Irresponsables

Pour le gouvernement, l’affaire est entendue : c’est l’armée qui serait responsable du fiasco du 7 octobre. L’enquête sur le martyr subi par le kibboutz Beeri le confirmerait amplement : face aux centaines de terroristes, les défenseurs n’étaient que quelques dizaines pour protéger 1000 habitants; les renforts sont arrivés trop tard, laissant au Hamas le temps de tuer 101 innocents, de prendre 30 otages (11 sont encore détenus) et de détruire 150 maisons. Quelques hélicoptères sont intervenus, mais pas l’armée de l’air.
En clair, après la faillite des services de renseignement, les unités combattantes n’auraient pas été au niveau. Le constat ne souffre guère de critiques. Du moins en apparence, si l’on s’en tient aux seules explications techniques.
Car une catastrophe de cette ampleur a forcément une dimension politique. Si l’armée était si peu présente dans le sud du pays, c’est qu’elle était ailleurs : à une centaine de kilomètres, dans une Cisjordanie en proie à un regain du terrorisme, et où la tension s’exacerbait entre les colons et la population palestinienne.
Pour protéger les colonies légales ou illégales, pour s’interposer entre les deux populations dans les endroits critiques, l’armée dut mobiliser de plus en plus de troupes : 25 bataillons dès le début de l’été 2023, contre 13 auparavant. L’objectif politique de cette inégalité de traitement entre les deux territoires était transparent : abandonner Gaza au Hamas, pour mieux préparer l’annexion rampante de la Cisjordanie en attendant le jour béni de son annexion de jure.
Le grand penseur de cette sainte entreprise, Bezalel Smotrich, lors de la campagne pour les élections du 1er novembre 2022, l’avait dit crûment à ses partisans : « L’AP est notre fardeau, le Hamas est notre chance ». L’exemple venait de haut. Benjamin Netanyahu lui-même s’était montré très explicite devant le groupe parlementaire de son parti en mars 2019 :
« Quiconque veut contrecarrer la création d’un État palestinien doit soutenir le renforcement du Hamas et lui envoyer de l’argent. Cela fait partie de notre stratégie visant à isoler les Palestiniens de Gaza de ceux de Judée et de Samarie ».
Les habitants du sud du pays payèrent au prix fort ce choix délibéré. Cela n’empêche pas le Premier ministre d’en rajouter en imputant aussi à l’armée l’absence d’avancée dans les négociations pour ramener les otages : « Il n’y a eu aucun progrès pendant plusieurs mois parce que la pression militaire n’était pas assez forte ».
Le pouvoir politique, soucieux d’échapper à toute critique, entend aussi retarder au maximum la formation d’une Commission nationale d’enquête qui pourrait s’affranchir des seules explications techniques pour poser les questions qui fâchent, à des dirigeants irresponsables .