Israël ou la gourgandine de l’humanité

La tribune qui suit a été publiée en 2014. N’étant plus en ligne à ce jour, j’ai tenu à la republier ici, à l’heure où l’antisémitiasme paraît aujourd’hui hors de contrôle.
Pas moins de deux jours suivant mon retour en France intervenu en février 2012, après six années passées en Israël, et boom ! voilà que je me prenais ma première salve antisémite : « les Juifs, il faut toujours qu’ils disent qu’ils sont juifs. Et puis, ils sont dans tout, ils s’expriment partout ».
Lorsque je racontai ce fait quelques jours plus tard à un ami juif, il me dit : « je pense que tu as compris, tu dois vite te casser ! ».
Le fait est que le coup m’avait été asséné par la personne même qui m’hébergeait le temps de rebondir alors que nous dînions face à face à sa table, et que je nommais amicalement « ma fée logeuse ».
Eh bien non ! Je n’avais pas compris ! Et ce, pour la simple raison que je n’avais jamais subi l’antisémitisme, ou plutôt que je n’en avais jamais eu conscience.
Eh bien oui ! C’est la France qui a entendu mon premier cri, qui m’a donné son lait, qui m’a éduquée, qui m’a réchauffée. D’elle, j’ai tout reçu.
Je ne tiens pas en haute estime les journalistes d’aujourd’hui bien que la tâche d’informer me semble essentielle. Et, si j’associe l’antisémitisme à un virus multimillénaire, je dirais que les médias, eux, inoculent le virus dans le virus.
Ainsi, la rage des voix pro-palestiniennes qui se déploient ces temps-ci à ciel ouvert à Paris et ailleurs est donc, à mon sens, la conséquence directe du volcan journalistique, qui pose le rail du néo-antisémitisme, dont le monde arabe est devenu la locomotive, sous couvert de critique de l’État d’Israël.
Mais toi, que connais-tu des Juifs, de leur histoire, de leurs traditions ? Que sais-tu des legs des penseurs et autres génies juifs à l’humanité ? Aimes-tu Proust ? Écoutes-tu Mendelssohn ? Vas-tu au cinéma ? Et la pensée de Marx ? Et Freud ? Et Zweig ?
Sais-tu seulement combien de Juifs orientaux vibrent au son de la voix d’Oum Kalthoum, la diva égyptienne ? Elle qui a pourtant exhorté son peuple dans son entier à tuer les Juifs lors d’une guerre plus ancienne. Sais-tu que le judaïsme sanctifie la vie et seulement la vie ?
Sais-tu que le peuple juif est l’Origine ? Et, si ses principes ainsi que sa pensée avaient quoi que ce soit de commun avec l’étalage médiatique dont tu t’abreuves, crois-tu seulement qu’il continuerait simplement d’exister ? Crois-tu qu’il aurait résisté à l’exil, aux pogroms, aux expulsions, à l’Étoile jaune ?
Heureuse de retrouver Paris après six ans d’absence, je me balade dans ses rues, inouïes de romantisme, et boom ! Ici, un graffiti « Israël assassin » ; là un autocollant sur fond jaune « Palestine vaincra ».
Que sais-tu d’Israël, toi qui inscris ces deux mots sur le bord d’un pont ? Et toi, à l’autocollant, sais-tu seulement que l’État d’Israël est peuplé de Juifs, que chaque partie du monde compte des Juifs parmi ses citoyens, que l’État hébreu est l’État d’Israël, qu’il est un État juif et que les Juifs du monde entier sont des citoyens potentiels de l’État d’Israël ? Comprends-tu seulement cela ?
Toi qui manifestes le poing levé contre les Juifs, toi qui brûle, qui pille, qui hais, connais-tu tes racines ? Sais-tu seulement où elles sont ancrées ? Et si tu le sais, connais-tu ses pays, ses traditions, ses contradictions ? Connais-tu les frontières de leur humanité ?
Voilà quelques semaines, je me trouve sur un site du service public. Je passe par les sanitaires, et boom ! Sur la porte et la lunette même des toilettes, j’y vois gravée au stylo bleu une croix gammée au milieu d’une étoile de David. J’alerte la sécurité. On m’explique que l’antisémitisme va grandissant à Paris, qu’en somme, ce fait est habituel.
La France, pays de toutes mes références. Paris, ma boîte à musique.
Toi qui t’es agenouillé devant cette lunette de toilettes comme pour y vomir, qui t’es appliqué à inscrire ce symbole immonde, signant ainsi ton inhumanité, sais-tu seulement que Jésus était juif ? Sais-tu qu’Ismaël était le fils d’Abraham, qu’il était le frère d’Isaac ? Sais-tu qui sont ces quatre figures, ce qu’elles symbolisent ? Que connais-tu, au juste, de l’originel ?
Moi, à peine la diva entonne-t-elle Enta omri, je vibre ; je ne connais pas l’Égypte. Au son du Chââbi, je vibre ; je ne connais pas Alger. Je ne connais pas le Maroc, mais à l’arabo-andalou, je vibre. Je vibre pour les musiques de vos terres et de vos ancêtres alors que j’en suis étrangère. Je vibre pour Vivaldi et pour Bach ; je ne connais pas l’Église. Je vibre pour la lumière qui émerge de l’âme.
Mais toi, connais-tu Modigliani ? Et, Moustaki, l’as-tu déjà écouté ? Sais-tu qui est Oscar Niemeyer ? Sais-tu qui est le compositeur de West Side Story ? N’as-tu jamais croisé les Karnovsky ?
Surtout, sais-tu que la gourgandine est avant tout une femme, et que lorsque tu l’entraînes dans ta fureur charnelle c’est dans l’humanité entière que tu exultes ? Car elle est l’Origine. Sais-tu seulement que tu es né de la femme dont tu fends les hanches pour en faire ton exutoire ? Sais-tu que les seins contre lesquels tu écrases ton désamour sont ceux que tu as pressés pour en tirer le lait, ta subsistance ?
Non, tout cela tu l’as oublié, c’était il y a longtemps.