il s’est demandé si cette abondance de faits, ce gigantesque réel en devenir avait un sens ; en une phrase : est-ce que ce que les philosophes s’échinent à orienter vers telle direction ou telle autre, y a-t-il vraiment un sens ? D’où la philosophie de l’histoire et ses contestations…

On pourrait se demander s’il existe une sorte d’intelligence cosmique, un intellect souverain, précédant la survenue ou la naissance des faits, et dont l’agencement aurait un sens, et surtout une légitimité ? Dans les deux cas, positif ou négatif, la réponse est redoutable. Pour Lessing, l’histoire n’a pas de sens au point de croire qu’elle poursuit un but, un objectif préétabli. Et si l’histoire avait un sens, il serait écrit par avance, il serait préétabli. On doit encore pousser la réflexion plus loin.

à propos de l'auteur
Né en 1951 à Agadir, père d'une jeune fille, le professeur Hayoun est spécialiste de la philosophie médiévale juive et judéo-arabe et du renouveau de la philosophique judéo-allemande depuis Moses Mendelssohn à Gershom Scholem, Martin Buber et Franz Rosenzweig. Ses tout derniers livres portent sur ses trois auteurs.
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