Israël est sa propre menace !
Contrairement à ce qu’affirmait il y a peu un responsable ultra-orthodoxe selon qui « la chose la plus dangereuse pour l’État d’Israël – plus que l’État islamique, plus que le Hezbollah, plus que le Hamas – était la permissivité en matière de relations et de pratiques sexuelles interdites par la Bible et la loi juive, c’est ce gouvernement irresponsable qui constitue une menace pour le devenir de ce pays.
Sur le plan international, il est en train de saper les relations avec les amis les plus proches, Etats-Unis inclus, qui n’en peuvent plus et le font savoir de plus en plus ouvertement. Il mine d’un côté les objectifs politiques qu’il promeut de l’autre, accords d’Abraham inclus : le Maroc vient d’annuler le forum du Néguev à la suite des annonces de nouvelles implantations, le rapprochement tant attendu avec l’Arabie Saoudite est dans l’impasse (deux diplomates israéliens n’ont pas pu participer à une réception organisée par Mohammed ben Salman à Paris cette semaine alors qu’ils avaient été initialement invités), l’UE met en place l’étiquetage des produits en provenance des territoires occupés (1), les USA viennent d’annoncer qu’ils cessaient toute coopération scientifique et technologique avec des entités en Cisjordanie (dont l’université d’Ariel), sur le plateau du Golan et à Jérusalem-Est…
Sur le plan intérieur, avec son projet de putsch judiciaire, ce gouvernement est en train de fracturer le pays, exacerbant les tensions entre les « différentes tribus » d’Israël. On connaît les épisodes récents de ce feuilleton, à commencer par la tentative infructueuse d’empêcher l’élection par la Knesset du représentant de l’opposition à la Commission de nomination des Juges. Quelques heures à peine après la victoire remportée par les opposants au putsch lors des élections de mardi dernier à l’Ordre des avocats, qui doit désigner deux membres à cette même commission, le parti du Premier ministre s’est hâté de faire avancer un projet de loi qui priverait l’Ordre des avocats d’une grande partie de ses compétences et sans doute, de sa représentation dans cette instance.
A ces fractures, il convient d’ajouter l’approfondissement du fossé avec la population arabe de plus en plus présentée comme une « cinquième colonne » potentielle. A ce rythme, ne va-t-on entendre sous peu des voix demandant le rétablissement de l’administration militaire, supprimée en 1966 ? Dernier indice d’incompétence et de manque d’anticipation : le conflit avec la population druze du Golan. Le risque d’élargissement à la communauté druze israélienne est bien réel, tant les motifs d’insatisfactions sont prégnants, (loi Etat-nation du peuple juif de juillet 2018, logements, développement économique….)
Il y aurait également beaucoup à dire sur l’impact économique de ce projet scélérat « de réforme » et le désintérêt des gouvernants actuels s’agissant de la cherté de vie, de la dégradation du système de santé, de la détérioration des conditions de vie de larges secteurs de la population, obnubilés qu’ils sont par leurs considérations idéologiques et les intérêts sectoriels correspondant aux partis de la coalition.
L’aggravation de la situation en Israël se cumule à une dégradation sans précédent de la situation dans les territoires occupés, contrairement aux discours infondés sur la sécurité que seule la droite extrême serait à même de restaurer. Ce gouvernement est dénué de vision politique pragmatique de solution du conflit. Il est guidé par sa seule approche idéologique et messianique : « tout est à nous, construisons beaucoup et partout ». Itamar Ben Gvir ne vient-il pas, lors de sa visite illégale à Evyatar d’inciter les colons à « courir vers les collines. Il devrait y avoir une colonie complète ici, pas seulement ici, mais sur toutes les collines qui nous entourent ».
L’utilisation des attentats pour justifier les nouvelles implantations ne sont que cynisme et irresponsabilité. Avant l’annonce des 1 000 logements supplémentaires dans la colonie d’Eli suite à l’assassinat des 4 civils israéliens (sans oublier les 4 blessés), le gouvernement actuel accélérait déjà l’expansion des colonies sans faire référence à une réponse (qui n’en est pas une) au terrorisme. Il y a peu, le gouvernement a promu la construction de 4 800 nouvelles unités dans 18 colonies et légalisé un avant-poste. Il y a seulement quatre mois, le Conseil supérieur de la planification d’Israël a approuvé quelques 7 350 unités. Le nombre total d’unités d’habitation autorisées jusqu’à présent en 2023 excède les 13 000. À titre de comparaison, sur l’ensemble de l’année 2022, moins de 5 000 logements ont été autorisés ou avancés. Dans son annonce de nouveaux logements à Eli, Netanyahu a déclaré : « Notre réponse au terrorisme est de le frapper avec force et de construire notre pays ».
Double mensonge : il ne s’agit pas du pays d’Israël. Les colonies n’assurent pas la sécurité : elles contribuent à l’affaiblir, ne serait-ce que par la dispersion qu’elles induisent et qui exposent les Israéliens qui y séjournent à des actes de violence diraient les uns, d’opposition à l’occupation diront les autres. La seule force militaire ne saurait « forger une réalité différente, calme, dépourvue de menaces ». La soif de vengeance des deux côtés ne fait qu’alimenter l’escalade, la haine et la perte tragique de vies humaines de tous âges. Conséquence non fortuite, la « far-westisation » en Cisjordanie a pris une ampleur inégalée comme on a pu le voir ces derniers jours même si le phénomène en lui-même n’est pas nouveau. 849 attaques perpétrées par des colons ont d’ores et déjà été enregistrées contre 496 l’année précédente. Dans la quasi-totalité des cas, les auteurs restent impunis.
56 ans d’occupation ont créé une situation politique mais constituent également un phénomène social. Pour que perdure l’occupation et ce qu’elle a induit en termes de saisie de terres, de démolition de maisons palestiniennes, de raids militaires, d’arrestations et d’opérations nocturnes de répression ou de prévention, d’accoutumance aux dommages collatéraux et à la souffrance de la population civile, il a fallu l’implication directe d’une partie plus ou moins large de la population israélienne, de son soutien, tacite ou pas. A défaut d’une approbation pleine et entière des pratiques antidémocratiques afin de maintenir le contrôle israélien sur les Palestiniens et, en particulier, de l’avancée du projet de colonisation, une tolérance s’est installée. Des leaders, des communautés, des organisations, des partis politiques jouent de cette tolérance, de cette permissivité pour promouvoir leurs agendas politiques et vision de la société : « Aujourd’hui, les forces sociales et politiques non démocratiques que la société israélienne a nourries pendant 56 ans se sentent suffisamment confiantes et fortes pour réquisitionner la société israélienne elle-même » (Naomi Sussmann).
On perçoit donc à quel point les combats pour la démocratie et pour mettre un terme politiquement accepté à l’occupation sont étroitement intriqués. Il importe plus que jamais que la protestation citoyenne, même si elle ne fait pas de la fin de l’occupation un cheval de bataille, aboutisse à un changement de gouvernement, condition préalable et indispensable à un changement de politique. Préserver, restaurer, améliorer la démocratie reste le plus sûr moyen de sortir par le haut et à horizon le plus proche possible d’un conflit dont les victimes l’emporteront sur les vainqueurs.
« Rien n’est jamais acquis » …
(1) Qu’on ne vienne pas hurler à l’antisémitisme de la part de l’UE qui va investir prés de 900 M d’euros en Israël, pour le dessalement et d’autres projets verts (150 millions d’€ à une usine de traitement des eaux, 500 millions d’€ à des projets d’entreprises vertes, 250 millions d’€ pour le métro léger de Tel Aviv).