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Interdire l’alyah aux Juifs de France ?

Selon Shmuel Triagno, le thème de la ‘’criminalisation’’ de l'alyah commence à faire son apparition en France

J’ai entamé il y a quelques semaines la recension du développement d’un thème idéologique et politique tout à fait nouveau en France – mais que les Juifs originaires du monde arabe, qui y ont connu les années 1950-1970, connaissent bien – et qui présente la potentialité ou la réalité de l’installation de Juifs français en Israël comme un acte menaçant, hostile et agressif. qu’il faudrait logiquement interdire. Dans de nombreux pays arabes où des communautés juives vivaient leurs derniers jours, ce thème inspira une politique, des lois que l’historien peut recenser en Egypte, en Irak, en Libye, au Maroc, etc.

Or nous voyons apparaître pour la première fois ce thème en France. Pour l’instant, il reste dans le cadre d’un jugement idéologique et d’un discours. Pourra-t-il devenir un jour texte de loi, ou réglement (« politiquement correct » évidemment par le biais d’une punition fiscale, bancaire, nationale…)? L’avenir nous le dira. Tout est aujourd’hui possible. Le pouvoir est faible et volatile. Qui sait qui demain en occupera le siège? Le Front national? Le parti Socialiste et l’UMP ne sont pas plus rassurants…

Après avoir analysé l’article du rédacteur en chef du Monde Diplomatique, Alain Gresh,  qui a ouvert le feu, et celui du rédacteur en chef de L’Express (leur titre professionnel montre que c’est au plus haut de la hiérarchie médiatique qu’on pense ainsi), je me dois de faire mention d’une nouvelle prise de position semblable, située cette fois-ci à ce que l’on appelle « l’extrême gauche », en la personne du prophète de la « VI° République », je veux dire Jean Luc Mélenchon, dont on se souvient du « discours de Marseille » qui reprenait tous les thèmes de l’islamisme.

Jugeant des manifestations pro-palestiniennes qui ont eu lieu récemment, il s’en est pris de façon inattendue aux Juifs de France[1]: « Si nous avons quelque chose à dénoncer c’est ceux de nos compatriotes qui ont crû, bien inspirés, d’aller manifester devant l’ambassade d’un pays étranger ou d’aller servir sous ses couleurs les armes à la main. »

Et qu’on ne dise pas qu’il est antisémite! « Nous n’avons peur de personne. N’essayez pas de nous faire baisser les yeux. Peine perdue. Je voudrais dire au CRIF que cela commence à bien faire. Les balayages avec le rayon paralysant qui consiste à traiter tout le monde d’antisémite dès qu’on a l’audace de critiquer l’action d’un gouvernement. C’est insupportable. Nous en avons assez. La République, c’est le contraire des communautés agressives qui font la leçon au reste du pays. »

Les Juifs sont donc infidèles à la République, au service d’un Etat étranger adepte de « la violence et de la brutalité »… Cet Etat pratique le génocide: « En fidélité au souvenir des meurtres de masse, qui ont été commis dans le passé, nous nous sommes portés aux avant-postes du soutien à cette malheureuse population. » Il fustige au passage Hollande qui lui a donné « des blancs-seings ». Et les manifestants? Il manque de mots laudateurs pour les qualifier, cette  jeunesse française (pas de doute ici) qui a su se mobiliser avec une « discipline parfaite » et « en défense des malheureuses victimes de guerre à Gaza. ». Ils ont su « se tenir digne et incarner mieux que personne les valeurs fondatrices de la République française ». Les incidents de Paris et Sarcelles ne sont pas graves, le fait de « quelques énergumènes ».

Suprême accusation en prime: l’explication de ce jugement se réfère aux Juifs comme « peuple élu » et donc raciste et dominateur: « Ces valeurs sont que nous sommes toujours du côté du faible et de l’humilié parce que nos valeurs, c’est liberté, égalité et fraternité. Pas la paix aux uns, la guerre aux autres. Nous ne croyons pas à un peuple supérieur aux autres. »

Nous voyons ainsi voyager cette idée de la droite libérale (Christophe Barbier) à l’extrême gauche (Mélenchon, et Gresh). Touchera-t-elle le centre droit et gauche? C’est à surveiller. Entre-temps, c’est un stade supplémentaire dans la dégradation de l’image et du statut des Juifs de France. Même quand ils quittent les lieux, ils se voient exposés à la désapprobation et à la condamnation. Le problème c’est qu’ils le sont déjà quand ils restent. Le plus grave c’est cependant qu’après les récents événements, ils se voient accuser tandis que la « jeunesse française » malgré la violence de ses manifestations est célébrée.

Nous avons déjà une première illustration d’un prolongement politique et judiciaire de ce thème, avec Tewfiq Tahani, président de l’association France Palestine Solidarité (AFPS) qui compare les ressortissants juifs français engagés dans l’armée israélienne aux djihadistes français partis en Syrie, accusant de « jeunes compatriotes (d’être des) acteurs directs ou indirects de crimes de guerre » à Gaza, « un théâtre d’opération où, pour reprendre le mot de Laurent Fabius, s’est déroulé un véritable carnage » et qui dans une lettre ouverte appelle Manuel Valls à les poursuivre en justice pour crimes de guerre.

C’est le monde à l’envers. Un cauchemar. La société française est profondément égarée et les ennemis des Juifs résolus. Quant à Mélenchon qui, par son style oratoire, depuis la récente campagne électorale, a ré-introduit la brutalité dans la politique française, n’oublions pas que le milieu des premiers socialistes français a été, dès les débuts du socialisme dans la première moitié du XIX° siècle, un des premiers foyers de l’antisémitisme.

[1]Décryptage par Eric Hazan in Le Monde Juif Info.http://www.lemondejuif.info/2014/08/gaza-soldats-juifs-francais-inquietes-justice-francaise/

Paroles pronocées à l’Université d’été du Parti de gauche, le 24 août à Grenoble.

à propos de l'auteur
Shmuel Trigano est un philosophe juif français qui écrit sur ​​les questions politiques et religieuses, avec un accent particulier sur le judaïsme. Auteur de très nombreux ouvrages, notamment de "Quinze ans de solitude: Juifs de France : 2000 - 2015" (Berg international) , il vient de publier « Le chemin de Jérusalem, une théologie politique » (Les Provinciales).
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