Israël en route vers une théocratie

Les élections ont eu lieu et les Israéliens ont choisi en toute indépendance. Tous les ingrédients d’un régime théocratique se mettent en place. Les religieux, de toutes tendances, ont imposé leur présence politique en Israël et vont soumettre leurs diktats à une population qui croit toujours en la démocratie.
Près de 30% des nouveaux députés sur 120 sont des religieux de toute obédience. Les religieux sionistes, les orthodoxes séfarades, les orthodoxes ashkénazes et les religieux d’extrême-droite auront la main sur un pays qui croyait en la laïcité et au modernisme.
Les craignant-Dieu vont pousser Israël vers un anachronisme issu des shtetels polonais d’avant-guerre. Les Séfarades se sont engouffrés dans cette voie en abandonnant leur spécificité qui faisait d’eux des hommes de notre époque et en adoptant des us et coutumes d’un autre temps, par mimétisme. Certes le vote libre marque la bonne santé démocratique du pays, mais le découragement s’est emparé d’une bonne partie des Israéliens qui se voient retourner un siècle en arrière.
A l’heure où ces lignes sont écrites, le résultat final n’est pas publié mais il ne fait aucun doute que la victoire reviendra à Benjamin Netanyahou. On raillait les Iraniens mais Israël les imite en choisissant la théocratie avec la mise à l’écart des femmes, à une ou deux exceptions près.
Les nouveaux dirigeants imposeront le tout-religieux, l’identité purement juive excluant les Arabes et les Juifs issus d’un mariage mixte, rejetés comme des pestiférés. Netanyahou a accepté de se compromettre avec des hommes politiques qu’il a toujours combattus mais il avait besoin de leurs voix pour échapper à son procès pour corruption.
En 1977, l’idéologie nationaliste avait écarté les Travaillistes historiques mais Menahem Begin était alors un enfant de chœur par rapport aux nouveaux va-t-en-guerre à qui Netanyahou a fait la courte échelle. Il n’aurait jamais accepté cette situation inédite. La Justice va être démantelée et il n’y aura plus de garde-fou pour les excès de certains députés totalement illuminés.
Les citoyens arabes vont souffrir car aucune loi ne les protègera dès lors qu’ils seront tous considérés comme des terroristes en puissance. Theodor Herzl, David Ben Gourion et même Menahem Begin vont se retourner dans leurs tombes car ils n’ont jamais cru à un tel État théocratique. Israël se bat en permanence pour ne pas être qualifié de pays d’apartheid mais avec ces nouveaux venus, il ne pourra pas échapper à cette horrible accusation.
Netanyahou n’aura aucun mal à constituer son gouvernement mais il sera l’otage d’un Ben Gvir qui voudra en découdre après sa victoire inespérée. Le premier ministre n’est certes pas dirigeant à se laisser conter mais le clash finira par l’emporter. Il est probable, comme Bezalel Smotrich l’avait révélé dans un enregistrement volé, que Mansour Abbas et ses cinq députés seront associés au gouvernement pour faire contrepoids avec les extrémistes de droite. Il faudra donc s’attendre à des conflits internes et à des guerres de chapelle au sein de la coalition, à une guérilla politique où seule la loi du plus fort régira les décisions.
Les Israéliens méritaient mieux. Il n’est pas nécessaire de faire de procès d’intention. Des accords internationaux seront annulés comme celui signé avec le Liban alors que nous entrons dans une période instable : la guerre d’Ukraine menace l’équilibre mondial, l’Iran rode dans la région, la situation économique laisse entrevoir des jours difficiles face à la crise dans le hightech, l’inflation et la hausse des prix vont frapper les classes défavorisées responsables de l’élection de Bibi. Une seule certitude, la démocratie israélienne est la seule gagnante de cet épisode.
Article initialement publié dans Temps et Contretemps.