Israël et le droit des Juifs à l’autodétermination

Nous approchons des commémorations du centenaire de la Déclaration Balfour, prévues pour ce 2 novembre.
Lors de remarques récentes, Madame Haneen Zoabi, député arabe israélienne, a dénié aux juifs un quelconque droit à l’autodétermination.

De même, le Président Abbas qui a demandé au Royaume-Uni de présenter ses excuses, et la plupart des Palestiniens, ne reconnaissent les Juifs (à écrire avec la majuscule réservée aux nations) comme une nation.

Cent ans plus tard, les Palestiniens protestent encore et organisent une campagne contre le « projet colonialiste de Balfour ».
D’autre part, beaucoup de Juifs israéliens ne reconnaissent pas non plus l’existence d’un peuple palestinien.

Comment pouvons-nous amener ces deux peuples à se reconnaître mutuellement existence et droits nationaux, un préalable à toute résolution de conflit ?

Le processus d’Oslo avait en principe pour but « deux États pour deux peuples ». C’est tout de moins ainsi qu’Israéliens et Américains l’entendaient.

Pour ce qui est des Palestiniens, il apparaît que pour eux le processus devait mener à deux États pour un seul peuple : un Etat binational, ou plus précisément ; non-national, Israël, et l’autre, la Palestine, pour les seuls Palestiniens. Ceci est sans doute une des principales raisons de l’échec du processus de paix.

La question du droit des Juifs à l’autodétermination est au cœur même du conflit israélo-palestinien.
Je vais essayer d’éclairer cette question complexe de la manière la plus brève possible:

Les Juifs étaient une nation politique dans l’Antiquité. Ils sont restés une nation politique en exil, vivant sous la Loi talmudique et protégés par les institutions communautaires juives. Ils étaient considérés comme des étrangers par les nations d’accueil, en Chrétienté et Terres d’Islam.

Les révolutionnaires français ont essayé de supprimer toute expression d’une vie nationale juive en transformant le judaïsme en une simple religion. Voici un extrait très significatif du discours du Comte de Clermont-tonnerre, député de l’Assemblée constituante de 1789:

Mais, me dira-t-on, les Juifs ont des juges et des Lois particulières. Mais répondrais-je, c’est votre faute, et vous ne devez pas le souffrir.

Il faut refuser tout aux Juifs comme nation et accorder tout aux Juifs comme individus ; il faut méconnaître leurs juges ; ils ne doivent avoir que les nôtres ; il faut refuser la protection légale au maintien des prétendues Lois de leur Corporation Judaïque ; il faut qu’ils ne fassent dans l’État ni un corps politique ni un Ordre ; il faut qu’ils soient individuellement citoyens.

Mais, me dira-t-on, s’ils ne veulent pas l’être ? Eh bien, s’ils veulent ne l’être pas, qu’ils le disent, et alors, qu’on les bannisse. II répugne qu’il y ait dans l’État une Société de non-citoyens et une Nation dans la Nation…

Les nations occidentales modernes sont définies comme les enfants d’un territoire (la terre-mère) d’une part, d’une culture et d’une loi (le père Fouettard) d’autre part.

Contrairement aux païens et aux nations modernes néo-païennes, les Juifs ne sont pas définis par un territoire. Selon le préambule de leur Constitution, la Torah, le peuple d’Israel est né en Egypte, « une nation dans la nation » précisément, et a reçu cette même Constitution de leur Père dans le désert.

La Terre Promise a été conquise après la transformation des esclaves Hébreux en Nation d’Israël. Leur relation avec cette terre était comme avec une épouse, dont l’union avec l’époux Hébreu a été scellée par l’équivalent d’un contrat de mariage, d’un contrat social, l’Alliance.

(On a le droit certes de considérer cela comme un mythe, mais alors il doit être compris comme un mythe politique qui, tout comme d’autres mythes politiques, peut créer une réalité historico-politique).

Les États-nations modernes n’ont pas reconnu «leurs» Juifs comme nation, mais par contre la plupart ont reconnu leur droit à l’autodétermination nationale en Palestine, ce qui est une contradiction qu’ils n’ont jamais résolue.

Et lorsqu’ils ont reconnu aux Juifs le droit à disposer d’eux-même, c’est uniquement en accordant ce même droit aux Arabes palestiniens par le plan de partition de 1947, juste après le choc de l’Holocauste.

La plupart des Juifs dans le monde d’aujourd’hui se considère comme une nation politique, tout comme la plupart des Palestiniens. Personne n’a le droit de leur dénier cette identité.

Haneen Zoabi, ne me dites pas qui je suis, cela est condescendant et ne diffère pas d’un discours colonialiste ! Vous vous comportez envers le peuple juif comme une impérialiste arabe. Vous n’allez pas définir qui je suis tout de même !

Je ne vais pas décider si les Palestiniens sont une nation ou pas. C’est à eux de choisir entre le nationalisme palestinien, le panislamisme, le panarabisme ou autre, et de mettre ce choix en pratique. Quelque soit leur décision, nous devons l’accepter.

L’Etat-nation israélien a été créé par des Juifs européens héritiers des Lumières. Il est basé sur le modèle occidental, lequel définit la nation territorialement. Cela nie aux Juifs toute existence politique réelle. Juridiquement parlant, Israël est l’État-nation de la nation israélienne, une fiction que seule une minorité d’Israéliens post-sionistes reconnaît.

Les Juifs d’Israël ne font que contrôler l’État-nation israélien en dirigeant l’armée et en excluant les Arabes israéliens des plus hautes sphères du pouvoir. (Les bédouins jordaniens usent d’un expédient semblable envers les Palestiniens de Jordanie).

A l’instar de la France révolutionnaire, Israël dit aux Arabes : « nous vous accorderons tout en tant qu’individus, mais vous refuserons tout en tant que nation ». Cependant, ce faisant, l’État israélien ne reconnaît pas non plus le peuple juif comme un corps politique. L’Etat-nation israélien n’est « juif » que par le biais de symboles judaïques et de certaines lois donnant la préférence aux Juifs.

La logique de Haneen Zoabi est donc cohérente avec le nationalisme occidental: les Palestiniens, dont l’identité est définie principalement par le territoire, peuvent être considérés comme une nation, les Israéliens aussi, mais non les juifs (avec une minuscule).

En conclusion, nous devons d’abord réformer l’État-nation israélien et le transformer en l’État de toutes ses nationalités, reconnus comme corps politiques, et définies indépendamment du territoire d’Israël-Palestine.

Les nations constituantes comprendront la nation juive israélienne et la nation arabe palestinienne, ainsi que les autres groupes nationaux qui souhaiteraient être reconnues comme collectifs politiques (Druzes, Araméens, Bédouins, Circassiens, Kurdes…?).

Quand Israël elle-même reconnaîtra les Juifs israéliens comme un corps politique, elle aura le droit de critiquer sa députée Haneen Zoabi.

La reconnaissance politique de plusieurs nationalités implique la mise en place à l’intérieur d’Israël d’une forme particulière de fédéralisme.

Une constitution fédérale sera capable de prévenir toute menace démographique et pourrait laisser les Israéliens contrôler l’armée jusqu’à ce qu’une paix globale soit atteinte dans tout le Moyen-Orient.

Une fois Israël redevenue une fédération de tribus à l’image de son antique constitution, il sera facile de lui associer la Cisjordanie/Judée et Samarie, puis Gaza, sans mettre en danger l’autodétermination juive.
Le conflit sera alors largement résolu.

à propos de l'auteur
Né à Paris, israélien pour la plus grande partie de sa vie, Yehuda vit à Jérusalem. Docteur en pharmacie clinique, titulaire d’une maîtrise d’histoire des religions, Yehuda a aussi étudié à Jérusalem en yeshiva traditionnelle. Militant de longue date pour la paix, il a été agent de terrain des Rabbins pour les Droits de l'Homme en Judée-Samarie. Il consacre désormais son temps à ses deux jeunes fils, aux études rabbiniques et à la promotion d'une solution fédéraliste du conflit israélo-palestinien.
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