Israël-Maroc, pour en savoir un peu plus

Tous les ingrédients semblent se réunir progressivement pour qu’une confrontation soit en marche entre le peuple et le sommet de l’État dont la crise économique actuelle serait le catalyseur. Gouverner c’est prévoir. Le slogan nous est bien connu. Dans des périodes aussi incertaines que celles que nous traversons, c’est aussi anticiper.
La scène politique du Maroc donne quelques motifs d’inquiétude. Son peuple, déjà touché par une crise économique majeure, ne voit que très peu sa Majesté Mohamed VI, il ne l’entend pratiquement pas, que ce soit directement ou à l’occasion d’interventions télévisées.
D’après la revue The Economist, le Roi aurait passé près de 200 jours hors du royaume l’année dernière. Depuis son accession au trône en 1999, il n’aurait accordé que six ou sept interviews. La dernière remonterait à 2016. La comparaison avec feu son père Hassan II est sans appel. Les observateurs sur place constatent une baisse réelle de popularité et l’émergence d’une inquiétude qui tend à s’exprimer de plus en plus ouvertement. L’absence de réaction directe du Palais face à la hausse sans précédent des prix des denrées alimentaires et du pétrole, est interprétée comme son impuissance à y faire face. Ce qui provoque un sentiment d’abandon, voire d’indifférence.
Longtemps, dans les médias et les cercles officiels, l’argument, selon lequel le Roi est omnipotent et le seul qui gouverne, face à une classe politique incompétente, mais incontournable a prévalu – mais semble avoir fait son temps. Les faits mettent à mal l’affirmation de l’ancien Premier ministre Abdelilah Benkirane qui affirmait : « celui qui gouverne le Maroc est sa Majesté le Roi. Le chef du gouvernement n’est que son adjoint »
La population, dans son ensemble, n’a pas soutenu les accords d’Abraham alors que sa sympathie va toujours aux Palestiniens. Israël, devenu grand fournisseur d’armes du royaume, vient d’accomplir un pas supplémentaire en reconnaissant la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Cet acte hautement valorisé par les autorités lui vaut l’invitation du Premier ministre israélien qui sera reçu officiellement par le Roi.
La relative absence royale sur la scène politique a entrainé l’émergence encore discrète mais réelle de ce que certains observateurs ont déjà qualifié « d’alliance de la sécurité » qui comporterait diverses agences de sécurité du royaume, certains hommes politiques, des hauts fonctionnaires détenant des postes-clés, quelques hommes d’affaires proche du premier cercle disposant de l’économie de rente que leur a procuré cette proximité. On murmure que c’est un conseiller au sein du cercle royal qui serait à sa tête.
L’ancien ministre des Droits de l’homme et ancien bâtonnier de l’ordre des avocats Mohammed Ziane a essayé de sensibiliser l’opinion sur le risque que comporte cette évolution. Il a été arrêté et emprisonné et ultérieurement libéré. Un journaliste a publié d’autres informations sur le même sujet quelques mois plus tard en qualifiant ce conseil de « structure secrète », expression empruntée à une historienne en 2020 pour figurer le cercle restreint au sommet de l’État, disposant de la réalité du pouvoir.
Ce groupe, qui détient tous les leviers, agit librement sans être soumis à aucune contrainte législative ou parlementaire, ni légitimité populaire. Les autorités démentent toute information ou publication qui traite du sujet et en poursuivent les auteurs. Cette situation tombe d’autant plus mal que malgré des prévisions économiques initialement positives, la guerre en Ukraine, l’inflation qui culminait à fin 2022 à 8,3 % ont provoqué une crise qui affaiblit un peu plus l’image du Palais devant son effacement relatif de la scène intérieure à l’inverse des fortes attentes de son peuple, bien que les autorités aient adopté un certain nombre de mesures visant à stabiliser les prix des produits de base. Cependant les plus pauvres, dont le pourcentage n’a pas cessé d’augmenter, sont les plus impactés, ce qui accroît leur ressentiment.
Parallèlement il y a une ombre au tableau. La liberté d’expression n’a jamais été le point fort du régime chérifien, avec des hauts et des bas. Actuellement on semble toucher le point bas. Depuis plus de deux ans on constate une répression croissante contre les médias, la presse écrite, les journalistes, des blogueurs et les réseaux sociaux, dès lors qu’ils critiquent le régime ou ses responsables. Nombre d’entre eux ont été arrêtés, inculpés de divers crimes et délits, condamnés par une justice expéditive et emprisonnés. Ce n’est pas le moindre des paradoxes d’entretenir en même temps un ministère des droits de l’homme !
C’est sous ces auspices que se développent les relations israélo-marocaines avant tout au plan sécuritaire et militaire. Israël fera désormais partie des pays qui ont reconnu le Sahara occidental comme partie intégrante du Maroc. C’est un territoire de 266 000 km2 partagé entre le Maroc pour 2/3 et la Mauritanie pour 1/3, après le départ de l’Espagne. La solution juridique n’a jamais été formellement tranchée. L’Onu préconisait un referendum s’agissant « d’un territoire non autonome » – ce que le Maroc n’a finalement pas mis en oeuvre tout en ayant feint d’en accepter le principe.
On se souviendra de la fameuse marche verte de 1975 qui permit au souverain de provoquer un mouvement national patriotique et unitaire et de prendre le contrôle de ce territoire peuplé de moins de 700 000 sahraouis. Le régime a recherché une forme de compromis avec les représentants du Polisario en proposant une forme d’autonomie interne sous souveraineté marocaine. Un cessez-le-feu fut conclu qui dura 29 ans, pour être rompu en 2020. A partir de là, le front Polisario a déclenché une lutte armée pour obtenir un referendum en vue de l’indépendance, soutenu par l’Algérie voisine et l’Iran. On comprend qu’à partir de ce changement, Israël, indirectement, se retrouve face à un ennemi commun.
Les services marocains et le Mossad ont tissé des liens de longue date dans leur lutte commune contre les islamistes et terroristes de tous bords. Comme dans le conflit ukrainien, où l’Otan fournit des armes, Jérusalem fournisseur de drones et d’autres cyber-équipements, est devenu co-belligérant. En effet, après avoir utilisé des drones de surveillance israéliens auxquels les sahraouis s’étaient habitués, le Maroc est passé à l’utilisation de drones israéliens armés qu’il a commencé à utiliser sur le terrain. Pour mémoire, fin 2020 le président Trump apportait le soutien et la reconnaissance des États-Unis au Maroc dans sa prise de contrôle du territoire, contre la position de l’Onu considérant ce territoire comme pas encore sorti de son statut de colonie. Ce qui permit d’obtenir sa signature aux accords d’Abraham.
Le Maroc a bâti un mur de séparation (le mur de sable) de 2 700 km qui sépare le territoire en deux, 80 % Maroc et 20 % République sahraoui, qui est adossée à l’Algérie qui lui sert de base arrière. L’Algérie a depuis toujours un contentieux frontalier avec le Maroc qui s’est amplifié à cette occasion.
Ce qu’on peut retenir :
Un litige territorial important, où l’Onu a baissé les bras.
Le Maroc n’a pas cessé de faire valoir des liens très anciens voire même ancestraux existants entre les souverains marocains et ce territoire, dont la soumission de tribus. Le sujet est trop long pour être développé ici, mais les infos existent. On peut en dire autant eu égard aux références historiques concernant Israël. Mais l’Onu a une position différente bien connue.
Dans un premier temps, l’UE a refusé d’accorder au Maroc le bénéfice des tarifs préférentiels pour les produits originaires du Sahara, puis a changé de position en les intégrant à ceux du Maroc. On ne peut pas constater la même position pour Israël et les produits originaires des Territoires. Il y a boycott et boycott.
Concernant la reconnaissance de la souveraineté du Maroc, la France fait partie des « amis du Sahara occidental » mais à cette date n’a pas reconnu la souveraineté du Maroc. Il s’agit d’une même attitude que celle qui consiste a reconnaître la branche politique du Hezbollah mais pas la branche armée. Il y a reconnaissance et reconnaissance. Enfin en ce qui concerne les Droits de l’Homme, à la lumière des faits, on constate une différence de traitement considérable entre ce qui se passe des deux côtés de la Méditerranée. Chacun appréciera. Souvenons-nous qu’en matière politique, les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts.