Iran, Russie, l’imbroglio des sanctions, quels résultats

Le président russe Vladimir Poutine, à gauche, le président iranien Ebrahim Raissi, au centre, et le président turc Recep Tayyip Erdogan au palais de Saadabad, à Téhéran, en Iran, le 19 juillet 2022. (Crédit : Sergei Savostyanov, Sputnik, Kremlin Pool Photo via AP)
Le président russe Vladimir Poutine, à gauche, le président iranien Ebrahim Raissi, au centre, et le président turc Recep Tayyip Erdogan au palais de Saadabad, à Téhéran, en Iran, le 19 juillet 2022. (Crédit : Sergei Savostyanov, Sputnik, Kremlin Pool Photo via AP)

Le président chinois, en sa qualité de dirigeant d’un pays qui représente un quart de l’humanité, a été reçu en grande pompe par la République Française. En même temps Mme von der Leyen présidente de la Commission de l’UE, invitée elle aussi pour créer l’ambiance adéquate, avertissait Pekin que l’Union Européenne utiliserait toutes ses armes économiques afin que nos industries puissent bénéficier d’une réciprocité d’accès au marché chinois, telle qu’en jouissent les entreprises chinoises en Europe et pour se protéger des pratiques commerciales agressives de la Chine ! Ce qui reste une démonstration platonique du deux poids dans la démesure. On n’en est plus à une déclaration près, il est vrai.

En même temps, pour impressionner le visiteur avant le dîner, on annonce qu’on va augmenter les sanctions contre l’Iran et la Russie. Cette dernière est soumise à plus de cinq mille sanctions différentes (l’état, les entreprises, les responsables politiques, les oligarques, les institutions financières, les industries militaires) ce qui la place en tête de liste, loin devant l’Iran, ou Cuba ou le Venezuela[1].

Enfin, on découvre qu’il existe au sein de la Commission un Monsieur-sanctions-de-l’UE, David O’Sullivan qui a fait une longue carrière au sein des institutions européennes. Son rôle depuis 2023, est d’intervenir auprès des pays qui facilitent le détournement des sanctions, notamment ex-soviétiques, pour les inciter à ne plus coopérer avec Moscou. Il ne semble pas que les résultats soient probants. La Commission peut ainsi se prévaloir de son action et communiquer à ce sujet.

Il existe sans doute quelques exceptions. La Turquie a fortement réduit ses exportations vers la Russie, devant la menace de sanctions financières contre ses entreprises industrielles et bancaires qui commercent avec Moscou. Malgré la menace, la Malaisie, l’Arménie, la Turquie, ont continué à fournir à la Russie des composants à double usage, qui représentent cependant moins de 5% des importations russes.

Les effets des sanctions

L’Iran subit ce régime depuis une quarantaine d’années. Elle s’est organisée. Pour l’essentiel, on constate que l’Asie en générale et l’Inde, n’appliquent pas vraiment les sanctions tant en ce qui concerne l’Iran que la Russie.

L’ancien Comecon de l’URSS n’est pas en reste. Il existe toujours une union douanière eurasiatique entre la Russie et les anciennes républiques de l’Asie centrale dont le Kazakhstan (qui a une frontière de plus de 7.500 km avec son voisin russe) le Kirghizstan, la Biélorussie, l’Arménie. Laquelle a augmenté ses importations de composants et de voitures allemandes de pratiquement 1000% en 2023. Ce sont autant de plaques tournantes utilisées par Moscou et l’Iran pour contourner l’embargo.

L’Iran ne vend pas de pétrole à la Chine. Mais, on découvre que la Malaisie exporte deux fois plus de pétrole qu’elle n’en produit. Elle devient le quatrième fournisseur de la Chine après l’Arabie Saoudite, la Russie, l’Irak. Cherchez l’erreur.

La Chine et les sanctions

La Chine a choisi de maintenir un niveau de relation élevé avec la Russie afin qu’elle reste un partenaire stratégique stable dans le temps. Face aux sanctions et pressions américaines et européennes, tout en prenant un maximum de précautions, Pékin continue de fournir à Moscou les composants dits à double usage. Ce qui signifie qu’on les trouve aussi bien dans des applications militaires que civiles. Moscou a même poursuivi des achats de matériels civiles contenant ce type de composants, pour les extraire à des fins militaires. Même si les volumes se réduisent, le flux ne s’arrêtera pas.

Vu de Pékin, la guerre en Ukraine contribue à détourner l’attention et les ressources occidentales de l’indo-pacifique, l’autre grand objectif de l’occident où Washington est définitivement perçu comme le concurrent stratégique majeur. Par conséquent, Pékin ne voit aucun avantage à tenir compte des demandes occidentales.

La poursuite de la guerre affaiblit l’Europe qui s’est engagée à fournir à l’Ukraine une aide croissante alors que son économie est en panne et que le marché américain a pris diverses mesures de protection, qui posent problème à l’Europe. De plus, les Etats Unis ne disposent pas de grandes capacités d’influencer la Chine sur ses relations avec la Russie.

Il n’en reste pas moins que le système légal américain lui permet de s’attaquer à des entreprises qui utiliseraient le Dollar dans des transactions réputées sous sanctions américaines. À ce titre, le Trésor Américain a déjà ciblé plus d’une centaine d’entreprises chinoises et leurs dirigeants pour les bloquer et les contraindre. Une liste déjà longue existe comprenant toutes les entreprises collaborant avec la Russie depuis le début du conflit. On peut donc s’attendre à ce que d’autres noms et entreprises s’ajoutent à la liste noire existante.

Le rôle essentiel de la Chine au soutien de l’industrie militaire russe

Depuis 2022, les exportations vers la Russie ont augmenté de près de 60%. La chine est devenue son premier fournisseur pour les biens de consommation, mais aussi pour les composants à double usage, objet des embargos et des contrôles mis en place en occident. Les statistiques sont restées disponibles à ce jour côté chinois, qui livre pour plus de 300 millions de dollars par mois de ces fameux composants considérés comme indispensables à la production d’armements.

Ce chiffre était pratiquement du double fin 2023. Selon les analystes occidentaux, la Russie aurait perdu des dizaines de milliers d’équipements : véhicules blindés, chars, drones, artillerie. La Chine lui procure en particulier de la microélectronique, des dispositifs optiques, des semi-conducteurs, des machines outils, des puces dans une technologie que la Russie ne maîtrise pas. Dans ces catégories, hautement sophistiquées, la Chine joue désormais un rôle-clé. Depuis le début du conflit, elle a triplé ses fournitures.

La suite des sanctions

Pour autant, la Chine ne bouleversera pas ses relations avec l’Europe. Le récent accueil réservé à son président par la France en témoigne. On ne doit pas sous-estimer les intentions chinoises en Europe. C’est ce que démontre la poursuite des visites du président Xi en Hongrie et Serbie et les liens tissés avec les pays qui ont adhéré au projet de la Route de la Soie.

Les armes économiques de l’Union Européenne

Réduire les importations de biens de consommation d’origine chinoise ? Cela peut se faire, au détriment des consommateurs qui ne trouveront plus de produit très bon marché en période d’inflation.

Ajouter de la TVA ou d’autres taxes sur l’importation de ces produits ? C’est possible. Le consommateur paiera la différence. Relevons qu’en matière d’exportations européennes ce serait l’Allemagne la plus pénalisée car la plus industrialisée.

La France pourrait priver les Chinois d’Airbus, de Cognac, de vins, de fromages, de voitures. La sanction serait plutôt pour les producteurs. Il suffit de regarder l’importance du déficit commercial français.

Ce qu’on ne vous dit pas :  En même temps, selon le fournisseur de données Kpler, la Russie est devenue le deuxième fournisseur de gaz liquéfié(GNL) de l’UE. Les importations en provenance de Russie représentaient 16 % de l’importation totale de l’UE en 2023, soit une augmentation de 40 % par rapport à la quantité vendue par la Russie à l’UE en 2021. Les volumes d’importation en 2023 étaient légèrement en baisse par rapport à 2022, mais les données du premier trimestre 2024 montrent que les exportations russes de GNL vers l’Europe ont de nouveau augmenté de 5 % sur un an. La France, l’Espagne et la Belgique sont des importateurs particulièrement importants. Ces trois pays représentaient 87 % du GNL entrant dans l’UE en 2023. Il y a bien sanctions et exceptions, mais sans publicité. L’Europe dépend actuellement essentiellement des Etats Unis et du Qatar. Cherchez l’erreur.

L’impact sur l’économie russe

En 2023, la croissance russe a été de 3,6 % (ministère russe des finances). Elle pourrait même la dépasser en 2024, pendant que l’Union Européenne essaye d’éviter la récession. Depuis 2022 se dessine un arc économique et stratégique constitué de la Russie, de l’Iran, de la Chine et de la Corée du Nord, qui ont également des appuis en Asie et en Afrique. A partir de là, tant que l’Europe ne sera pas à la hauteur de ses 450 millions de citoyens, parlant d’une seule voix au lieu des vingt sept actuelles, capable de prendre ses distances vis-à-vis des autres grands acteurs, elle ne pourra pas jouer le rôle auquel elle aspire. Les visites du président chinois dans plusieurs pays de l’UE en est une démonstration de plus. Cherchez l’erreur.

[1] Source : Castellum AI

à propos de l'auteur
Ancien cadre supérieur et directeur de sociétés au sein de grands groupes français et étrangers, Francis Moritz a eu plusieurs vies professionnelles, depuis l’âge de 17 ans, qui l’ont amené à parcourir et connaître en profondeur de nombreux pays, avec à la clef la pratique de plusieurs langues, au contact des populations d’Europe de l’Est, d’Allemagne, d’Italie, d’Afrique et d’Asie. Il en a tiré des enseignements précieux qui lui donnent une certaine légitimité et une connaissance politique fine.
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