Israël : comment se taire face aux accusations de génocide imaginaire ?

De gauche à droite : Dr. Tal Becker, le professeur Malcolm Shaw KC, Dr. Gilad Noam et Dr. Galit Raguan assistant à l’audience dans l'affaire portée devant la Cour internationale de justice dans laquelle l'Afrique du Sud accuse Israël d'avoir commis un génocide dans sa guerre contre le Hamas à Gaza, à La Haye , le 12 janvier 2024. (Crédit : Cour internationale de justice)
De gauche à droite : Dr. Tal Becker, le professeur Malcolm Shaw KC, Dr. Gilad Noam et Dr. Galit Raguan assistant à l’audience dans l'affaire portée devant la Cour internationale de justice dans laquelle l'Afrique du Sud accuse Israël d'avoir commis un génocide dans sa guerre contre le Hamas à Gaza, à La Haye , le 12 janvier 2024. (Crédit : Cour internationale de justice)

Depuis plusieurs mois, une campagne d’une intensité grandissante accuse Israël de génocide dans la bande de Gaza. Sur les campus des universités américaines et dans les écoles dites de « sciences politiques » françaises, on entend l’accusation scandée à l’envi en même temps que, par un paradoxe singulier, une carte est brandie d’un futur État palestinien du Jourdain à la mer, qui condamne l’État hébreu à la disparition. Ce mouvement où fraternisent militants d’extrême gauche et islamistes dans une nouvelle sainte alliance rouge-verte n’a rien de nouveau, ni de véritablement surprenant. Depuis des années, il occupe une partie de l’espace public où il laisse libre cours à des discours qu’on imaginait ne jamais entendre.

L’une de ses manifestations les plus spectaculaires et les plus odieuses s’est produite dès le lendemain du grand pogrom planifié du 7 octobre, perpétré en Israël par les Einsatzgruppen du Hamas, quand des voix sortant de ses rangs comme des mauvais génies se sont élevées pour contester le caractère terroriste des crimes commis et les travestir en actes de résistance armée.

Nul ne doit se méprendre sur la logique de cette rhétorique, qui transforme les victimes d’hier en bourreaux d’aujourd’hui et efface les crimes réels du passé par les crimes imaginaires du présent. Nul ne peut ne pas entendre, dans les harangues des procureurs d’estrade et autres tribuns de fête foraine qui œuvrent à cette manipulation, le chant funèbre d’un nouvel antisémitisme dissimulé derrière l’antisionisme. Nul ne peut ignorer, et surtout négliger, la gravité de cette propagande qui met en grand danger les Juifs du monde entier sous couvert de leur soutien réel ou supposé à Israël et répand en France et sur le monde le pire des maux de l’esprit.

Une accusation aberrante

Le droit constitue l’un des terrains de prédilection de cette campagne comme le démontrent les actions judiciaires menées çà et là, dont la procédure incroyable engagée le 29 décembre 2023 devant la Cour pénale internationale par l’Afrique du Sud contre l’État d’Israël sous l’incrimination de la violation de la Convention contre le génocide. On connaît le sort réservé par la Cour à cette action, bien qu’on puisse redouter que l’ambiguïté de la décision rendue encourage de nouvelles initiatives du même genre, qui chercheront à pendre Israël au sommet de la pyramide criminelle où siègent les grands crimes de masse comme des monstres noirs assemblés.

Qualifier de génocide l’opération menée par l’armée israélienne contre le Hamas à Gaza ne relève pas seulement de la manipulation politique, elle ne témoigne pas seulement d’amalgames scandaleux, elle ne répond pas seulement à une stratégie qu’on soupçonne téléguidée de l’étranger, mais elle constitue encore une véritable aberration.

Le génocide est la quintessence, le summum, l’expression accomplie de l’inhumanité. Rien ne vient au-dessus, rien ne le supplante, rien ne l’égale. Il est le crime des crimes. Les tragédies qui portent sa couronne d’épines sont les plus monstrueuses. Elles défient l’entendement et laissent sur le corps meurtri de peuples qu’elles frappent et sur leurs âmes déchirées une plaie à jamais béante.

Des accusations qui visent à priver les Juifs de leur histoire

Par-delà leur singularité, ces tragédies ont un même sens, elles procèdent d’une même logique, elles obéissent à un même principe et appartiennent à une même catégorie. « Le crime de génocide, écrit le juriste juif polonais Raphael Lemkin, qui en a forgé le concept et l’a utilisé dans son livre Axis Rule in Occupied Europe, paru en 1944, implique un large éventail d’actions, […] subordonnées à l’intention criminelle de détruire ou d’invalider définitivement un groupe humain » où « les actes sont dirigés contre des groupes, comme tels, et où des individus sont choisis pour être détruits seulement parce qu’ils appartiennent à ces groupes ».

Le génocide est un crime d’essence, un crime ontologique, qui vise les victimes en tant qu’elles sont ce qu’elles sont et appartiennent à un groupe national, ethnique, racial ou religieux qu’il s’agit d’éradiquer en tant que tel. Le génocide exige d’établir une intention avérée de détruire, d’anéantir, de supprimer. Tous les textes sur le génocide depuis le livre fondateur de Lemkin, qu’il s’agisse de la Résolution de 1946 de l’Assemblée générale des Nations unies, de la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, des statuts des tribunaux internationaux ad hoc pour l’ex-Yougoslavie (1993) et le Rwanda (1994), de la Cour pénale internationale (1998) et de nombre de législations nationales, dont la française (1994), contiennent la même idée, tournent autour de la même notion.

Les 1,5 million d’Arméniens massacrés en 1915 et 1916 en Turquie le furent délibérément comme tels. Les cinq à six millions de Juifs exterminés entre 1940 et 1945 en Europe le furent délibérément comme tels. Les huit cent mille Tutsis décimés d’avril à juillet 1994 au Rwanda le furent délibérément comme tels. Chaque fois, les massacres des peuples victimes n’avaient d’autre but que leur éradication. Chaque fois, c’est leur être même qui scella leur effroyable destin.

Rien de ce qui se passe dans la bande de Gaza ne s’apparente à ces crimes abominables. Rien qui ressemble à un génocide au sens où ce terme doit être entendu. L’armée israélienne n’est pas entrée dans Gaza dans le but d’exterminer la population palestinienne, mais pour traquer et éliminer les terroristes du Hamas et libérer les otages capturés lors de leur expédition sanglante du 7 octobre qui, elle, en revanche n’avait d’autre objectif, d’autre but que de massacrer des Israéliens.

Gaza n’est pas le ghetto de Varsovie, comme l’a déclaré imprudemment un responsable politique français d’ordinaire, avant de se rétracter devant l’énormité de son propos. Les camps palestiniens ne sont ni de concentration ni d’extermination, mais des camps de réfugiés où tente de s’organiser une aide humanitaire qui ne connaît d’obstacles que l’exigence des opérations menées par Tsahal contre le Hamas. Les bombardements qui ont lieu au cours de ces opérations ne visent pas les civils, même si certains en sont des victimes collatérales inévitables dans une proportion jamais établie avec exactitude. Ces bombardements précédés d’avertissements à la population pour lui en épargner les conséquences ne participent pas plus d’un génocide que ceux des Alliés sur les villes allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale.

En un mot, l’armée israélienne ne mène pas à Gaza une entreprise délibérée, planifiée d’anéantissement des Palestiniens. On peut penser ce qu’on veut de la situation à Gaza, on peut déplorer le sort des populations, mais on ne peut pas en dire ce qui n’est pas.

Le but des accusations des activistes propalestiniens contre Israël n’est pas seulement de dédouaner le Hamas de ses crimes sur le mode du tu quoque (toi aussi) lancé à la face des Alliés par les grands criminels nazis. Il est de dépouiller les Juifs de leurs manteaux d’abominables souffrances, de les priver de leur histoire à jamais tragique et d’ouvrir grandes les portes de leur future persécution.

Comment imaginer laisser faire ? Comment se taire ?

Tribune parue sur LE POINT le 10/05/2024. Avec l’aimable autorisation de l’auteur.

à propos de l'auteur
Avocat au Barreau, Michel Laval a plaidé dans de nombreux procès correctionnels et d’assises. Il a conseillé, assisté et défendu de nombreux organes de presse et des personnalités du monde intellectuel et artistique dont l’essayiste et académicien Alain Finkielkraut et l’historien Georges Bensoussan, pour lequel il a obtenu la relaxe dans le procès intenté contre lui en France pour provocation à la haine par le parquet de Paris, le CCIF, la Ligue des droits de l’homme, la Licra et le MRAP. Il est également avocat de parties civiles dans plusieurs procès criminels en France contre des personnes accusées de génocide et crimes contre l’humanité. Il poursuit également une activité d’essayiste et a publié de nombreux articles et tribunes ainsi que plusieurs ouvrages dont certains plusieurs fois couronnés.
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