Israël 75 ans, naissance d’une « Gas Nation »
La réussite économique d’Israël ne fait pas de doute ; en soixante-quinze ans d’existence, l’Etat juif s’est hissé dans le peloton de tête des pays occidentaux pour son développement et le niveau de vie de sa population.
Il semble même qu’à 75 ans, Israël connaisse une nouvelle naissance ; l’année écoulée a été riche en bouleversements, tant économiques que géopolitiques, qui ont fait basculer l’Etat juif dans une ère nouvelle, celle de la « Gas Nation ».
Certes, le secteur des hautes technologies a encore un bel avenir devant lui. C’est grâce à son dynamisme que l’économie israélienne s’est redressée après la pandémie de Covid-19 et a bien résisté à l’impact économique de la guerre en Ukraine.
Il est hors de question de minimiser l’apport des hautes technologies à l’économie d’Israël ; selon le rapport 2022 de l’Autorité de l’Innovation, le secteur de la technologie contribuait pour 15% du PIB israélien, 25% des recettes fiscales du pays et 54% de ses exportations alors qu’il occupait 10% de sa population active.
Mais en 2023, la « Start-up Nation » n’est plus ce qu’elle était ; le poids du secteur de la haute technologie dans l’économie israélienne commence à stagner alors qu’une nouvelle activité est en train de supplanter la high tech pour devenir le moteur de l’économie : le gaz naturel.
Puissance énergétique
Jusqu’au début de la dernière décennie, Israël était totalement dépendant des importations étrangères pour son énergie. Ce n’est qu’en décembre 2010 qu’un champ gazier de grande capacité a été découvert au fond de la Méditerranée, près des côtes israéliennes : le gisement Léviathan marquera le début de la « révolution gazière » en Israël.
Après une décennie de recherche et d’exploitation, l’Etat juif est bien devenu une puissance gazière ; désormais, le pays exploite plusieurs champs gaziers, notamment Tamar et Tanine, alors que d’autres gisements sont en cours d’exploitation comme Karish.
Au début 2023, Israël se retrouve à la tête de réserves prouvées qui sont estimées à mille milliards de mètres cubes ; chiffre encore provisoire puisque les recherches se poursuivent et d’autres gisements seront dans doute mis à jour dans les eaux territoriales et économiques d’Israël.
Or les capacités de production sont largement supérieures aux besoins du pays ; en 2022, Israël n’utilisait pour sa consommation intérieure que 1% de ses réserves (12 milliards de mètres cubes par an). Certes, les besoins augmentent puisque le pays est en train de remplacer le pétrole et le charbon par du gaz ; selon le dernier rapport annuel de l’Autorité de l’Electricité, 76% de l’électricité du pays sera produite à partir du gaz d’ici à 2025.
Position géopolitique
Rapidement, les dirigeants israéliens ont compris que les excédents de gaz pourraient être exportés, fournissant des devises aux caisses de l’Etat, mais pas seulement ; l’exportation du gaz allait transformer le pays en une puissance gazière, d’abord régionale puis internationale. Une façon d’appliquer la vision de Ben Gourion qui aimait dire que « celui qui ne croit pas au miracle n’est pas réaliste ».
Les premières exportations de gaz israélien ont démarré en 2016 en direction de la Jordanie, puis en 2019 vers l’Egypte ; Israël fournit à ses deux voisins environ 5 milliards de mètres cubes de gaz naturel par an.
Mais le tournant a eu lieu l’année de son 75e anniversaire : en février 2023, Israël a exporté pour la première fois du gaz naturel vers l’Europe ; extrait du champ gazier offshore de Karish, ce condensat de gaz a définitivement fait entrer Israël dans le club des pays exportateurs internationaux d’énergie.
La guerre en Ukraine a été pour quelque chose dans la naissance de la « Gaz Nation » : le gaz russe a commencé à se tarir, poussant de nombreux pays en Europe et dans le monde à se tourner vers d’autres producteurs comme Israël. Des marchés plus lointains se sont ouverts au gaz israélien, renforçant la position régionale d’Israël.
Désormais, la Turquie rivalise avec l’Egypte pour faire transférer le gaz israélien par un gazoduc sur son territoire puis en direction des consommateurs européens. Le Liban aussi a compris l’importance économique de l’exploitation gazière, signant à l’automne 2022 avec Israël un accord qui délimite leur frontière maritime et assure la répartition des gisements gaziers offshores communs aux deux pays.
Convoitises internationales
Très vite, le potentiel gazier d’Israël va susciter les convoitises internationales ; les Accords d’Abraham conclus en 2020 entre Israël, les Émirats arabes unis (EAU) et Bahreïn, ont largement contribué à renouer et à officialiser les relations économiques avec le monde arabe, y compris dans le domaine de l’énergie.
C’est ainsi qu’en 2021, le fonds d’investissements Mubadala des EAU a acheté 22% du capital du gisement israélien Tamar pour la somme d’un milliard de dollars ; en mars 2023, la compagnie pétrolière des Emirats (Abu Dhabi National Oil Company) a présenté une offre de rachat de 23% du champ Léviathan en échange de deux milliards de dollars.
Certes, on peut regretter de voir les fleurons gaziers d’Israël passer sous pavillon étranger (américain, britannique, français et, plus récemment, arabe) ; c’est le choix des gouvernements israéliens qui, depuis plus d’une décennie, ont décidé de ne pas investir dans l’exploitation gazière, laissant les capitaux étrangers s’en approprier et en retirer de substantiels profits.
Toujours est-il qu’à l’heure où Israël célèbre son 75e anniversaire, un véritable tournant est en train de s’opérer dans les capacités industrielles du pays ; la « Gaz Nation » supplante la « Start-up Nation ».
Reste à espérer que la prochaine décennie d’Israël soit consacrée à la promotion des énergies renouvelables (soleil et vent), ce qui permettrait d’accélérer la transition verte…