J’aime Boualem Sansal en tant que Français fier de son pays, j’aime en lui l’Algérien qui ne se renie pas

J’ai de multiples raisons d’admirer et même, j’ose l’écrire, d’aimer Boualem Sansal, de craindre pour sa vie et de souhaiter sa prompte libération. Des raisons positives et des raisons négatives.

Je l’aime en tant que Français, car cet homme aime la France, son peuple et sa langue. J’aime ce qu’il écrit bellement dans ma langue et la liberté qu’il laisse à son lecteur de penser par lui-même. J’aime l’Algérien en lui qui ne se renie pas et qui aime tant son pays natal qu’il aura bravé inconsidérément tous les dangers pour le retrouver une fois dernière encore, pour sentir la terre de sa chère et belle Algérie dessous ses pieds et les parfums des fleurs et des arbres de Boumerdès.

J’aime l’Algérien qui a vu les pieds-noirs tels qu’ils étaient, avec leurs défauts, leurs qualités et leur drame, et qui a regardé la colonisation comme un tout à la manière dont Clemenceau regardait la Révolution. Il me plait à regarder Boualem comme l’Algérien du futur à la manière dont Riad Sattouf envisage l’Arabe du futur. Un Algérien qui comprendrait enfin que l’on ne saurait bâtir un pays et une nation solides sur le sable mouvant du ressentiment. Qui renoncerait à considérer que tous les maux de son pays pourtant si bien loti sont causés par la faute de l’ancienne colonie : d’une défaite au football à une fuite d’eau en passant par un méchant coup de sirocco.

J’aime Boualem en tant que Juif car, comme d’autres Arabes courageux et contrairement à la dictature algérienne, raciste et islamiste, il ne considère pas que tous les maux d’Arabie viennent des péchés d’Israël, pays où il s’est rendu, où il est accueilli en ami.

Mais il y a aussi bien des raisons négatives qui me font obligation de le défendre davantage. Je veux faire ici bruit du silence infernal de la gauche française en perdition morale. Cette gauche qui se gargarise du mot de Liberté mais qui accepte sans mot dire qu’un homme soit enfermé pour avoir écrit ses idées. Une gauche qui ne lui pardonne pas de trop aimer cette France en danger qu’elle déteste et le tient pour cela comme tenant de la droite extrême fantasmatique. Cette gauche qui partage avec sa dictature geôlière cette aversion pour l’État-nation français et ses frontières dont elle défend la violation. Je ne lui pardonne pas cette émission sur la Cinquième chaîne de service public où l’on entendit un islamiste rouler Sansal dans la fange sans que le responsable de celle-ci dise un mot pour le tempérer, alors que l’intéressé n’était plus là pour lui répondre .

Je ne pardonne pas davantage l’absence de réponse d’un Benjamin Stora, présent à l’émission, et qui non seulement demeura mutique devant ce procureur public, mais y ajouta quelques piques. Un Benjamin Stora qui, je le rappelle, fut choisi comme arbitre du différend historique franco-algérien par le président de la République. Ici encore , on appréciera sa clairvoyance politique.

Il est symbolique que celui-ci, avant même que d’être élu, ait cru devoir accuser la France d’avoir commis, à travers la colonisation, un « crime contre l’humanité ». Il n’avait pas eu la même appréciation pour les crimes du FLN où le massacre d’Oran de Chrétiens et de Juifs alors même que l’Algérie avait accédé à l’indépendance. C’est précisément dans l’abaissement pathologique de notre pays que l’Algérie du ressentiment puise ses mauvaises énergies.

Je ne vise pas seulement la gauche politique, unie dans une coupable inertie, des socialistes jusqu’aux Insoumis. Je pense encore à la gauche médiatique, de l’indifférence du Monde jusqu’à un méchant article de Télérama. Quand on veut se faire une idée de l’impunité médiatique, on songe à la dictature algérienne. Et on la compare avec l’obsession focale pour un certain État démocratique qui a le malheur d’être occidental. J’ai évoqué ailleurs un privilège rouge, j’évoque ici le privilège oriental.

Boualem Sansal, puisse ta rapide libération réunir les Arabes, les Kabyles, les Français de France et d’Algérie indépendantes enfin dans la fraternité.

Article publié le 31/12/24 sur LE FIGARO. Avec l’aimable autorisation de l’auteur.

à propos de l'auteur
Gilles-William Goldnadel est avocat et écrivain.
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