Islamo-gauchisme : plus qu’un slogan ?

Alors que tout Israël attend le verdict du deal iranien avec Trump, je me suis senti pressé de publier un poste qui traîne depuis des mois, sur l’alliance, a priori contre nature, de la gauche libérale et des islamistes.
J’essaie ici de creuser les causes, des plus évidentes aux plus profondes, en espérant donner des pistes de réflexions et des ressources pour les débats enflammés.
Dire que LFI est devenu un allié des islamistes est devenu presque banal – mais ce constat n’en est pas moins grave.
Je ne compte plus le nombre de conversations avec des Juifs de gauche qui se sentent trahis par cette nouvelle gauche.
La radicalisation de la gauche, loin d’être un phénomène français, traverse tout l’Occident. Aux États-Unis, les rares figures démocrates pro-israéliennes comme le sénateur Fetterman sont marginalisées.
Alors, comment la gauche et les groupes LGBTQIA+ en sont-ils venus à soutenir le Hamas, les Frères musulmans et plus largement à se ranger du côté de l’axe iranien ?
Une gauche aveugle à la question religieuse
Tout d’abord, la gauche a toujours sous-estimé la question religieuse, expliquant la foi comme un simple produit des conditions sociales et économiques.
Si quelqu’un affirme croire en Dieu ou paradis ou ce serait le fruit de sa précarité socio-économique, qui l’empêcherait d’accéder à la « véritable » information.
Mais cette explication est partielle. Elle ne prend en compte que la partie occidentale du problème. L’alliance entre cette gauche woke et les Frères musulmans ne relève pas du hasard. Elle ignore que certains penseurs musulmans ont intégré des concepts marxistes pour donner aux mouvements islamistes un langage moderne, séduisant et exportable.
L’un des plus influents est Ali Shariati. En combinant chiisme révolutionnaire et rhétorique marxiste, il a permis à l’islam politique de se doter d’un récit idéologique puissant.
Ali Shariati, idéologue du martyr
Mort en 1977, Shariati est l’un des pères intellectuels de la révolution iranienne. Il a inspiré une jeunesse avide de changement en articulant islam, justice sociale et lutte anti-impérialiste.
Sans s’en revendiquer officiellement, de nombreux intellectuels musulmans ont repris sa doctrine du martyr, développée dans Martyrdom: Arise and Bear Witness.
Ce texte joue un rôle clé dans la construction idéologique du martyr en tant qu’idéal révolutionnaire. Il y érige Ali en modèle absolu, transformant la mort sacrificielle en un acte politique de résistance ultime contre l’oppression.
Bien que son discours soit enraciné dans le chiisme, Shariati élargit le concept de martyre pour en faire une valeur universelle, applicable à toutes les luttes contre l’oppression, qu’elles soient religieuses ou non.
Dans ce texte, la dialectique oppresseurs/opprimés est délibérément mise en avant, et l’influence marxiste s’y fait fortement sentir.
Les dogmatiques s’associent facilement, même lorsque leurs dogmes s’opposent.
Il universalise le martyre : toute lutte contre l’oppression devient noble, qu’elle soit religieuse ou non. Cette lecture dialectique, nourrie de marxisme, rend la cause lisible pour des militants modernes.
Imam Husayn n’est plus le descendant de Jésus, mort pour l’absolution, mais Che Guevara, éternel révolutionnaire.
Une convergence idéologique entre gauche radicale et islamisme
En reprenant les dialectiques marxistes et en étant massivement relayée par la propagande islamiste, cette pensée fournit aux militants de gauche des repères qui leur sont familiers. Ils retrouvent leur vision manichéenne du monde, opposant les dominants aux dominés.
Ce qui semble une alliance contre-nature entre laïcs progressistes et fondamentalistes religieux devient logique dès lors qu’ils se retrouvent autour d’un ennemi commun : l’Occident, le capitalisme, et Israël, le » Juif des nations ».
Déjà dans les années 1930, bien avant la création de l’État d’Israël, les pamphlets antisémites[1] présentaient les Juifs comme des dominateurs, manipulateurs, œuvrant dans l’ombre pour établir notre contrôle sur le monde.
Aujourd’hui, cette vision est recyclée dans un cadre postcolonial : Israël est présenté comme l’oppresseur absolu, oppresseur de surcroît « blanc » et « impérialiste », bien que cette lecture ne corresponde ni à l’histoire[2] ni à la réalité démographique du pays[3].
L’islam politique, en intégrant la rhétorique marxiste, a su capter les courants révolutionnaires occidentaux en leur offrant un ennemi commun : l’Occident, le capitalisme, et bien sûr Israël, comme figure symbolique de cette oppression.
Ainsi, sous couvert d’anti-impérialisme, des militants progressistes soutiennent des régimes et mouvements qui, une fois au pouvoir, appliquent les politiques les plus réactionnaires et liberticides.
Dis-moi ce dont tu accuses les Juifs et je te dirai ce dont tu es toi-même coupable. [Vassili Grossman]
Le nihilisme comme nouveau dogme
Mais cette convergence ne repose pas seulement sur une alliance opportuniste. Elle est aussi le symptôme d’une perte de repères philosophiques.
Le nihilisme moderne fonctionne aujourd’hui comme une nouvelle religion dogmatique. En rejetant les repères traditionnels, il laisse place à de nouvelles formes d’absolutisme idéologique.
Ce nihilisme, c’est l’effacement de toute transcendance, au profit d’un engagement militant où l’ennemi tient lieu de croyance.
Les laïcs de gauche, les LGBTQIA+, enracinés dans leurs réflexes intellectuels, se retrouvent ainsi manipulés par la propagande islamiste et finissent, sans le voir, dans le camp de ceux qui, une fois au pouvoir, les éliminent.
Durkheim affirmait que la religion est un fait social inévitable qui structure les sociétés.
Nietzsche nous avait prévenus : le laïcisme et l’athéisme militant sont des « nouvelles tables » de la loi, une nouvelle forme de foi avec un caractère absolu et dogmatique.
Ainsi, ce n’est pas seulement une convergence d’intérêts qui explique cette alliance, mais une dynamique plus profonde, où des idéologies opposées fusionnent dans leur rejet commun d’un « ennemi supérieur ». Les dogmatiques s’associent facilement, même lorsque leurs dogmes s’opposent. Ils partagent les méthodes et l’obscurantisme.
Et qui mieux que « le Juif des nations », Israël, pour unir les haines ?
Conclusion : une lutte d’influence idéologique
L’héritage de Shariati montre comment l’islamisme a su recycler des concepts marxistes pour séduire une partie de l’occident laïc.
Cette confusion idéologique pousse certains à soutenir, par réflexe anti-occidental, des forces qui les combattraient s’ils vivaient sous leur joug. C’est un piège : sous couvert de justice sociale, se propagent des idées qui sapent les fondements mêmes de la liberté.
Nous avons donc la responsabilité de mener un combat idéologique majeur contre la diffusion d’un islamisme conquérant, armé de concepts occidentaux détournés à son profit.
Il faut refuser les raccourcis, sortir des schémas oppresseurs/opprimés, et retrouver l’exigence de penser clairement.
Pour creuser
- John Fetterman en parle au micro de Dan Senor, dans le podcast Call me Back.
- Jean Birnbaum, journaliste du journal Le Monde, développe dans Un Silence religieux le thème de l’incapacité pour la gauche socialiste d’appréhender la question religieuse, la renvoyant systématiquement à une cause socio-économique
- L’essai Martyrdom: Arise and Bear Witness de 54 pages est passionnant, bien écrit et disponible en ligne ici.
- Vassili Grossman, Vie et destin
- Emile Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse
- Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra , troisième partie
Article publié sur Lignes de clarté le 22/04/25.
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[1] Par exemple faux antisémite : le Protocole des Sages de Sion
[2] Peuplement de la Palestine
[3] En Israël, sur 9,5 millions d’habitant, les Juifs séfarades (originaires d’Afrique du Nord, du Moyen-Orient et d’Asie) représentent 32% de la population (Institut national d’études démographiques) ; les Musulmans (Afrique du Nord, du Moyen-Orient) représentent 18% de la population(CIA) ; 148 700 sont d’origine Éthiopienne (2017).