Israël est loin d’être prêt à commémorer le 7 octobre
Chaque survivant doit être entendu, vu, respecté et recevoir réparation. Les dirigeants doivent faire amende honorable. Alors seulement, nous pourrons commencer à élaborer une mémoire commémorationnelle.
Dimanche dernier, nous avons accompagné nos enfants à l’école après de longues vacances, vêtus de chemises blanches en l’honneur d’une nouvelle journée de commémoration des victimes du massacre du 7 octobre et des personnes tuées dans le cadre de l’opération « Glaives de Fer ».
Mais pourquoi ? N’avons-nous pas déjà commémoré le 7 octobre ? Je me souviens très bien qu’il y a déjà eu, le 7 octobre 2024, une cérémonie populaire à Tel-Aviv à 19h organisée par les familles des otages et les survivants du festival de musique Nova, puis d’une cérémonie officielle préenregistrée, diffusée par l’État.
Et nous voilà de nouveau une nation en deuil, de samedi soir à dimanche soir, avec une cérémonie officielle en fin de matinée, sous l’égide du ministère de la Défense pour honorer les soldats tombés au combat, et une cérémonie officielle dans l’après-midi, pour honorer les victimes civiles du massacre perpétré par le Hamas.
Les mesures mises en place pour cette journée – fermeture des lieux de divertissement, drapeaux en berne, allumage de bougies commémoratives, port de chemises blanches et cérémonies dans les écoles – font écho aux célébrations israéliennes de la journée de commémoration de la Shoah (Yom HaShoah) et de la journée de commémoration des soldats tombés au champ d’honneur (Yom HaZikaron). Ces symboles familiers ont été adoptés afin que les élèves ne soient pas « désorientés » ; et les adultes non plus.
En tant que chercheuse spécialiste du processus de justice transitionnelle, je constate que nous essayons de courir un marathon avant même de pouvoir nous tenir debout. Le fait que nous ayons besoin de quatre cérémonies de commémoration différentes cette année, à deux dates différentes, est un signe clair que quelque chose ne va pas. Comme si les responsables voulaient appuyer sur le bouton « avance rapide », et passer en mode « mémoire », sans s’occuper de ce qui s’est réellement passé. Cela ne fonctionnera pas.
Prenons les premières célébrations de Yom HaShoah, de 1946 à 1953, date à laquelle Yad Vashem, le mémorial des victimes de la Shoah, a été créé. Ces jours de commémoration ont été associés à deux jours jeûne, Tisha B’Av et d’Asarah B’Tevet, parce que les survivants socialistes et communistes ne parvenaient pas à se mettre d’accord avec les autorités religieuses sur une date à laquelle tout le monde se sentirait entendu et vu, et qui correspondrait à la fois au calendrier grégorien et au calendrier juif.
Notre guérison collective et nationale de la Shoah a commencé avec le procès de Nuremberg, en 1945, des hauts responsables nazis devant un tribunal militaire international, puis le procès en Israël en 1961 de l’architecte de la Shoah, Adolf Eichmann. Ces deux procès répondaient à des objectifs juridiques et sociologiques différents.
Le procès de Nuremberg a poursuivi les auteurs nazis avec des témoins civils préenregistrés, ainsi qu’avec des témoins en direct et la couverture médiatique internationale des Alliés.
Le procès Eichmann a permis à plus d’une centaine de survivants de raconter en détail leur traumatisme, avec une couverture complète par la radio israélienne et de nombreux médias internationaux.
Nous avons ensuite reçu une indemnisation de l’Allemagne après les accords de Luxembourg de 1952, ouvrant ainsi la voie aux « shilumim » – les réparations versées aux survivants, qui ont à leur tour suscité des vagues de protestations et de débats passionnés entre les partisans de l’accord conclu par le gouvernement de David Ben Gourion, et ceux qui dénoncaient cet accord perçu comme infâme par Menachem Begin.
Par la suite, l’Allemagne de l’Ouest a présenté ses excuses pour la Shoah et, bien plus tard, en 1970, Willy Brandt s’est spontanément agenouillé en signe de contrition devant le monument aux héros du ghetto de Varsovie. Nous avons travaillé avec l’Allemagne de l’Ouest pour corriger leurs livres d’histoire pour la prochaine génération. Nous avons également veillé à les inviter à la commémoration de Yom HaShoah à Yad Vashem. Dans ces interstices de temps, nous nous sommes réconciliés, consciemment ou inconsciemment, en tant que peuple et nation. Nous avons trouvé une façon de commémorer les défunts qui convient à la plupart d’entre nous. Presque tous les Israéliens restent immobiles pendant les deux minutes de sirène lors de la journée de commémoration de la Shoah : nous nous sentons inclus et vus dans cette commémoration.
Le processus de justice transitionnelle, qui vise à restaurer la cohésion sociale et la confiance dans les institutions nationales, passe par une série d’étapes :
- procès et commission de vérité pour les responsables,
- paiement de réparations,
- excuses officielles,
- révision des livres d’histoire,
- création de musées,
- et journée annuelle de commémoration.
Ces étapes doivent se dérouler chronologiquement.
Nous avons évidemment, d’abord, besoin d’un procès internationalement médiatisé des auteurs du massacre, le Hamas, pour crimes contre l’humanité, ainsi que d’une commission de vérité sur l’échec national des responsables politiques et militaires avant et pendant le massacre.
La commission d’enquête préconisée par le député Yair Lapid et l’ex-Premier ministre Naftali Bennett est une bonne chose, mais elle est terriblement insuffisante. Nous avons besoin d’une commission de vérité au sein de laquelle les survivants, les otages qui sont revenus, les familles déplacées, les vétérans de l’armée, les veuves et les orphelins pourront raconter leur histoire.
Tous ceux qui étaient responsables de la sécurité le 7 octobre doivent entendre ces récits et faire amende honorable. Ils doivent montrer qu’ils se sentent profondément responsables d’entendre tout cela. Et nous, en tant que société, devons entendre et écouter ces histoires terribles pour partager ce fardeau, cette douleur, avant même de commencer à commémorer nos proches disparus.
Les personnes qui ont raconté leur histoire doivent ensuite recevoir des indemnités de la part de l’État pour leur réadaptation. Une unité spécifique doit être entièrement financée par l’État pour aider les civils et les anciens combattants souffrant du syndrome de stress post-traumatique, une tâche qui peut souvent leur sauver la vie. Ces survivants doivent recevoir des compensations et des réparations pour les aider à supporter la charge financière de leur réhabilitation. Il en va de même pour les déplacés depuis un an.
Après ces deux étapes – et seulement après ces deux étapes – il faut des excuses officielles sincères pour les erreurs commises le 7 octobre. Les excuses officielles présentées dimanche par le président Isaac Herzog constituent un excellent premier pas, mais des excuses véritablement apaisantes, validant explicitement le récit des survivants et faisant preuve d’une plus grande contrition, sont nécessaires de la part de l’ensemble de l’échelon politique et militaire.
Les études sur la justice transitionnelle nous enseignent que tant que les dirigeants politiques et militaires d’Israël ne mèneront pas une commission d’enquête sur leurs propres échecs, ainsi qu’une commission de vérité pour les survivants, et tant que des réparations officielles et organisées ne seront pas versées, nous aurons du mal à nous mettre d’accord sur la manière de commémorer ceux qui sont morts le 7 octobre et pendant la guerre des “Glaives de Fer”. Ce n’est qu’alors que les différents types de survivants se sentiront vus, entendus, respectés, honorés et égaux. Le fossé insupportable entre les citoyens et les dirigeants sera comblé. Nous avons besoin d’une guérison collective des traumatismes collectifs.
Article paru sur les pages « Ops & Blogs » du Times Of Israel en Anglais le 30/10/2024.