Jean-Pierre Filiu, Le Moyen-Orient en 2050 : un essai de prospective. Institut Diderot. 2024. 

Couverture. Jean-Pierre Filiu, Le Moyen-Orient en 2050. Un essai de prospective. Institut Diderot. 2024.
Couverture. Jean-Pierre Filiu, Le Moyen-Orient en 2050. Un essai de prospective. Institut Diderot. 2024.

Je trouve très intéressante cette brève mais stimulante réflexion sur l’avenir d’une région du globe dont dépend le reste de la planète. L’auteur qui a longtemps réfléchi sur des sujets aussi changeants et aussi imprévisibles, nous donne un aperçu de ce que sera notre monde d’ici 2050.

Il part d’une citation de l’amiral américain Alfred Mahan, selon lequel, vers 1902, l’avenir de toute notre planète dépend de ce même Moyen Orient, qui semble réfractaire à toute solution d’un conflit armé qui dure depuis des décennies…

Et en fait, il ne s’agit pas que d’un espace, de la superficie de deux départements français de taille moyenne, composé de quelques arpents de terre sablonneuse, pour le contrôle duquel deux nations, deux cultures, l’arabo-musulmane et la judéo-hébraïque, sont prêtes à s’entretuer… Il est évident que l’enjeu dépasse, et de très loin, l’aspect territorial. Le territoire contesté porte les débuts du monothéisme, dont se prévalent Juifs, Chrétiens et Musulmans. Chacune de ces trois religions revendique pour elle seule la pleine possession de ce lieu où l’idée d’un Dieu unique a fait ses premiers pas : le sacré, le numineux, le divin, l’insondable sont passés par là.

Les Juifs, qui sont prioritaires dans ce domaine, sont revenus chez eux après une très longue absence, durant laquelle d’autres se sont successivement installées en ces lieux chargés d’une haute valeur religieuse. Le contrôle des lieux saints n’est pas chose facile à manier. On le voit encore au moment où nous tenons la plume : une véritable guerre se déroule entre les Palestiniens du Hamas et l’État d’Israël. Et cette confrontation dure depuis plus de neuf mois. Et elle implique plus que deux entités étatiques ou militaires, elle implique désormais des pays comme le Yémen, et l’Iran des Mollahs.

L’auteur de cette passionnante étude, historien de profession et de formation, envisage certains éléments qui expliquent la situation que nous vivons présentement : la démographie dans cette région, les hydrocarbures, et d’autres éléments dont il faut tenir compte, notamment le stress hydraulique.

N’oublions pas la démographie qui se révèle être une arme redoutable : deux capitales de la région, Le Caire et Istanbul, dépassent les dix millions d’habitants, et il y en a une dizaine d’autres comme Téhéran par exemple, qui dépassent les deux millions d’habitants. Si cela se poursuit, il y aura une pénurie alimentaire, tout simplement.

On en a senti des frémissements peu après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, quand il s’est agi de faire face au blocus des exportations de céréales en direction de l’Égypte et de nombreux pays d’Afrique… Si cette envolée de la population devait se poursuivre sans aucun contrôle, nous irions vers des difficultés réelles, et nous subirions de nombreuses menaces sur la paix dans le monde. D’où cette idée de voir à quoi ressemblerait notre monde d’ici 2050…

Est-ce que les USA pourront conserver leur statut hégémonique au Proche-Orient en 2050 ? Cela paraît peu probable. Mais par qui seront-ils remplacés ? La Russie ne pourra pas occuper cette place à la fois enviée et dangereuse. Elle s’est enlisée en Ukraine et les armes livrées récemment par le président américain semblent conduire à une meilleure situation de l’Ukraine : les Européens se sont réveillés et émergent de leur torpeur, ils parlent d’instaurer une économie de guerre et de pourvoir à leur propre défense eux-mêmes, sans se reposer entièrement sur le protecteur américain.

La Chine ne pourra pas occuper cette place du leadership, comparable à ce que font les USA depuis les origines… Son rôle dans le rapprochement en trompe l’œil des ennemis que sont l’Arabie saoudite et l’Iran n’est qu’une façade. Certes, l’Iran a réussi un coup de maître en torpillant l’adhésion prévue de l’Arabie aux accords d’Abraham. La meilleure preuve en est l’intervention des Saoudiens contre les attaques visant Israël en abattant des missiles et des drones iraniens… L’Arabie sait ce que lui réservent ses voisins iraniens en cas d’acquisition de l’arme atomique : ce serait la fin de son existence politique et militaire.

Il est de plus en plus évident que la paix du monde dépend globalement de ce qui se passe entre les Israéliens et les Arabes. Certes, les accords d’Abraham ont survécu à la guerre à Gaza, aucun des pays contractants n’a, à ce jour, dénoncé les accords, en dépit de la main de fer de l’armée israélienne qui protège ses frontières et le peuple d’Israël.

Au terme de cette enquête, l’auteur présente quelques scenarii pour l’avenir. Après tout, c’est bien là le but de l’exercice, mais les résultats manquent d’amplitude. Sommes-nous certains d’avoir en main l’instrument adéquat, adapté au problème qui nous fait face depuis tant de décennies ?

Avec tout le respect pour notre éminent collègue, j’en doute. Je me souviens du Premier ministre Ehoud Barak qui avait accordé tant de concessions aux Palestiniens, lesquels ont profité de la première occasion pour rompre les négociations. Faut- il rappeler l’attitude d’Arafat, que le Premier ministre tentait de joindre, pour la fameuse signature. Motif invoqué pour cette dérobade : si je signe ce document, je suis assassiné le lendemain… Quand on aura compris cela, on aura tout compris…

Je pense à la fameuse thèse des deux états (en arabe : Dawlatayne), devenue un leitmotiv auquel plus personne ne croit vraiment. Nul ne sait comment faire pour redonner vie à cette cause embaumée (Walther Rathenau). Devant les refus obstinés et répétés des États arabes, Israël a renforcé son emprise sur une bonne partie de la Cisjordanie, aussi nommée, la Judée-Samarie…

Le problème est de nature théologique et religieuse. On le voit bien aujourd’hui, alors que même l’Arabie saoudite, gardienne des lieux saints musulmans, se rapproche toujours plus d’Israël, sans s’inquiéter des réactions hostiles. Mais je crains qu’Israël, seule démocratie du Moyen Orient, ne soit contraint de vivre dans une situation de « ni paix ni guerre » durant quelques années supplémentaires.

Les diplomates européens ne comprennent pas l’âme arabe, ils ne savent pas que très peu de gens sur cette planète sont cartésiens. C’est triste, mais c’est ainsi.

à propos de l'auteur
Né en 1951 à Agadir, père d'une jeune fille, le professeur Hayoun est spécialiste de la philosophie médiévale juive et judéo-arabe et du renouveau de la philosophique judéo-allemande depuis Moses Mendelssohn à Gershom Scholem, Martin Buber et Franz Rosenzweig. Ses tout derniers livres portent sur ses trois auteurs.
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