Je suis le gardien de mon frère !

L’Occident, frappé par la terrible pandémie causée par le corovarinus, traverse, à n’en point douter, l’une des plus difficiles périodes qu’elle ait connues depuis la grippe espagnole en 1918-1919, causant la mort de dizaines de millions d’êtres humains, plus que la Grande guerre elle-même.
Cette crise, pour autant qu’elle soit alarmante et angoissante pour la plupart d’entre nous, doit-elle être uniquement considérée sous son aspect négatif et destructeur ? N’est-elle point plutôt l’indice qu’il nous faudra revoir notre mode de vie, notre modèle de consommation et en définitive notre système économique ? Cette crise ne doit-elle point être interprétée comme une épreuve, un défi que l’ensemble de l’Humanité aura à surmonter ?
Le virus fait peur. Tel un ennemi invisible et silencieux ne connaissant ni frontières de sexe, d’origine, de religions ni même d’horizons de pensée, il n’épargne personne et frappe l’ensemble du genre humain. Le temps est à la réflexion.
Que devons-nous faire pour surmonter ce défi ?
Après l’échec des institutions officielles se rattachant aux champs du politique, de l’économie et aux grandes institutions religieuses dans leur volonté d’exploitation des consciences, la lumière d’une nouvelle ère porteuse d’espoir finit par pointer à l’horizon.
Une ère où le champ du Spirituel prédomine sur les autres. Les spirituels sont ceux qui, surmontant la psychose de l’instant, voient en cette crise les germes d’une nouvelle naissance pour l’Homme. Ainsi, le terme hébreu MaShBeR exprimant « la crise, la brisure » signifie également « la pierre sur laquelle autrefois accouchaient les femmes ».
La société occidentale, obnubilée par la mort, selon le terme choisi par l’historien Philippe Ariès, a « évacué » celle-ci. Il rajoute dans son œuvre que « l’interdit de la mort paraissait solidaire de la modernité »[1]. Les spirituels sont ceux qui sauront vaincre la mort en semant les graines de vertu, en prônant le retour à plus de sobriété, de simplicité, d’empathie, d’équité et de partage des biens, du savoir et de leur temps.
Non point des femmes et des hommes confinés dans leur monastère, leur synagogue, leur mosquée ou leur temple qui, dans une douce et confortable torpeur empreinte de religiosité dévote, méditeraient sur l’avenir du monde mais des êtres, qui, sur le modèle des prophètes d’antan, agiraient avec courage et témérité afin de dénoncer les abus de pouvoir, la spoliation des biens et des ressources, l’injustice et le non-respect du droit à la Vie aussi bien chez l’Homme qu’au sein du règne animal. Le patriarche Jacob est sans conteste le modèle du Spirituel.
En effet, tout d’abord homme d’étude et de méditation (Genèse 25, 27), Jacob s’avère être un homme de combat. Qui combat-il ? De quel combat s’agit-il ? La source biblique ne fait jamais mention d’un ange mais d’un homme qui serait, dans la nuit de l’exil, apparu mystérieusement pour combattre Jacob.
Qui pourrait être cet homme venu de nulle part ? Et si cet homme n’était autre que Jacob lui-même, son alter-ego ? Il n’est de plus grande victoire que celle remportée sur soi-même : « Qui résiste à la colère l’emporte sur le héros ; qui domine ses passions sur un preneur de villes. » (Proverbes 16 : 32). Ces êtres d’envergure spirituelle, par leur exemplarité et leur sagesse, enseigneront que la concurrence à outrance ne peut plus continuer sans blesser le monde.
Toutes les théories économiques, les idéologies politiques et les dogmes assenés par les chefs de l’institution religieuse se sont effondrés car elles n’ont jamais eu d’autre dessein que de s’emparer des consciences. Comme il est écrit dans le livre des Prophètes : « Il n’y avait plus de Vision prophétique » (I Samuel 3 : 1). Nous vivons dans le paradoxe d’un monde plus riche matériellement mais où les hommes ont perdu le sens de leur vie et ont le plus grand mal à briser la glace de la normativité sociale.
Le monde a besoin, plus que jamais, de vision, d’une vision que ne porteraient plus les élites gouvernantes au pouvoir, elles en sont bien incapables, mais d’hommes et de femmes qui, issus de la société civile, ressusciteraient le souffle autant inspirant que puissant des prophètes d’Israël grâce aux échanges et au partage de leur Savoir. N’est-ce point le jeune Samuel, encore inconnu de tous, qui, succédant au Grand Prêtre Héli dont « la vision commençait à s’obscurcir » (I Samuel 3 : 2) rétablira le sens de la Vision et la vie prophétique.
Les victoires ne se feront plus sur le champ de bataille, ou sur les marchés boursiers fortement fragilisés comme en témoigne ce temps de crise sanitaire, mais au sein même de la conscience de l’Homme, de chacun d’entre nous. Saisissant toute la mesure de leur véritable responsabilité à l’égard d’autrui, ces spirituels participeront à la construction d’une ère nouvelle fondée sur la puissance de l’Esprit et l’alliance des compétences.
L’on comprendra, alors, combien le plein épanouissement du genre humain ne se mesure point aux courbes de productivité exponentielle d’une économie toujours plus avide de croître mais à la qualité des prestations découlant, principalement, de l’instauration d’un modèle éthique quant au processus même d’obtention des matières premières nécessaires à la conception et fabrication des produits manufacturés. La simplicité de vie ira de pair avec la fin de l’esclavage moderne.
Joseph, le personnage biblique célèbre pour avoir résolu les rêves de Pharaon de richesse et de famine, est celui qui sauve l’Egypte du déclin en décrétant et en appliquant une politique économique d’équilibre fondée sur le partage équitable du blé. Comme nous l’avons vu, le mot hébreu employé « MaShBiR » signifiant celui qui « amasse le blé pour le distribuer équitablement » est composé de la racine « Sh. B. R. » signifiant « briser ». Nous n’aurons d’autre choix, en effet, que de mettre des limites à notre consommation effrénée et briser nos habitudes de comportement pour le bien-être de tous.
Il en va de notre avenir et de celui des générations futures. L’Homme détruit. Désormais, l’impératif de responsabilité collective lui enjoint, plus que jamais, de réparer !
Je suis le gardien de mon frère !
[1] « Essais sur l’Histoire de la mort en Occident, du Moyen Age à nos jours », Editions du Seuil, p. 227.