Israël perd sa Poste

Des camions de livraison de la compagnie postale israélienne. (Crédit : Autorisation)
Des camions de livraison de la compagnie postale israélienne. (Crédit : Autorisation)

La situation de guerre n’a pas interrompu, ni même ralenti, le processus de privatisation des services publics lancé en Israël il y a quelques années.

L’information a failli passer inaperçue si quelques ministres ne s’étaient pas vantés de la transaction : le gouvernement israélien a finalisé la privatisation de La Poste en la cédant au groupe Milgam.

Après une saga de plusieurs années, Israël se sépare de sa poste ; beaucoup d’Israéliens se réjouiront sans doute, espérant qu’un service privé sera plus efficace que le service public, notamment dans l’acheminement des colis.

La privatisation de la société La Poste est-elle, pour autant, une bonne nouvelle ? Pas sûr : en réalité, l’Etat solde ses entreprises publiques à des capitaux privés au nom de l’idéologie ultralibérale et pas forcément pour améliorer la qualité (et le prix) des services rendus aux citoyens.

Grandes familles

Comme pour la plupart des privatisations en Israël, La Poste aussi est tombée dans l’escarcelle d’une grande famille israélienne : la famille Weil, propriétaire du groupe Milgam, vient d’acquérir la société La Poste (banque postale comprise) contre la somme de 461 millions de shekels (125 millions de dollars).

Peu connue de la plupart des Israéliens, la famille Weil est à la tête d’un important empire financier (Milgam) spécialisé dans les services aux municipalités, comme la distribution d’eau, le recouvrement des factures, etc… Milgam est aussi propriétaire de plusieurs applications très utilisées par les Israéliens, comme Gett Taxi et Pango (stationnement).

Ce n’est pas la première fois en Israël qu’une privatisation profite à une grande famille ; on se souvient que, dans le courant des années 2000, l’Etat a cédé la compagnie aérienne El Al aux frères Borovitch, l’opérateur de téléphonie Bezeq à la famille Elovich et la banque Discount à la famille Bronfman.

Au total, le libéralisme à l’israélienne a renforcé le poids des grandes familles dans l’économie du pays. L’Israélien utilise même dans son langage courant le terme japonais Tycoon pour désigner un homme d’affaires ou une famille qui a prospéré en rachetant, parfois à bas prix, des biens de l’État dans des domaines divers, comme les télécoms, la finance, l’immobilier, l’énergie, etc…

La fin de l’État

La cure d’amaigrissement de l’État fait partie de la politique ultralibérale lancée en Israël à partir de 2003 par le ministre des Finances de l’époque, Benyamin Netanyahou.

En une vingtaine d’années, plus de 200 entreprises publiques ont été vendues à des investisseurs privés. Dorénavant, et selon le Rapport 2022 sur les Entreprises Publiques, l’Etat détient le capital de seulement 70 sociétés qui emploient 57.000 personnes.

Le processus de privatisation ne s’arrêtera pas avec La Poste ; plusieurs entreprises publiques sont déjà à la recherche d’investisseurs privés, comme les Industries Aéronautiques ou Rafael (armement).

Dorénavant, les “travaux publics” sont réalisés par des capitaux privés qui en assurent le financement, la construction et l’exploitation sur une longue période. On peut mentionner notamment : l’autoroute Trans-Israël, les usines de dessalement, le tramway de Jérusalem, l’exploitation gazière, les ports maritimes, etc…

Service minimum

Autrement dit, le désengagement de l’Etat s’étend aux services qui sont d’ordinaire du ressort des pouvoirs publics mais qui, en Israël, sont transférés progressivement au secteur privé : transports, électricité, eau, énergie, santé, etc…

Il aura fallu une intervention de la Cour suprême à Jérusalem en 2009 pour interdire la construction d’une prison privée…

La vente de La Poste israélienne fait bien partie de la tendance actuelle à la réduction des services publics à leur minimum ; une tendance dont le citoyen ne sort pas toujours gagnant.

à propos de l'auteur
Jacques Bendelac est économiste et chercheur en sciences sociales à Jérusalem où il est installé depuis 1983. Il possède un doctorat en sciences économiques de l’Université de Paris. Il a enseigné l’économie à l’Institut supérieur de Technologie de Jérusalem de 1994 à 1998, à l’Université Hébraïque de Jérusalem de 2002 à 2005 et au Collège universitaire de Netanya de 2012 à 2020. Il est l’auteur de nombreux ouvrages et articles consacrés à Israël et aux relations israélo-palestiniennes. Il est notamment l’auteur de "Les Arabes d’Israël" (Autrement, 2008), "Israël-Palestine : demain, deux Etats partenaires ?" (Armand Colin, 2012), "Les Israéliens, hypercréatifs !" (avec Mati Ben-Avraham, Ateliers Henry Dougier, 2015) et "Israël, mode d’emploi" (Editions Plein Jour, 2018). Dernier ouvrage paru : "Les Années Netanyahou, le grand virage d’Israël" (L’Harmattan, 2022). Régulièrement, il commente l’actualité économique au Proche-Orient dans les médias français et israéliens.
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