Israël, Turquie, le deux poids deux mesures
On peut porter le regard que l’on veut sur le statut des territoires disputés entre l’Autorité palestinienne et l’État d’Israël.
On peut parfaitement les considérer comme «occupés», quand bien même l’on saurait que ceux-ci n’ont jamais appartenu à un état quelconque et que les lignes d’armistice de 1948, n’ont jamais été les «frontières» de l’État juif, contrairement à ce qui est constamment rabâché.
On peut parfaitement appréhender Jérusalem-est avec le même regard, tout en sachant que les Nations unies ont voulu faire de la cité de David «un Corpus Separatus» avant qu’en 1948 la Légion Arabe ne massacre ou n’expulse la population juive de la Vieille Ville, présente depuis des siècles, dans une épuration ethnique aujourd’hui soigneusement occultée.
On peut même, tant qu’on y est, nommer «colonies», les implantations juives que les gouvernements israéliens successifs ont cru devoir favoriser depuis 1967 en Judée-Samarie-Cisjordanie, en dépit de la lourde connotation du mot. Encore que l’imagination de l’auteur est impuissante à décrire la réaction publique au cas où il utiliserait le même vocable pour qualifier certains quartiers français habités par des populations étrangères parfois privées de titres.
Après tout, et quel que soit l’avenir futur des territoires controversés, un linguiste féru d’Histoire pourrait sans se commettre regarder la présence d’un Juif en Judée aussi légitime que celle d’un Algérien à Saint-Denis. Mais il est vrai que s’en remettre aujourd’hui à la langue ou à l’Histoire pour montrer la direction du droit n’est pas loin de pécher contre le temps présent.
On peut tout cela sans approuver aucunement la décision européenne d’étiqueter différemment les produits venant des territoires «palestiniens» de ceux venant de l’État d’Israël. Au demeurant, la gauche israélienne si opposée qu’elle soit à la conservation définitive des territoires conquis après la guerre imposée des six jours, est tout aussi opposée à l’étiquetage controversé.
Il est vrai, que contrairement à ce que prétend le gouvernement israélien, il ne s’agit pas stricto sensu d’une mesure de boycott. Il est encore plus vrai que comparer cette mesure à celles prises par les autorités nazies contre les entreprises juives relève de l’indécence.
Il n’en demeure pas moins, qu’au regard du droit naturel et de la simple équité, un être épris de justice est parfaitement fondé à la trouver dangereusement inique.
Il suffit pour cela de comparer cette décision particulière et l’attitude générale européenne à l’égard d’Israël à celle de la même Europe envers la Turquie.
Ce pays occupe la moitié de Chypre depuis plus de 50 ans, cette occupation – totalement, elle, passée politiquement et médiatiquement sous silence – présente infiniment moins de justifications sécuritaire existentielle et historique que la présence israélienne dans les contrées précités. Et pourtant, alors que cette occupation concerne le territoire européen, les autorités européennes n’envisagent aucunement d’édicter la même mesure d’étiquetage que celle concernant des territoires étrangers à son espace…
Au-delà de cette injustice indigente, il n’est pas interdit de faire remarquer que l’État turc occupant ne mérite pas une indulgence particulière. Voilà un pays qui maltraite sa population kurde et la bombarde violemment à l’extérieur de son territoire. Voilà un régime désormais quasi dictatorial qui emprisonne ses journalistes. Voilà un état islamiste qui joue un double jeu avec l’État islamique.
Et c’est précisément, avec cet état rien moins que fiable et démocratique que l’Europe aux abois décide de s’en remettre pour qu’il règle à sa place, et moyennant une rançon de 3 milliards d’euros, sa question migratoire.…
Le même état exige pour prix de son assistance à continent en péril, outre la délivrance de centaines de milliers de visas, son billet d’entrée à l’intérieur de la Communauté. Celle-ci a accepté le principe de la reprise des pourparlers en reniant les siens face aux manquements démocratiques, à l’occupation du territoire chypriote mais encore et peut-être surtout à la perspective identitaire suicidaire de l’arrivée d’un pays islamique et largement asiatique.
Dans le même temps, l’Unesco adoptait une résolution surréaliste conférant, à la demande de l’Autorité palestinienne, aux tombeaux des Patriarches un caractère islamique. [ndlr: Selon des diplomates palestiniens et israéliens, le texte de la résolution de l’Unesco réaffirme que les deux sites palestiniens du Tombeau des Patriarches à Hébron et de la mosquée à Bethléem font partie intégrante de la Palestine.]
Plusieurs voix européennes, dont celle de la France ont apporté leur suffrage. Il ne s’en est pas fallu de beaucoup pour qu’il en soit de même pour le Mur des lamentations, sans que la France ne s’y oppose! …
Comment davantage montrer la négation par des politiciens et fonctionnaires européens acculturés des racines judéo-chrétiennes de leur vieux continent?
Le présent article n’est pas seulement écrit pour dénoncer une attitude qui consiste à traiter l’État juif en juif des Etats et en tête de Turc de la communauté européenne. Il n’est pas seulement écrit pour montrer que l’Europe, ce faisant, perd sa légitimité à prétendre peser dans la résolution pacifique de la dispute territoriale, religieuse et nationale centenaire opposant Juifs et Arabes en Terre Sainte.
Elle montre une arrogance pathétique à vouloir se refaire une improbable santé en s’arrogeant le droit de déterminer les frontières à tracer entre les uns et les autres, alors qu’elle n’est même plus capable de défendre les siennes.
Le présent article est surtout écrit pour montrer qu’en se couchant devant l’État ottoman, tout en reniant le seul État démocratique au Levant, l’Europe d’Occident en dit long sur elle-même et sur ses reniements.
Cet article a été publié dans le Figaro.